Un jour, alors que je lui demandais en entrevue ce qu’il avait pensé du portrait acide qu’avait brossé de lui feu Thierry Séchan dans sa série de livres Nos amis les chanteurs, Lavilliers me répondit : « Je préfère dîner avec les aigles que de picorer avec les poulets. »
C’est qu’il a souvent été moqué, le boxeur de Saint-Étienne qui, depuis les débuts de sa carrière en 1970, aime s’entourer de l’aura du loubard baroudeur. Le frère du premier, Renaud, l’a d’ailleurs aussi joliment décoiffé dans une de ses chroniques pour Charlie Hebdo, de laquelle on retiendra ceci : « On s’en branle que t’aies pris ces trains ou pas, du moment que tu nous fais voyager. »
Ses contempteurs trouveront encore à redire; qu’ils boudent. Mais celles et ceux qui, comme moi, conservent une affection profonde pour le « trafiquant de métaphores » seront ravis et apaisés en écoutant Sous un soleil énorme, ce 22e album des plus réussi qui saura nous faire danser, voyager, triper, rêver, réfléchir et éclater en sanglots en onze chansons, et ce, dès Le cœur du monde, le premier titre.
Peut-être son meilleur depuis l’immense Carnet de bord, paru en 2004. Entre l’intime et le monde, Lavilliers tangue, mais pas toujours, sur des rythmes argentins accrocheurs et enveloppants où des cuivres retentissants viennent ajouter des touches de lyrisme salvateur.
Certains diront qu’à 75 balais, Lavilliers y a convié toutes ses vies. Ils auront raison. L’enfance stéphanoise avec la très touchante parlée-chantée Je tiens d’elle, où il invite le duo Terrenoire. Les pulsions pugilistiques dans une reprise de Dylan intitulée Qui a tué Davy Moore?, qui raconte l’histoire vraie d’un boxeur mort sur le ring. Une pièce chorale, au sens cinématographique, originellement adaptée en français par Graeme Allwright, où l’on retrouve Izia Higelin, Hervé, Gaëtan Roussel et… Éric Cantona. Le gauchiste old school dans Corruption, une excellente pièce qui est un peu la suite des Aventures extraordinaires d’un billet de banque (1975). D’ailleurs, Macron, ce « petit marquis », en prend pour son grade dans la pièce Beautiful Days, où la pandémie est aussi évoquée, tandis que les gens humbles mais vrais font sourire et danser dans l’enlevante Les Porteños sont fatigués. Rendu au soir de sa vie, Lavilliers nous rappelle qu’il est aussi un sacré poète avec la sublime L’Ailleurs. Une pièce belle et crépusculaire, sans doute inspirée par son arrêt cardiaque et une invitation de la dame à la faux lui a permis d’aller voir ailleurs s’il y était. Comme lorsque Rimbaud voulait voler et ramener le feu de Prométhée. Heureusement pour nous, ce n’était pas le cas. Mais le feu, oui. Superbe.