Cinq ans après son exil aussi discret que sa personnalité était timide, voici l’ultime hommage à Guy Béart qui regroupe un florilège intergénérationnel de la chanson française. Moins connu que les monstres sacrés Brel, Brassens, Piaf ou Barbara, Béart a accompagné le quotidien de milliers de personnes souvent sans même que celles-ci ne sachent vraiment de qui il s’agissait, tant ses grands textes enluminaient, subrepticement, leur quotidien.
C’est sur l’insistance d’un autre géant, Charles Aznavour, auprès des deux filles de Béart, Ève (créatrice de bijoux) et Emmanuelle (sublime icône du cinéma français que l’on sait) que ce double album composé de 20 titres en « versions libres » a vu le jour.
Prélude à une intégrale, dont la parution est programmée pour septembre 2020.
S’il a écrit des chansons vachardes (Les grands principes) et politiques (Couleurs vous êtes des larmes, belle reprise ici par Ismaël Lo), ce sont surtout des chansons d’amour et de rupture que l’on retrouve sur ce très bel album, qui redonne un certain lustre à des morceaux qui pouvaient paraître surannés.
Je pense à l’incontournable Il n’y a plus d’après, une pièce d’abord destinée à Aznavour, mais qui est parti quatre jours trop tôt pour l’endisquer, et que Vianney a reprise avec panache. Ce « papy Guy en jeune », pour reprendre l’expression du fils d’Emmanuelle Béart, qui songeait sans doute à une commune timidité triomphante.
Carla Bruni (qui est vraiment de toutes les compils) tire bien son épingle du jeu avec C’est après que ça se passe, tandis que Souchon (Seine va) et Voulzy (Il fait toujours beau quelque part) s’approprient littéralement leur pièce.
Parmi les moments très forts, notons la sublime reprise de Ceux qui s’aiment par la fragile Pomme, la voix riche et assurée de Catherine Ringer sur Les souliers (… dans la neige) et, peut-être parce que c’est sans doute son dernier clin d’œil, la voix du regretté Christophe qui nous bidouille un Vous (c’est vous) des plus aériens.
Dutronc fils et Emmanuelle Béart proposent un duo bien sympathique en ouverture avec Qu’on est bien, morceau adapté à la sensibilité politique du jour, laissant Vincent Delerme égrener son lassant filet de voix sur Bal chez Temporel et le rappeur Akhenaton nous surprend agréablement avec Qui sommes-nous? L’eau vive, qui sous des airs candides parle du départ des enfants d’un point de vue parental, s’y retrouve bien sûr, avec la voix de Yaël Naïm, sublimée d’un chœur et d’une orchestration qui évoquent l’urgence, comme dans Frantz (viens, mon cher Frantz), une pièce qui parle d’un mourant, dans un duo composé de Julien Clerc et (encore une fois) d’Emmanuelle Béart. Relevons aussi la présence de Raphaël (Poste restante) et de Maxime Le Forestier (De la lune qui se souvient) sur cet album réjouissant.
Né au Caire et ayant grandi au Liban auquel il demeurait très attaché, Guy Béart, vite repéré par Brassens, produit par Vian et bientôt copain d’Aragon, Pompidou et Georges Marchais, a dit un jour qu’« écrire des mélodies, c’est se donner la main de génération en génération ».
Ses filles auront ici admirablement contribué à lui donner raison.