L’univers des musiques dites « de niche » est paradoxal. Alors que dans le cadre d’un vox pop tenu sur la rue, bon nombre de personnes peineraient à nommer un musicien jazz québécois, un saxophoniste free originaire de Chicoutimi peut très bien être connu et respecté par une communauté de fans et de musiciens jazz un peu partout sur le globe. Il en va ainsi de William Jourdain, alias Automatisme, musicien électronique basé à Saint-Hyacinthe dont la musique a été publiée par des étiquettes aussi prestigieuses que Force Inc. et Mille Plateaux. C’est à travers son travail pour ces deux écuries, qui se consacrent à l’électro de pointe, qu’il en est venu à collaborer avec l’artiste multidisciplinaire suisse Stefan Paulus. Gap/Void – troisième album de Jourdain pour l’étiquette montréalaise Constellation – nous propose le fruit de leur coopération.
Paulus a fait parvenir à Jourdain des bourdons – ou drones, dans le jargon – créés à partir de sons de vents, de tempêtes ou d’avalanches enregistrés lors d’expéditions dans l’Arctique ou les montagnes des Alpes et du Caucase. Avec un tel matériel entre les mains, on pourrait croire que le Québécois aurait accouché d’une œuvre analogue aux drones implacables créés par le compositeur allemand Thomas Köner, à la suite de voyages effectués dans le Grand Nord il y a quelques décennies. Pas du tout. Les pièces que nous offre ce nouvel album présentent un relief beaucoup plus accidenté que les étendues glaciales mises de l’avant par Köner. Ayant fracturé en petits morceaux des échantillons sonores provenant de vieux douze pouces disco, Jourdain a savamment conçu des cordillères tenant à la fois du glitch et de l’intelligent dance music. Les plus hauts sommets de ces chaînes aux dénivellations parfois imprévisibles sont recouverts d’orageux nuages bruitistes.
Gap/Void est un des disques les plus aboutis du corpus déjà très bien fourni d’Automatisme. Il plaira autant aux amateurs de techno dansante non conformiste qu’aux fanas de recherche électroacoustique. Les plus affamés d’entre eux pourront d’ailleurs savourer, en guise de dessert glacé, quelques pistes additionnelles présentant les drones originaux de Paulus, légèrement retouchés par Jourdain.