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Vaste projet d’Isolde Lagacé, excellente directrice artistique sortante d’Arte Musica qui gère la programmation de la Salle Bourgie, l’intégrale du prodigieux corpus des cantates sacrées de Johann Sebastian Bach et se concluera au terme de la saison 2022-2023, soit au terme d’une huitième année !
Avant la pause estivale, trois cantates sont interprétées par l’Orchestre de chambre I Musici de Montréal sous la direction de Jean-François Rivest, nouveau conseiller artistique et premier chef invité de l’orchestre de chambre fondé jadis par feu le violoncelliste Yuli Turovsky. Le maestro Jean-François Rivest est invité par PAN M 360 à expliquer les enjeux artistiques et spirituels de ces trois cantates au programme de la Salle Bourgie, jeudi et vendredi : Ich ruf zu dir, Herr Jesu Christ BWV 177, Allein zu dir, Herr Jesu Christ BWV 33, Ich glaube, lieber Herr, hilf meinem Unglauben BWV 109.
PAN M 360 : Comment avez-vous été invité à piger dans cet immense corpus des cantates de Bach?
JEAN-FRANÇOIS RIVEST : Lorsque Isolde Lagacé m’a présenté la liste des cantates qui restaient dans le répertoire amorcé il y a sept ans, il n’y en avait pas beaucoup. Grâce à elle, on a eu droit en tant que public à cette étonnante intégrale, mais aussi ça aura poussé un très grand nombre de musiciens à Montréal de travailler un répertoire extrêmement exigeant et de développer une expertise. Les chanteuses et chanteurs recrutés pour ces concerts en ont fait des centaines. Ce n’est pas négligeable.
D’une part, ce n’est pas si facile à mettre en place. C’est une œuvre hétéroclite. Toutes sortes d’instrumentations, solistes nombreux en général, c’est compliqué de monter ces cantates. La deuxième difficulté est l’immensité du corpus. On parle de 200 et les musicologues s’entendent pour nous dire qu’on en a perdu au moins une centaine. Je parle régulièrement à mon ami le musicologue Gilles Cantagrel qui a écrit un ouvrage considérable sur les cantates de Bach et on fabule encore sur ce qu’on aurait pu avoir si on avait la véritable intégrale incluant les œuvres disparues.Monter les cantates est donc un gros projet.
PAN M 360 : Y a-t-il un lien entre les trois cantates sélectionnées pour ce programme?
JEAN-FRANÇOIS RIVEST : Premièrement , j’ai choisi trois cantates avec une instrumentation plutôt homogène. J’ai évité les trombones, trompettes et timbales dans un seul mouvement et toutes sortes d’autres caractéristiques de ce type. On a trois cantates basées vraiment sur les chœurs. Les chœurs initiaux des trois cantates sont vraiment fantastiques, absolument sublimes, extraordinaires! Ça nous fait 4 chœurs développés et deux chorals, c’est donc très riche à ce niveau.
Deuxièmement, ces œuvres sont largement basées sur les hautbois et le basson, et on a ici des interprètes formidables. On a aussi un grand air de cor anglais, un duo pour violon solo et basson solo, ce qui est assez rare dans le répertoire de Bach. Il y a des airs absolument incroyables, un air de ténor avec une ouverture à la française avec des modulations uniques dans l’œuvre de JS Bach, ça passe de si mineur à la mineur en deux ou trois mesures, c’est assez flabergastant ! Il y a aussi un air de la cantate 33 pour alto solo qui est un des plus beaux de tout le répertoire des cantates, un chef-d’œuvre absolu. De plus, ces morceaux sont très actifs au niveau du contrepoint, un peu comme des sinfonias et concertos instrumentaux où se greffent les chœurs.
PAN M 360 : Évidemment, il s’agit de musique sacrée et donc l’art se trouve au service de la spiritualité chrétienne. Quel sens en tirer?
JEAN-FRANÇOIS RIVEST : Ces trois cantates sont assez homogènes sur le propos. Le titre de la première est Je crie vers toi Seigneur… les trois cantates implorent l’aide du Très Haut en lui disant qu’on a confiance qu’il va nous donner son amour. Toujours cette espèce de paradoxe du cri angoissé du pas assez croyant que je suis et le réconfort inouï que je sens que le Tout Puissant va me donner. Ce paradoxe, l’art étant très souvent construit sur des éléments presque opposés, se trouve au cœur de l’imagination humaine. La spiritualité est peut-être la plus grande preuve que l’imaginaire est une des plus belles qualités de l’humain. Elle a permis aux pauvres gens d’avoir confiance en la vie, surtout à une époque où on n’avait pas la science pour comprendre les choses. Les gens avaient alors peur de tout et ces croyances ont assurément donné confiance aux gens.
PAN M 360 : Lui-même un chrétien fervent, JS Bach mettait la musique au service de l’âme, comme c’était le cas de la plupart de ses contemporains. De quelle manière s’y prenait-il?
JEAN-FRANÇOIS RIVEST : Bach était un immense pédagogue. Les cantates sont des sermons mis en musique. Ce sont des pédagogies spirituelles. Bach prenait une notion très simple et souvent fondée sur le paradoxe dont je parle, et il nous l’exprimait sous toutes ses facettes pour qu’on la comprenne avec notre cœur et notre âme, au-delà de notre esprit cartésien. Alors c’est de la spiritualité exprimée avec de l’émotion. Ça va de pair avec ce côté luthérien où la musique est au cœur de l’activité spirituelle. La chorale était omniprésente et chaque œuvre avait son identité émotionnelle. À cause de Luther, l’Allemagne était devenu le pays le plus musical d’Occident et nous avait donné Bach, Haydn, Mozart etc. Tout ça pour dire que les cantates, c’est le meilleur exemple de cette illustration « émotivo-musicale » de ces notions spirituelles. Et en ce qui nous concerne, les trois cantates sont assez homogènes dans leur message. Dans la deuxième cantate, par exemple, un chanteur scande le titre de la première! Vers la fin de chaque œuvre, il y a toujours une joie qui naît dans les airs, il y a cette joie d’avoir compris qu’on sera sauvé, qu’il y a une solution à mon problème, etc.
PAN M 360 : Incroyable prolificité d’un génie absolu de la musique!
JEAN-FRANÇOIS RIVEST : Oui! Il faut rappeler que Bach était très occupé à faire autre chose que de composer. Il était restaurateur d’orgues et sillonnait le pays pour réparer les orgues. Il était aussi chercheur avec son lot de réunions et gestion de dossiers administratifs. Le midi, lorsqu’il avait une petite heure de libre, il écrivait un bout de sa Passion selon Saint-Matthieu. Moi-même je fais cette vie-là et je ne serais jamais capable d’avoir ue tele inspiration.
PAN M 360 : Parlez-nous des solistes invités à exécuter ces cantates :
JEAN-FRANÇOIS RIVEST : On a Andréanne Brisson Paquin qui est notre soliste soprano, une chanteuse bien aimée des membres de I Musici. On a aussi Nicholas Burns, actuellement considéré comme le meilleur contre-ténor au Canada. Emmanuel Hasler, un ténor français extraordinaire, lui est venu ici pour faire un doctorat à l’université de Montréal, je l’ai connu dans ce contexte. Je l’ai aussi invité à travailler sur divers concerts en France, notamment avec l’Orchestre symphonique du Pays Basque à Bayonne où je suis très souvent chef invité. On va le voir sur les grandes scènes un jour car de telles grandes voix de ténor, c’est rare. Et le baryton Geoffroy Salvas, bien connu dans le milieu.
Nos deux hautboïstes sont Marjorie Tremblay et Mélanie Harel, qui fera également le solo de cor anglais, et Julie Triquet qui fait les solos de violon, sans compter Christophe Gauthier, notre continuiste officiel.
I MUSICI DE MONTRÉAL
Jean-François Rivest chef
Andréanne Brisson Paquin soprano
Nicholas Burns contreténor
Emmanuel Hasler ténor
Geoffroy Salvas baryton
PROGRAMME :
Prélude de choral Ich ruf zu dir, Herr Jesu Christ [Je crie vers toi, Seigneur Jésus-Christ / I call to you, Lord Jesus Christ], BWV 639 (Orgelbüchlien, 1708-1717)
Cantate Ich ruf zu dir, Herr Jesu Christ [Je crie vers toi, Seigneur Jésus-Christ / I call to you, Lord Jesus Christ], BWV 177
Destination liturgique / Liturgical purpose Quatrième dimanche après la Trinité / Fourth Sunday after Trinity
Première audition / First performance Leipzig, 6 juillet 1732 / Leipzig, July 6, 1732
Livret / Libretto Auteur inconnu / Unknown author
Formation / Instrumentation : soprano, alto, ténor / chœur / hautbois I-II, hautbois da caccia, basson, violon concertant, violons I-II, alto / basse continue Chœur (choral) Aria d’alto Aria de soprano Aria de ténor Choral
Cantate Allein zu dir, Herr Jesu Christ [En toi seul, Seigneur Jésus-Christ / To you alone, Lord Jesus Christ], BWV 33
Destination liturgique / Liturgical purpose Treizième dimanche après la Trinité / Thirteenth Sunday after Trinity Première audition / First performance Leipzig, 3 septembre 1724 / Leipzig, September 3, 1724
Livret / Libretto Auteur inconnu / Unknown author
Formation / Instrumentation Alto, ténor, basse / chœur / hautbois I-II, violons I-II, alto / basse continue Chœur (choral) Récitatif et arioso de basse Aria d’alto Récitatif de ténor Duo de ténor et basse Choral.
Cantate Ich glaube, lieber Herr, hilf meinem Unglauben [Je crois, cher Seigneur, viens en aide à mon manque de foi / I believe, dear Lord, help my unbelief], BWV 109
Destination liturgique / Liturgical purpose Vingt et unième dimanche après la Trinité / Twenty-first Sunday after Trinity Première audition / First performance Leipzig, 17 octobre 1723 / Leipzig, October 17, 1723
Livret / Libretto Auteur inconnu / Unknown author
Formation / Instrumentation Alto, ténor / chœur / hautboI
I MUSICI DE MONTRÉAL
Violon solo / Concertmaster : Julie Triquet
Violons : Amélie Benoît-Bastien, Denis Béliveau, Annie Guénette, Dominic Guilbault, Christian Prévost, Mana Shiraishi
Altos : Anne Beaudry, Suzanne Careau
Violoncelles : Alain Aubut, Tim Halliday
Contrebasse :Yannick Chênevert
Hautbois : Marjorie Tremblay, Mélanie Harel
Basson : Alex Eastley
Orgue (basso continuo): Christophe Gauthier
CHŒUR
Sopranos : Stephanie Manias, Rebecca Dowd Leks
Altos : William Duffy, Charlotte, Cumberbirch
Ténors : Kerry Bursey, Arthur Tanguay-Labrosse
Basses : John Giffen, William Kraushaar