Traditionnellement, la majestuosité s’est souvent manifestée par quelques moyens techniques bien convenus dans le métal extrême. Quoique dans le nouvel opus d’Igurgitating Oblivion, il n’y a rien de traditionnel. On ne trouve ni séquences orchestrales, ni pastiche à l’opéra et ni synthétiseurs. C’est plutôt la finesse des arrangements qui donnent une grandeur épique à cette musique pourtant sinistre et cauchemardesque.
Esthétiquement, on a affaire à une synthèse sans faille entre plusieurs mondes. Les structures peu répétitives s’étalant en moyenne sur quinze minutes rappellent le rock progressif, tandis que la richesse rythmique et harmonique rappelle le jazz. Cela s’entend tout particulièrement lorsque les guitares perdent leur distorsion et font résonner des accords sur lesquels la batterie peut s’exprimer librement. Il y a également de nombreux solos aux cordes que l’on croirait tout droit sortis d’un album de jazz fusion. Cependant, les longues séquences brutales ont tôt fait de rappeler que le duo est en essence un groupe de death metal. Ici, la performance impeccable du batteur Lille Grüber (Defeated Sanity), qui en est à sa deuxième collaboration avec le groupe, doit être soulignée. Lorsque la musique prend des tournures rapides, angulaires et agressives, Grüber martèle la pulsation avec une puissance qui n’a d’égal que le détail et la densité de ses ornementations rythmiques. Par ailleurs, la voix prend généralement un registre plus médian qu’auparavant. Cela rappelle, avec toujours plus d’emphase sur l’atmosphère, le meilleur du black metal avant-garde et dissonant. Mais la plupart du temps, la totalité des éléments rappelle des monuments de la musique contemporaine orchestrale comme un Amériques d’Edgar Varèse ou une Atmosphères de György Ligeti
Mais la principale qualité d’Ontology of Naught, c’est son sens de la macrostructure. Il y a dans cet album un fil narratif méticuleusement tissé, passant par une variété de textures et d’effets dramatiques. Même si la musique a été avant tout pensée par deux guitaristes, on remarque un sens très aiguisé des dynamiques. Les compositions savent relayer les guitares à l’arrière-plan pour laisser d’autres timbres prendre les devants et créer une profondeur de champ. Dans les moments les plus ambiants, on ne saurait dire quel instrument rayonne davantage entre la guitare, la basse, le vibraphone et le piano. Car oui, cet album est truffé de collaborations qui viennent bonifier l’orchestration.
D’autres techniques, comme l’inclusion et la superposition d’échantillons multilingues de monologues, ajoutent des effets dramatiques qui guident l’oreille dans la progression de l’album. Il y a également un détour poignant vers un moment de sérénité quasi mystique lors de la transition de la troisième vers la quatrième piste. L’un des morceaux se termine sur un mantra chanté et harmonisé par des voix de femmes, laissant ensuite place à des bols tibétains et les mots “No more” répétés ad nauseam et filtrés à travers du traitement sonore. La piste suivante s’ouvre sur un drone d’harmonium ainsi qu’une nouvelle séquence vocale harmonisée ponctuée de quelques coups de bols chantants. Cette concoction quelque peu orientalisante de timbres d’Asie, de guitare électrique et de chant classique évolue ensuite vers un retour à la pesanteur et aux escapades progressives.
En somme, Ontology of Naught relève d’un long processus de composition, voire de sculpture sonore qui s’apprécie dans le détail. C’est un travail grandement magnifié par les possibilités du studio d’enregistrement, qui pousse le genre très loin dans ses possibilités expressives. Le mélange d’influence est immensément plus riche que la somme de ses parties, et l’aspect extrême de la musique est une condition sine qua non qu’il faut accueillir pour pouvoir en apprécier les nuances.