Les jazzophiles les plus avertis connaissent certainement déjà le nom du contrebassiste Harish Raghavan. Celui-ci s’est taillé une réputation plus qu’enviable en accompagnant des pointures telles Vijay Iyer, Ambrose Akinmusire, Kurt Elling ou Charles Lloyd. En 2019, le label britannique Whirlwind publiait Calls for Action, son premier album en tant que leader. La même étiquette fait maintenant paraître In Tense, une œuvre marquée par la pandémie qui sévit partout sur le globe depuis deux ans. Son créateur a en effet voulu que ce disque soit le reflet musical des émotions qu’a suscitées chez lui le confinement lié à cette pandémie. Afin de nous présenter sa vision de ces mois particulièrement éprouvants, il s’est adjoint les services d’une équipe d’instrumentistes solide comme le roc : le batteur Eric Harland, le guitariste Charles Altura, le vibraphoniste Joel Ross et le saxophoniste Morgan Guerin.
Dès AMA, la première pièce au programme, on peut parler d’un pari relevé avec succès pour le contrebassiste originaire de Chicago. La rythmique implacable développée par Harland et Altura donne à l’auditeur la vertigineuse impression qu’il se frotte à une réalité que le destin lui impose et qui le dépasse. D’un autre côté, la mélodie que lui superposent Ross et Guerin a quelque chose de rassurant, de chaleureux. La tension qui se dégage de la juxtaposition de ces éléments pouvant sembler contradictoires évoque bien le sentiment d’être à l’abri chez soi, alors qu’un mal d’origine inconnue se répand à l’extérieur. Même si sur deux des pièces proposées – Circus et S2020 – le jeu des musiciens se fait plus frénétique, cette atmosphère chargée ne se dissipe pas avant la fin de l’album.
L’un des facteurs déterminants de la réussite que représente In Tense réside dans le doigté avec lequel Raghavan a sélectionné ses collaborateurs. Chacun des membres de l’ensemble qui l’accompagne sur cet opus pandémique apporte au tableau final des couleurs qui lui sont propres. Les instruments à vent électroniques qu’utilise Morgan Guerin, par exemple, confèrent aux compositions du leader une touche synthétique un brin inusitée. Derrière le vibraphone et les marimbas, Joel Ross, quant à lui, se démarque en se servant de ses maillets pour libérer des feux follets colorés, dont la danse réconfortante étoffe la charge émotive de cette proposition jazz fort originale.