MUTEK 2022 / Begin Within, « nouveau décollage » vers l’intimité de Nicolas Bougaïeff

Entrevue réalisée par Salima Bouaraour

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Cet enfant du Québec, né à Trois-Rivières, a présenté en avant première son nouvel album Begin Within, pour sa première parution au Festival Mutek 2022, au MTELUS, vendredi dernier, pour le programme de la soirée Nocturne 3, qui accueillait aussi la fantastique Cora Novoa et le génie Luke Slater. 

Au croisement de la musique contemporaine, de la techno sombre et  de l’ambient hypnotique, Nicolas Bougaïeff est un compositeur aux multiples talents, au large éventail de techniques de production et, qui plus est, un individu cherchant toujours à partager son érudition. 

Il est invité par les plus grands clubs techno européens comme le Berghain ou le KitKatClub. Il se produit en Israël, en Pologne, en Angleterre. Il partage la scène avec Richie Hawtin, Daniel Miller, Anna, FJAAK, Ben Clock, Blawan. Il crée des logiciels et des applications. Il enseigne la musique électronique dans sa propre école. Vous aurez saisi que Nicolas est un érudit de la musique. 

Plus connu pour sa techno faite de noirceur, de rythmes décadents  et monolithiques, il multiplie les ambiances dansantes à couper le souffle.  Dans le contexte de MUTEK 2022, il revenait  à Montréal, chez lui au Québec, avec un nouveau concept: l’album Begin Within, dont la sortie est prévue en novembre prochain. L’album est toujours aussi noir, cette fois-ci avec une autre approche.
Pour lui, « c’est un nouveau décollage » qui  consiste  dévoiler une part de son intimité. Terrorisé de devoir partager une proximité avec l’autre car cela l’amène à sa propre vulnérabilité, Nicolas s’dst néanmoins confié à PAN M 360.

PAN M 360: Nicolas Bougaïeff est réputé pour sa techno sombre et dansante, mais pour ta première performance à MUTEK, tu as choisi de présenter en avant-première ton nouvel album Begin Within, sortie prévue en novembre, qui lui est plutôt électro-expérimentale chanté. Raconte-nous la genèse de ce nouveau projet. 

NICOLAS BOUGAÏEFF: J’ai composé ce nouvel album en réaction à des états d’âme, des sensations très floues…très fortes…qui m’ont suivi et terrassé pendant des années, en fait. Je me sentais emprisonné dans des cadres. Cet album est le fruit de quelque chose qui grandissait en moi depuis longtemps. J’ai de nombreuses peurs à exorciser…

PAN M 360: Quand tu parles de peur, peux-tu me préciser quelles sont-elles précisément? Qu’as-tu voulu extérioriser ?

NICOLAS BOUGAÏEFF:  J’en ai vraiment beaucoup! (rires) Celles qui m’empêchent de fonctionner est celle de l’intimité, de l’honnêteté et de la vulnérabilité. Il n’y a rien d’innovant dans ce que tu dis, peut être, car c’est une expérience humaine qui est commune à nous tous, je crois. En ce qui me concerne, c’est la frayeur de l’autre et de l’intimité qui pourrait en découler, ainsi que de s’exposer honnêtement. 

PAN M 360: Penses-tu que cet album est le plus personnel ou intime que tu ais fait jusqu’à présent?

NICOLAS BOUGAÏEFF:  Toutes mes compositions musicales sont très personnelles. J’y mets de ma personne, mais, avec Begin Within, c’est définitivement intime. Intime, à la fois, dans la composition musicale et le choix des titres ainsi que les textes. 

PAN M 360: Si on compare ton album Deckalog , techno sombre, dansante, monolithique,  sortie très récemment, et l’album Begin Within à venir, le contraste musical est très fort. Cependant, connaissant ta formation et ton parcours, ça me semble plutôt cohérent. En tout cas, définitivement, la noirceur demeure  présente mais sous un autre angle musical. La nouveauté est l’apport de ta voix sur tous les titres. Pour moi, poser sa voix, c’est donner une part de son humanité. Comment as-tu vécu cette expérience du chant?

NICOLAS BOUGAÏEFF:  Je n’ai jamais travaillé ma voix et jamais pris de cours de chant. J’ai travaillé avec un nouvel instrument que je ne maîtrisais pas du tout et cela m’a aidé à ce que ce soit encore plus intime car j’y suis allé de manière naturelle, sans réfléchir. Je me suis donc concentré sur l’intimité et l’émotivité. Je me suis totalement mis à nu. Ne pas pouvoir me cacher derrière des aptitudes professionnelles de chanteur m’a fait me sentir très libre, plus libre que lorsque je compose.

PAN M 360: Comment penses-tu que le public va recevoir cette nouvelle performance?

NICOLAS BOUGAÏEFF:  Pour moi, c’est un nouveau décollage. Je sais que les gens me connaissent plus pour la musique de club ou de rave, mais je ne veux pas anticiper sur le ressenti du public. Je laisse les gens faire ce qu’ils veulent de ma musique. Cependant, au fond de moi, j’espère que les gens vont être transcendés par ma musique et toucher par l’intimité que je veux partager avec eux. 

PAN M 360 : Originaire de Trois-Rivières, tu as fait des études en musique d’abord classique à l’université McGill et au Conservatoire de  musique de Montréal, puis tu as obtenu un doctorat en techno minimale. Ne trouvant pas un espace suffisant à Montréal pour évoluer dans ton domaine, tu es parti vivre à Berlin, en 2005. Ton premier appartement était juste à côté du mythique Berghain. De là est née ta révélation et ta carrière s’est épanouie naturellement. Ta musique, me semble, le reflet de toute cette longue et riche expérience. Saccades et Paroxysmes, enregistrement paru en mars 2022 sur ton label Denkfabrik,se veut une expérimentation entre texture électronique et l’improvisation d’une pianiste française, Justine Ekhaut.  Définitivement techno, ton premier album acclamé, The Upward Spiral , est lancé sur l’étiquette Mute en 2020,Mon ressenti est que ton éclectisme est une suite logique de mûres réflexions et d’un processus d’intellectualisation de ta pratique. Ta techno est hyper raffinée, hyper efficace. Qu’en penses-tu?

NICOLAS BOUGAÏEFF:  Merci beaucoup. Ça me touche…Mon voyage dans la techno a été un exercice d’intégration, en fait. J’ai un éventail de techniques qui me permettent d’appliquer différentes méthodes de composition musicale de manière large. J’ai vécu ça comme une façon de m’immerger totalement dans la culture techno berlinoise. Berlin a été naturellement accueillante avec moi. J’ai eu la chance de sortir ma musique sur différents labels, de jouer dans de nombreux clubs et de rencontrer des artistes qui m’ont fait confiance. Je me suis nourri de toute cette atmosphère pour travailler ma musique. J’aime repousser mes limites le plus loin possible et je jongle avec les règles. 

PAN M 360 : Tu as eu la chance de collaborer avec Richie Hawtin en fondant l’entreprise de création logicielle Liine en 2010 et l’appli MIDI/OSC Lemur. Puis, tu as fondé la Berlin Academy of Electronic Music. Quand, je disais précédemment que tu intellectualisais ta musique, c’est aussi en lien avec ces projets. Nous sommes dans un cercle vertueux: artiste, développeur d’outils de production et enseignement. J’aimerais savoir ce qui t’a mené à développer ces outils que tu as commercialisés avec succès et cette idée d’école de musique. 

NICOLAS BOUGAÏEFF:  Pour moi, ce sont des grands grands thèmes! Moi, je voulais apprendre la musique de A à Z, être le plus érudit possible sur tous les aspects de la musique. Je sais qu’il est difficile d’être un expert dans tous les domaines, mais j’avais soif de savoir. Je n’ai jamais fait harmonie jazz et ça sera mon prochain défi. Mais, j’ai brassé un maximum de savoir sur les concepts de la musique, son histoire, sa pratique, les différents styles etc.. Les outils développés avec Liine résultent d’un concours de circonstance car c’étaient des outils que j’avais créés pour ma propre pratique musicale. Puis, un collègue avait découvert ce que je faisais et m’a mis en contact avec Richie (Hawtin) qui a été conquis par l’outil. À cette époque, j’avais peu de concerts à mon actif. Et ce fut, effectivement, une grande porte ouverte pour la suite des choses. En ce qui concerne, mon école de musique c’est le fruit d’un processus naturel pour moi. Je suis enseignant depuis plus de 15 ans. Mon envie était de pallier au manque d’enseignement et de formation concernant la musique électronique. Quand j’étais jeune, il était très rare d’avoir des cours sur ce domaine musical contrairement à d’autres styles de musique. Il faut savoir aussi que je suis issu d’une famille d’enseignants, donc j’ai toujours été immergé dans ce milieu. Pour moi, ça fait partie du jeu. On reçoit et on donne. 

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