La kora est une des inventions africaines les plus fantastiques. Cette harpe à 21 cordes, faite de calebasse (une grosse courge très dure) et de peau de vache, inventée à la fin du 17e siècle, a permis aux griots d’Afrique de l’ouest de créer une musique complexe aux possibilités harmoniques très riches.
Mon premier contact auditif avec cet instrument s’est produit à l’été 1979 (ça ne me rajeunit pas…) dans un bar post-hippie de Olympia, aux Etats-Unis, lors d’une assemblée de radios communautaires. On y jouait le disque de Mandingo Griot Society et tous les gens à notre table ont arrêté de parler; certains se sont mis à danser. « Qu’est-ce que c’est que cet instrument, c’est si beau », s’est écrié quelqu’un. Nous avons dû faire nos recherches plus tard. À cette époque, il n y avait pas d’internet ni de téléphones cellulaires.
À partir du milieu des années 80, la vague musicale africaine a déferlé sur l’occident, nous amenant de multiples kora dans son sillage.
La Nuit de la kora est devenue un incontournable du festival Nuits d’Afrique. Pour l’incarner en 2024, qui de mieux que Prince Diabaté, surnommé le « Jimi Hendrix de la kora ». Originaire de la Guinée Conakry, issu d’une lignée de griots, ces journalistes chanteurs traditionnels mandingues, Prince Diabaté est un innovateur de la kora, ayant parfois fusionné avec la modernité, la pédale WahWah, le rap et la musique symphonique. Le prince de la « kora alternative », dit-on.
Toutefois, au Gésu, ce 14 juillet, Prince Diabaté s’est présenté dans une formule plus intime, en solo, avec sa kora toute rouge, avec son nom gravé dessus. Est-ce par manque de moyens ou par souci d’authenticité ? Peu importe, le résultat a enchanté le public, plutôt nombreux.
Prince Diabaté fusionne totalement avec son instrument. Il arrive à en extraire des notes inconnues, inédites, parfois en cascades, parfois en douceur. Il chante aussi d’une voix agréable, ou déclame des paroles de chansons traditionnelles ou des compositions. Il lui arrive aussi de taper sur la caisse de son instrument avec force, pour créer des surprises rythmiques.
Pour moi, il y a quelque chose d’étrangement intemporel dans cette performance. Je ne peux pas l’expliquer. Ce son, basé sur des traditions séculaires, est étonnamment actuel.
En première partie, le malien devenu montréalais Diely Mori Tounkara, s’est présenté pieds nu, avec un chapeau sur la tête. « On va avoir du fun ce soir », a-t-il dit d’entrée de jeu. Diely est moins flamboyant que Prince Diabaté, mais son jeu plus méditatif, utilisant beaucoup la réverbération, n’est pas dénué d’intérêt, bien au contraire. Cet artiste émérite de la diversité montréalaise nous a fait passer un excellent moment. Pour couronner la soirée, les deux musiciens ont joué ensemble, improvisant un après l’autre en alternance.
Le public, majoritairement blanc mais avec une importante composante africaine était gagné. Il n’y avait plus de couleurs, d’ethnies, de langues, de différences. Tout le monde était uni par la kora.