En 1972, Miles Davis faisait paraître On the Corner, un disque radical sur lequel le trompettiste plaçait sa musique sous de nouvelles influences : le funk de Sly & the Family Stone, le free jazz d’Ornette Coleman et la musique électro-acoustique de Karlheinz Stockhausen. Davis et son acolyte, le réalisateur Teo Macero, nous y proposaient des collages sonores insolites couchés sur des boucles rythmiques répétitives. À l’époque, les critiques furent dévastatrices, mais bien de l’eau a coulé sous les ponts et cet album précurseur a fait des petits.
Les deux pièces qui composent Interview / Discount du musicien torontois Tony Price font partie de cette progéniture. Cependant, il serait réducteur de les considérer comme des duplicatas de l’album de Davis. Plus près de l’avant-garde, Price a assaisonné sa ratatouille avec des épices plus fortes. Les fragments de musique concrète saupoudrés ici et là sont beaucoup plus rugueux. Les interventions de Andy Haas et Dan Pencer – respectivement au saxophone et à la clarinette – puisent davantage dans le free et dessinent des lignes plus folles. On discerne également des touches de bruitisme et de dub. Le Clavinet utilisé sur Discount rappellera même le funk chaloupé de Stevie Wonder.
Bien que basées sur des rythmes minimalistes et répétitifs, ces deux longues plages sont riches en surprises. À l’image de la ville de New York où Price réside depuis quelques temps, elles grouillent de vie. On sent que le musicien a eu un malin plaisir à triturer la matière sonore, à agencer des éléments de provenances multiples. Ce plaisir est contagieux puisque, même si on y brasse des idées issues de milieux avant-gardistes, Interview / Discount est une œuvre ludique au son de laquelle il fait bon se déhancher.