Gnaw Their Tongues, c’est l’expression du black metal à travers un format noise expérimental. Cela fait presque deux décennies que le musicien Mories développe sa cuisine seul, enchaînant les sorties à toute allure. Ce zèle fait sourciller quelque peu, puisque le quinzième album de l’entité néerlandaise est un ajout sans grande surprise à une discographie déjà bien engorgée.
Dans The Cessation of Suffering, tout est noirceur et dépravation. Gnaw Their Tongues tire profit de ses outils numériques afin de créer une trame sonore tout à fait basée sur l’atmosphère glauque et macabre. Les textures bruitées et l’ambiance industrielle en offrent un rendu exemplaire, à en faire jalouser les groupes de métal plus conventionnels. Effectivement, Mories arrive à soustraire les éléments performatifs humains de sa musique, évoquant un chaos glauque sans les codes instrumentaux habituels. Même la voix, distante et traitée avec saturation et délai, relève d’un autre monde et se fond dans l’abstraction du reste. L’écoute de ce nouvel opus provoque, à l’instar de ses prédécesseurs, la sensation cinématique d’être envoûté dans un cauchemar sonore. Esthétiquement, l’album prend aussi quelques détours, comme avec le shoegaze de « Vengeful Spit » et les mantras vocaux de « Dreamless ».
Ce que l’album gagne en atmosphère, il le perd toutefois en développement de ses idées musicales. Chaque morceau ne dépassant pas les cinq minutes, The Cessation of Suffering est une proposition très compartimentée. Il n’y a que peu de place à la progression à l’intérieur d’une même plage, ce qui fait de l’album une collection d’embryons compacts relativement statiques. L’urgence se ressent dans la composition de ces morceaux, et on regrette la première décennie d’activité de Gnaw Their Tongues où les pièces s’étendaient dans le temps et exigeaient la patience. Un album suffisant pour réaffirmer la vision unique de Mories, mais dont on perçoit un potentiel inachevé.