Dans les années 60, le rythme déclamatoire de poètes et songwriters afro-américains, inspirés par la culture soul/ R&B tout comme par les sermons des pasteurs noirs et des chants sacrés de leurs fidèles, laissait clairement présager la venue prochaine de la culture hip-hop, soit au tournant des années 80.
Au sein de The Last Poets, Abiodun Oyewole contribua à poser les bases du rap à travers la poésie black, celle notamment de Langston Hughes et d’Amiri Baraka. À l’instar de feu Gil Scott Heron, de la même génération que la sienne, Abiondun Oyewole est devenu un sherpa sur des routes accidentées. Encore aujourd’hui, il déclame, rappe, chante, commente, réagit, ressent, analyse. Et incarne cette transition entre la déclamation poétique et le rap.
On n’attendait plus cet album qui lui confère un profil de yoda de la culture afro-américaine.
Les préoccupations sont ici sages et posées, mais ne diffèrent pas fondamentalement de ce qu’on connaît de lui. Les quartiers black, la quête de l’équité, les espoirs révolutionnaires, l’amour, la soul, la critique, l’autocritique. On a aussi droit à la poésie ou au rap de Jessica Care More, J. Ivy, Ade de Poet, Pharoah Davis. Aux chants complémentaires de Melodie Nicole. Le beatmaking et l’accompagnement musical propulsent cette sagesse septuagénaire bien au-delà de la nostalgie d’un devoir accompli. Les douze titres suggérés par Abiodun Oyewole sont intemporels, multigénérationnels, superbement ciselés.
Gratitude, un album excellent en ce début de l’an 2022, évite le piège des bilans pompeux et aussi celui d’une production « jeuniste » à outrance. Un équilibre idéal est ici atteint, sans flafla, exhalant la profonde expérience et la verdeur d’Abiodun Oyewole.