On a déjà vu de nombreuses expériences de métissage entre la musique contemporaine et la culture inuite. Depuis Titakti, de l’électroacousticien français Philippe Le Goff (empreintes DIGITALes, 1995), jusqu’à l’extraordinaire musique de ballet de Christos Hatzis (Going Home Star – Truth and Reconciliation) à laquelle participait Tanya Tagaq (album également paru chez Centredisques en 2015), en passant par le folk bionique de Michael Reinhart (Quaraaluktuq, indépendant, 2003) et par le projet Saimaniq de la compositrice Katia Makdissi Warren (Oktoécho, 2018) ou, plus récemment, la vision onirique de Chrstine Ott et Torsten Böttcher sur Nanook Of The North (Gizeh Records, 2019).
La musique que propose la compositrice canadienne Alexina Louie lui a été commandée par l’OSM en 2008 alors que l’orchestre s’apprêtait à aller donner des concerts au Nunavik et que Kent Nagano voulait ajouter une création au programme qu’il comptait présenter (le film Tusarnituuq! Nagano in the Land of the Inuit de Félix Lajeunesse rend compte de cette tournée). L’autre pièce de ce programme de concert, L’Histoire du soldat, de Stravinski (… interprétée en inuktitut !) offrait l’instrumentation de base pour la pièce (basson, clarinette, contrebasse, cornet à pistons, percussion, trombone, violon). Au lieu d’un narrateur, la partie vocale est assurée chez Louie par deux chanteuses de gorge, Evie Mark, qui a participé à la création de la pièce en 2008, et, pour cet enregistrement, Akinisie Sivuarapik. Ce ne sont pas des musiciens de l’OSM que l’on entend ici, mais plutôt des membres de l’Esprit Orchestra, l’ensemble torontois que Louie a fondé en 1983.
Par moments, aussi bien à cause de l’instrumentation qu’en raison de certains emprunts stylistiques, l’ombre de Stravinski plane sur les paysages rugueux qu’évoque la musique, ce qui est amusant parce que Christos Hatzis cite lui aussi fréquemment le compositeur russe dans son ballet Going Home Star. La nature répétitive du chant de gorge a inspiré à la compositrice un accompagnement très rythmique et des mélodies d’allure minimaliste. Louie, qui a l’habitude d’utiliser de grandes sections de percussion, n’avait ici qu’un seul instrumentiste, équipé modestement (voyage en petit avion oblige !), mais elle s’en tire très bien.
Avec une petite vingtaine de minutes, l’œuvre est courte, mais elle s’ajoute, comme on le voyait plus haut, à un corpus grossissant, et c’est sans compter les créations pur jus d’une Tanya Tagaq, dont le travail contribue vraiment à ouvrir les oreilles (voir Anuraaqtuq, par exemple, de 2011, chez Disques Victo).