Deux rencontres simultanées avaient lieu hier à la salle Bourgie à Montréal : des interprètes français et québécois de musique d’aujourd’hui joignaient leurs forces, soit l’Ensemble Variances et Paramirabo, et, deux diffuseurs, Bourgie elle-même et Le Vivier, coproduisaient l’événement. Le thème-titre du concert, Pulse, laissait deviner une soirée placée sous le signe de la musique répétitive étasunienne. Pulse est d’ailleurs le titre éponyme d’une pièce de Steve Reich, grand maître du genre, placée en seconde place dans l’ordre du programme.
Or, la présence de la pulsation comme colonne musicale et architecturale s’est faite beaucoup plus subtile et discrète que présumée. Une pulsation bien plus évoquée que martelée, dans ces cinq œuvres écrites par deux femmes et trois hommes, et dont deux constituaient une création mondiale, et une autre, nord-américaine!
Still Life in Avalanche, de l’excellente Missy Mazzoli, correspond d’emblée à l’idée que l’on se fait du minimalisme répétitif, mais son orchestration fait hésiter et hoqueter la linéarité du beat ainsi que la tonalité initiale de la pièce. On se retrouve avec des épisodes ludiques et, oui, pulsatifs, façon John Adams dans ses sonorités, mais qui s’échangent la prééminence avec d’autres passages assagis, plus chromatiques tendant parfois vers l’atonal. On dirait un tango schizophrénique réalisé par un couple dysfonctionnel. Très intéressant.
Steve Reich lui-même, avec son propre Pulse, relativise nos aprioris sur cette musique avec une pièce qui apparaît substantiellement plus apaisée que ses chefs-d’œuvres mieux connus comme Music for 18 Musicians, Different Trains, Drumming, Piano Phase, etc. Ici, la pulsation si emblématique de la musique de l’Étasunien se déploie en douceur et se fait bien moins percussive. D’ailleurs, aucun instrument de percussion n’est présent. Le tempo est également ralenti. Du Reich, certes, mais presque zen.
Le pivot central de la soirée, la pièce faisant office de séparation entre deux parties de deux pièces chacune, était Les Mémoires du miroir de quartz du Montréalais Marc Patch, pour piano solo. Composée en 1992, la pièce était jouée pour la toute première fois (d’où son statut de ‘’création mondiale’’!). Je comprends encore mal la pertinence de celle-ci dans la logique du programme. Il s’agit d’un exercice résolument atonal, fait de fulgurances d’accords violents, façon Stockhausen, entrecoupant des passages en cascades perlées et lumineuses. On est plus à Darmstadt que dans le New York des minimalistes. Cela dit, ne vous méprenez pas sur mes propos : Les Mémoires du miroir de quartz est une excellente pièce, jouée avec conviction, précision technique et contrastes brillamment suggérés par Thierry Pécou. Mais, aucun rapport avec le reste. Peut-être, justement, pour faire contraste? Je n’ai rien contre, mais on aurait pu expliquer.
Cassandra Miller, Montréalaise d’adoption vivant maintenant à Londres, suivait avec Perfect Offering, en création nord-américaine. En apparence simple, on devine l’extraordinaire difficulté de bien mettre en place cette pièce qui s’amorce comme un hommage aux frères Eno, Brian et Roger. On s’imagine en effet dans Music for Airports, œuvre culte et fondatrice de l’ambient contemporain dans les premières minutes. Mais contrairement à celle-ci, la pièce de Miller évolue de façon plus étoffée en se gonflant de puissance et de résonance, crescendo palpable qui se résorbe dans un faux fade out au violon et à la clarinette, cette dernière se faisant de plus en plus imperceptible, jusqu’à un pianissimo infinitésimal, véritable tour de force du soliste (Carjez Gerretsen, remarquable). C’est la fin? Non! On repart, avec un brin plus d’élan qu’au début, et désormais, la pulsation se fait plus invitante. La véritable conclusion est plus abrupte que souhaitée. Je pense que je préférais la fausse fin en infinie disparition de la clarinette. N’empêche : Perfect Offering, si elle n’est pas parfaite, est néanmoins une offrande grandement appréciée.
Le concert s’est terminé avec une création mondiale, une vraie, écrite en 2023 par Thierry Pécou lui-même. Les deux ensembles étaient conviés à jouer Byar, inspirée de la musique pour gamelan balinais. On connaît plusieurs Canadiens qui se sont inspirés eux-mêmes de cette musique : Colin McPhee, l’un des premiers, et Claude Vivier bien sûr. Pécou convoque un peu leurs visions, mais en les enrichissant de bien d’autres et en émulsionnant le tout dans le creuset de sa propre personnalité musicale, déjà très riche. Byar fait penser à un improbable cours d’eau circulaire, faits de remous tumultueux et de passages balisés. Expressionnisme coloristique, et cohésion structurelle d’inspiration répétitive mais souvent éclatée par des explosions spontanées, Byar est une oeuvre que je qualifierais de post-pulsation, post-répétition, ou encore post-moderne sans remords à piquer des éléments ici à l’avant-garde, ailleurs au minimalisme classique. J’ai besoin de la réentendre pour commencer à en apprécier toutes les nuances et les implications. C’est bon signe.
Excellentes performances des musiciens sur scène (et souvent ailleurs dans la salle, en projection spatiale et sonore multidirectionnelles).
Le public qui garnissait correctement la salle Bourgie (j’aurais aimé plus, quand même) a chaudement applaudi, avec raison.