À l’heure où l’on écrit ceci, le télescope spatial James-Webb s’apprête à nous fourguer des images d’objets apparus 100 millions d’années après le big bang, qui s’est produit il y 13,6 milliards d’années. Comme quoi la science progresse, ce que doit observer avec plaisir Jules Verne, appuyé au bastingage de la nacelle de son ballon éternel. Par l’intermédiaire de Theodoros Hernandez, « musicien expérimental helléno-mexicain officiant sous le nom d’Ophtalmologist » (dixit sa page Bandcamp), la maison Lotophagus rend bellement hommage au visionnaire auteur, qui aura anticipé le sous-marin électrique des Vingt mille lieues sous les mers, l’exploration spatiale dans De la Terre à la Lune, l’hologramme dans Le château des Carpathes et le bœuf à la crème sure dans Michel Stroganoff.
Avec Julius Vernus Explorator, l’étiquette Lotophagus poursuit sa jeune tradition de références et de déférence littéraires, après J. H. Rosny Aîné et Dans le monde des variants et Lack Jondon dans Yukon Tales. On vous avait causé de ces parutions et l’on vous cause de celle-ci pour une raison fort simple : c’est bon. Très, même. Est-ce que l’énigmatique ophtalmo-compositeur électro Theodoros Hernandez s’est abreuvé aux travaux de Lucette Bourdin, aux bandes-son intergalactiques – notamment celle d’Alien par Jerry Goldsmith – ou aux musiques que crée Magnus Birgersson, alias Solar Fields? Difficile de vérifier à la source, puisque les coordonnées de Theodoros sont introuvables.
À l’écoute de ce recueil de quatre longues pièces, le musicophile féru de space-ambient songera sans doute aussi à un monument du genre, soit Apollo: Athmospheres and Soundtracks, que les frères Brian et Roger Eno ainsi que Daniel Lanois mirent au monde en 1983. Julius Vernus Explorator orbite autour de ce chef-d’œuvre, les passages rassurants de Lanois à la guitare pedal steel en moins. En effet, on constate tout de go dans Julius Vernus Explorator un parti pris pour l’angoisse. Celle du vide intersidéral dans lequel se sacrifient Wolff, par culpabilité, dans On a marché sur la Lune ou Matt, par altruisme, dans Gravity.
On parcourt donc une plaine de la planète Mars dans Meridiani Planum, on retourne au 16e siècle dans l’esprit du cartographe, mathématicien et cosmologue néerlandais Gemma Frisius dans la pièce du même nom, on déambule en équilibre précaire sur une crête de Phobos (le plus grand des deux satellites de Mars) dans Kepler Dorsum, puis on chute au fond de l’inhospitalier cratère Hun Kal, sur Mercure. Tout ça sur fond de bourdons désespérés, de frottements cyclopéens, de violons intersidéraux, de chuintements d’origine indicible, de rafales cosmiques, de pluie de météores sonores et de saccades hertziennes. Trente minutes à errer dans le cosmos, donc, enveloppé de froid et d’effroi… en toute sécurité chez soi.