Le lien qui unit la musique et la littérature est une réserve thématique fréquente et presque intarissable, pour les interprètes. Le pianiste français David Kadouch, inspiré par cette connexion, propose un assemblage de pièces variées avec, comme toile de fond, le personnage d’Emma Bovary de Gustave Flaubert. Pour retracer la vie de ce personnage phare de la littérature française, c’est-à-dire son mariage avec l’officier de santé Charles Bovary, son quotidien ordinaire et ses aspirations amoureuses, en passant par la mélancolie et la détresse qui mèneront Emma au suicide, Kadouch rythme les apparitions musicales dans une ligne du temps divisée selon différents mois (mai, septembre, juin, mars). Chacune de ces sections saisonnières est introduite par un extrait du cycle pour piano Das Jahr de Fanny Mendelssohn. Ainsi, le mois de mai s’ouvre avec une festive chanson printanière, suivie d’une sérénade dansante et hispanisante signée Pauline Viardot, puis de trois nocturnes de l’opus de Chopin qui, avec leur caractère mélancolique et introspectif, viennent illustrer la lassitude d’Emma à la suite de cette union. Les tumultes intérieurs de la protagoniste sont exprimés plus clairement dans le mois de septembre, qui côtoie l’effervescence des soirées parisienne. Les réminiscences lyriques de Liszt sur Lucia di Lammermoor, puis l’évocation d’un air de Robert Schumann par sa femme prolongent la mélancolie d’Emma alors que le mois de mars, qu’on imaginerait guilleret, est à la fois sombre et empreint d’une énergie salvatrice; le pouls d’Emma « [glissant] sous les doigts comme un fil tendu, comme la corde d’une harpe près de se rompre ».
Sans être caricatural et sans tomber dans le cliché, Kadouch arrive, avec une présentation d’œuvres en majorité composées par des femmes, à tisser une ligne musicale et narrative cohérente, qui nous accroche et nous entraîne réellement dans la passion et la complexité du personnage d’Emma Bovary.