Figures héroïques abénakises, animaux, insectes, esprits de la nature et marionnettes ont investi la scène du Théâtre Outremont samedi et dimanche. Présenté dans le cadre de deux importants festivals, soit la Semaine du Neuf du Vivier (8 au 16 mars) et le Festival international de Castelliers (3 au 9 mars), Nanatasis est un opéra en trois légendes, élaboré par la conteuse et librettiste abénakise Nicole O’Bomsawin et la compositrice canadienne d’origine mexicaine Alejandra Odgers sur une commande de la compagnie Musique 3 Femmes.
S’il y avait un évènement à ne pas manquer pour parachever la semaine de relâche, Nanatasis fait incontestablement partie du lot. Le parterre du théâtre était garni de jeunes enfants, de parents et de familles, curieux de venir entendre et découvrir cette œuvre éminemment accessible.
Deux des trois légendes mettent en scène les aventures du jeune Abénaquis Kl8sk8ba, qui deviendra un héros après avoir traversé bien des épreuves pour sauver son peuple. Ces histoires se dévoilent devant nous en étant racontées par le personnage de Grand-mère Marmotte. En premier, c’est la création avec l’émergence des mondes matériels et spirituels qui s’éveillent aux sons d’un hochet et de ses rythmes musicaux qui amènent la vie. Le deuxième conte met en scène le héros Kl8sk8ba qui aide l’orignal géant Moz, dont la taille colossale menace la forêt, à devenir plus petit, alors que le troisième conte voit le même protagoniste parcourir le temps glacial de son pays, dominé par l’esprit Pebon, vers le sud afin d’y ramener l’esprit de l’été Niben pour que la nature et les animaux puissent ainsi sortir de leur sommeil.
Les contes se dévoilent devant nous sur un plateau avec une scénographie et une mise en scène inventive et astucieuse de Troy Hourie. Des structures et des projections sur toile avec des jeux d’ombres et d’éclairages créent un environnement dans lequel se meuvent différentes marionnettes représentant les différents personnages. Les chanteurs et chanteuses n’interprètent donc pas directement sur scène les personnages, mais prêtent leur voix à ces figures animées par Andrew Gaboury, Ivanie Aubin-Malo, Karine St-Arnaud et Lysanne O’Bomsawin. La basse William Kraushaar, par exemple, incarnait parfaitement le massif Moz avec une voix grave et profonde qui demeurait tout aussi agile et claire. Seule exception, le rôle de Kl8sk8ba incarné vocalement par le ténor Mishael Eusebio qui interagissait et actait de manière plus soutenue dans l’environnement avec son double au format de marionnettes. Son jeu, tant scénique que vocal, était tout à fait à propos. Chaque interprète (Odéi Bilodeau, soprano ; Kristin Hoff, mezzo-soprano ; Élise Bouchard-DeGonzague, mezzo-soprano) avait une partie vocale signifiante qui contribuait à l’action.
La musique d’Alejandra Odgers est de facture tonale. Le choix d’un instrumentarium percussif, incarné par l’ensemble SIXTRUM et dirigé pour l’occasion par Christopher Gaudreault, s’imbrique de manière naturelle et vivante dans l’univers de l’opéra. Tel que rapporté par la compositrice dans cette précédente entrevue, le choix d’un ensemble de percussions et d’une flûte rend hommage à l’emploi des instruments par les Abénakis et chaque conte possède son univers musical bien distinct. La création du monde s’ouvre avec le son des hochets qui s’amalgame de plus en plus, les pas de Moz sont exemplifiés par la lourdeur des tambours et les saisons par les sons des métallophones et de la flûte. Par ailleurs, le conte des saisons est celui où l’imagerie du langage d’Alejandra Odgers a été le plus riche, allant chercher des timbres et des effets instrumentaux recherchés, notamment les cloches tubulaires pour donner à l’hiver un enrobage mystérieux, la flûte, tenue par Josée Poirier, pour illustrer le vent et le chant des oiseaux.
D’une durée de 55 minutes sans entracte, le format est parfait pour offrir une vignette riche du langage musical de l’opéra, avec ses passages récités, ses airs et son emploi imagé du son des instruments. Il répond parfaitement aux personnes moins accoutumées au genre, sans pour autant tomber dans la complexité et les excès de conventions du style. Après l’avoir entendu une première fois, nous nous sommes dit, comme plusieurs dans l’assistance, que trois légendes c’est bien, mais qu’on aurait pu en prendre encore avec bonheur.
crédit photo: Claire Martin