Avant d’utiliser le pseudonyme d’Against All Logic, Nicolas Jaar jouissait déjà d’une réputation enviable dans le paysage de la musique électronique. Son premier album, Space Is Only Noise, paru en 2011, assure sa notoriété avec des pièces intimistes, à la fois expérimentales et réconfortantes, ponctuées d’échantillons apaisants et d’instruments acoustiques.
En 2017, le producteur d’origine chilienne prend son public par surprise en lançant son premier album sous la bannière d’Against All Logic. L’approche, plus frontale et extravertie, est résolument marquée par la house et tournée vers les planchers de danse. Si de légères attaques de distorsion venaient déjà discrètement salir la facture globale, la musique de cette première offrande était avant tout dansante, funk, soul et électro se trouvant réunis par l’esprit inclusif de la house. En raison de quelques pointes plus agressives, on voyait bien, toutefois, qu’une certaine tension couvait sous cette apparente bonne humeur.
Avec 2017-2019, ce qu’il fallait auparavant deviner se révèle désormais au grand jour. Cette fois, la perspective industrielle n’est jamais loin, bien que le producteur l’envisage avec subtilité et retenue. Si la house trace toujours la ligne directrice, le ton s’est durci et refroidi, tandis que la distorsion, souvent numérique, revient constamment nous rappeler que les choses se sont corsées. La musique d’A.L.L. est toujours à sa place sur un plancher de danse, mais on s’imagine celui-ci dans un immeuble décrépit accueillant une faune clandestine. Ce n’est pas qu’une affaire festive, vous l’aurez deviné. D’ailleurs, le travail minutieux sur les textures permet une écoute tout aussi satisfaisante bien calé dans un fauteuil.
Les rythmiques lourdes, parfois déconstruites, les percussions métalliques, les propos parfois hargneux (voir la collaboration avec Lydia Lunch), ainsi que les attaques de distorsion portées sans avertissement ne sont toutefois qu’une partie de l’affaire. Soul, funk, jungle et house plus classique n’ont pas été abandonnés et réussissent à s’exprimer naturellement. C’est d’ailleurs dans cette mise en contraste et dans ces collisions que résident la force de 2017-2019. La saturation permettant de faire ressortir une richesse harmonique qui serait autrement demeurée timide, augmentant ainsi l’impact de ces multiples orientations. De la même façon, les techniques de production variées, l’intégration de codes aux provenances diverses et les clins d’œil à différentes époques ne font, paradoxalement, que renforcer la cohésion de l’ensemble.
S’il l’on pouvait croire au départ que Against All Logic n’était qu’une parenthèse sympathique, l’empressement avec lequel Nicolas Jaar a offert ce deuxième chapitre permet de croire que le producteur s’y adonne avec un enthousiasme qui laisse, à notre grand bonheur, présager une suite.