FIMAV 2024 | Un 18 mai à Victo

par Alain Brunet

La quarantième présentation du Festival international de musique actuelle de Victoriaville s’est conclue le dimanche 19 mai au Carré 150, au terme d’un ultime concert donné par l’ensemble du guitariste scandinave Kim Myhr.  Si cette nouvelle mouture du FIMAV avec Scott Thomson à la barre a attiré moins de mélomanes que l’an dernier, ce qui était largement prévisible (le facteur John Zorn y fut déterminant, tout comme le départ de Michel Levasseur, son fondateur), la nouvelle direction artistique a offert dans l’ensemble une proposition solide, de fort belle tenue, comportant bien assez de beauté et de substance pour que l’impression de satisfaction domine au retour à la maison.

Allons-y pour un résumé du 18 mai 

The Dwarves of East Agouza

Le guitariste et compositeur Sam Shalabi puise son identité à Montréal et au Caire, en voici une autre manifestation avec The Dwarves of East Agouza, trio fort divertissant qu’il forme avec l’Égyptien Maurice Louca  (claviers, beats) et l’Américain Alan Bishop (basse, saxo, voix). À la fois oriental, psychédélique et vaudevillesque, cet épisode du 40e FIMAV aura laissé sa marque dans la nuit.

Joëlle Léandre, Matt Maneri, Craig Taborn, Roaring Tree Trio

Le projet hEARoes mené par ce trio fut sans conteste un des très bons albums de musique improvisée parus en 2023. Son prolongement sur scène nous a permis d’en confirmer les qualités plus que probantes. Sans forcer, il est permis de conclure à une rencontre de très haut niveau entre trois musiciens de grande expérience, en symbiose claire et nette. On ira même jusqu’à dire qu’il s’agissait là d’une des meilleures exécutions de Joëlle Léandre en sol canadien. Et que ce lien établi entre la contrebassiste,  Taborn et Maneri, deux top guns du jazz contemporain, est exceptionnel. La qualité de l’écoute propulse ce discours collectif et ravit. On se souviendra de merveilleuses constructions aux archets, ponctuées par un discours pianistique très contemporain. Suave.

Roscoe Mitchell solo

Artiste-clé de Chicago depuis les années 60, le Art Ensemble of Chicago et la multitude de projets menés en parallèle et par la suite, Roscoe Mitchell arrive encore à produire des sons avec ses saxophones. Le baryton est exigeant pour le musicien de 83 ans, et ce dernier nous fait la surprise de jouer des variations inspirées de musiques sacrées, anciennes ou baroques.  Puis il retourne aux fréquences plus élevées du soprano et nous ramène à ce free jazz dont il a créé ses propres variantes. Encore capable de jouer et heureux d’être là, résumons les choses ainsi pour le vénérable Roscoe Mitchell.

Bill Orcutt Guitar Quartet

De San Francisco,  Bill Orcutt a fondé son propre quatuor de guitares électriques et en a donné la direction esthétique, soit un mélange inédit de country folk americana et de de prog expérimental. Les racines américaines de la guitare virtuose y sont clairement exposées, les circonvolutions harmoniques ici présentées puisent dans le folklore guitaristique américain et hissent ce patrimoine dans une modernité parfois étonnante. Deux Telecaster chez les hommes (Bill Orcutt et Shane Parish), deux Jaguar chez les femmes (Ava Mendoza et Wendy Eisenberg), somme toute les meilleures solistes de cet ensemble. L’univers de Bill Orcutt est une zone d’exploration supplémentaire pour les férus de folk et de rock, il en reste toujours un peu de robustesse dans l’exécution malgré le raffinement de la proposition. À écouter, donc, Music for Four Guitars, sous étiquette Palilalia Records.

Sophie Agnel, John Butcher

Les profanes de  la musique improvisée comprendraient ce pourquoi elle nourrit et comble s’ils assistaient à une telle performance. Le saxophoniste britannique John Butcher (soprano et ténor) et la pianiste française Sophie Agnel ont fait la brillante démonstration de ce qu’est la symbiose de deux maîtres improvisateurs en temps réel. L’étendue du vocabulaire de nos protagonistes impressionne, l’écoute mutuelle encore davantage. On y savoure les sons les plus fins, les plus cristallins, les plus personnels, les plus étonnants,qui  s’entrelacent et induisent différents états. Le bruitisme acoustique, les harmoniques luxuriantes du piano lorsqu’on en frotte les cordes, le piaillement des suraiguës au soprane, la rugosité, la finesse, la vie dans tous ses recoins. Merveilleux duo !

Nicole Rampersaud Solo

On dit de la Néo-Brunswickoise Nicole Rampersaud qu’elle est un fleuron de la musique canadienne, si ce n’est pour sa maîtrise hallucinante des techniques étendues à la trompette. Pour s’en convaincre, il faut écouter Saudade, sous étiquette Ansible Editions, paru en 2023, et exécuté avec trompette, trompette piccolo et électroniques. Ainsi, cette matière a inspiré son concert donné à l’Église St-Christophe d’Arthabaska, ce qui a donné lieu à un alignement intéressant de trouvailles en techniques étendues qui seront certes utiles au lexique des trompettistes contemporains enclins à l’improvisation.

expérimental / contemporain / musique actuelle

FIMAV 2024 | Un 19 mai à Victo

par Alain Brunet

La quarantième présentation du Festival international de musique actuelle de Victoriaville s’est conclue le dimanche 19 mai au Carré 150, au terme d’un ultime concert donné par l’ensemble du guitariste scandinave Kim Myhr.  Si cette nouvelle mouture du FIMAV avec Scott Thomson à la barre a attiré moins de mélomanes que l’an dernier, ce qui était largement prévisible (le facteur John Zorn y fut déterminant, tout comme le départ de Michel Levasseur, son fondateur), la nouvelle direction artistique a offert dans l’ensemble une proposition solide, de fort belle tenue, comportant bien assez de beauté et de substance pour que l’impression de satisfaction domine au retour à la maison.

Allons-y pour un résumé du 19 mai 

Kim Myhr, Sympathetic Magic.

Le guitariste norvégien Kim Myhr et ses collègues d’Europe du Nord  ont fermé  les livres du 40e FIMAV, soirée dominicale de mai embaumée par la floraison des arbustes. Plein de guitares, plein de percussions, des claviers, quelques vocalises à l’occasion. Des tempos moyens, des grooves fondés sur des structures simples et linéaires, un travail essentiellement harmonique s’impose. Ça ne frémit qu’à l’occasion, le compositeur et son ensemble recherchent plutôt la plénitude harmonique, appellent à la contemplation. Quiconque cherchait de la densité et de la haute voltige instrumentale serait déçu. Quiconque cherchait à relaxer sous de bonnes ondes s’est contenté de cette offrande au titre évocateur : Sympathetic Magic.

Sélébéyone

Le saxophoniste américain Steve Lehman est à l’origine de Sélébéyone, qui devait marquer le retour du hip-hop dans le giron de la musique actuelle telle qu’on la promeut à Victo.  Deux pointures du rap, soit le Sénégalais Gaston Bandimic  et l’Afro-Américain HPRIZM (Antipop Consortium) au service d’un projet de groove jazz. On sait que le batteur Damion Reid est parmi les pionniers dans l’intégration du beatmaking hip hop, c’était donc excitant de le voir aux côtés de deux saxos aguerris, le Français Maciek Lasserre et l’Américain Steve Lehman, sans oublier une part importante de sons pré-enregistrés afin de soutenir le beat et les instruments mélodiques. Fort intéressant, mais une performance dans une salle multimédias et une sonorisation plus précise aurait fort probablement changé les impressions mi-figue mi-raisin de cette performance trop lisse pour ce qu’elle était ou ce qu’elle devrait être.

KAVAIN WAYNE SPACE / XT TRIO

Kavin Wayne Space alias RP BOO, est un pionnier du footwork (ou juke) à Chicago, sorte de réponse américaine au drum’n’bass et autres jungle britanniques. Ses rythmes footwork sont frénétiques pour la plupart, assortis de citations  puisées dans le R&B, le funk et le jazz groove ett accélérés de manière étourdissante.  Autour de lui dans ce XT Trio, le batteur Paul Abbott et le saxophoniste Seymour Wright tentent des choses. De petites choses faut-il préciser, puisque domine cette impression : la proposition rythmique du DJ/ beatmaker est plus considérable que les ajouts de la batterie en temps réel, et c’est idem pour le saxophone alto qui émet des quantités très limitées de notes et sons générés par des techniques étendues. Faut-il préciser que Seymour Wright est un minimaliste extrême dont l’émission limitée de notes est une signature. Pour une performance de près de 90 minutes, voilà qui est plutôt mince de prime abord mais il faudra réfléchir davantage à cette réplique très succincte de minimalisme acoustique à un maximalisme footwork.

Nate Wooley, Columbia Icefield

Le trompettiste, compositeur et improvisateur Nate Wooley a livré un hommage émouvant à son mentor, feu l’excellent trompettiste Ron Miles, mort prématurément en 2022 à l’âge 58 ans. Nate Wooley lui dédie ce projet Columbia Icefield, assemblage de plusieurs pièces composées dans un esprit similaire. Œuvre superbe! L’interprétation est prévue pour quatre : Ava Mendoza à la Fender Jaguar, très douée comme on l’avait noté la veille dans le quartette de guitares de Bill Orcutt; Susan Alcorn, authentique virtuose de la pedal steel guitar comme on pourra le constater au crépuscule du concert. La batterie et la percussions sont assurées par Ryan Sawyer, on retiendra un impressionnant motif tenu aux maracas. Cette heure de musique est extrêmement variée, les niveaux d’intensité suivent de belles courbes, on est captivé par la trame narrative de Nate Wooley. Le grand glacier canadien dont l’œuvre  est aussi l’évocation, s’en trouve honoré.

Don Malfon solo 

Avant de s’amener à Victo, le Catalan Don Malfon alias Alfonso Muñoz, avait épaté la galerie avec l’album Mutable (Relative Pitch, 2022) parce qu’il y enrichissait substantiellement le champ lexical des saxophones dans un contexte d’improvisation.  Vues et entendues à l’Église Saint-Christophe d’Arthabaska, ses explorations sont  effectivement remarquables, non seulement avec l’embouchure de l’instrument mais encore bien plus avec  l’usage de récipients transformés en sourdine, permettant au musicien de générer une vaste palette de sonorités singulières, peu communes au saxo jusqu’alors.  On ne peut affirmer cependant que cette suite d’effets a d’autres attraits que ceux de leur découverte en temps réel.

CMIM – Piano 2024 | Jaeden Izik-Dzurko, premier pianiste canadien à remporter les grands honneurs

par Alexandre Villemaire

Jaeden Izik-Dzurko a remporté les grands honneurs avec sa performance du Concerto no 2 en si bémol majeur de Brahms toute en finesse, livré avec une profonde musicalité et une cohérence, tant dans la technique que dans la vision de l’œuvre.

Après onze jours d’une compétition enlevante et relevée, c’est devant une Maison symphonique remplie que s’est ainsi conclue le jeudi 16 mai l’édition Piano 2024 du Concours musical international de Montréal. 

Natif de Salmon Arm en Colombie-Britannique, Jaeden Izik-Dzurko devient le premier Canadien à monter sur la plus haute marche du podium d’une édition piano du CMIM.

Il s’était auparavant illustré dans la compétition en remportant plusieurs prix spéciaux, dont celui du Meilleur artiste canadien remis par la Fondation Bourbeau (5000$). D’une valeur totale de 140 000$, le premier prix comprend notamment une Bourse de développement de carrière remise de 50 000$ par la Fondation Azrieli, le Prix Steinway Recording (d’une valeur de 54 000 $) offert par Steinway & Sons ainsi que plusieurs engagements de concerts dont une tournée coréenne en mars 2025 (Prix Steinway Prizewinner Concerts), un concert ou un récital dans une programmation subséquente de l’Orchestre symphonique de Montréal et un récital solo pour la saison 2025-2026 de la Coast Recital Society en Colombie-Britannique.

crédit photos: Tam Photography

L’Italien Gabriele Strata a remporté le 2e prix, d’une valeur de 15 000$ ainsi que le Prix du public ICI Musique d’une valeur de 5000$. Anthony Ratinov des États-Unis est quant à lui reparti avec le 3e prix d’une valeur de 10 000$. Les trois finalistes non classés, Elias Ackerley (Royaume-Uni; Corée du Sud), Derek Wang (États-Unis) et Jakub Kuszlik (Pologne) ont chacun reçu une bourse de 3000$. Présidé par le gestionnaire culturel Zarin Mehta (États-Unis, Inde), le jury international était composé de neuf membres : Dmitri Alexeev (Russie, Royaume-Uni), Lydia Artymiw (États-Unis), Louise Bessette (Canada), Jan Jiracek von Arnim (Allemagne), Robert Levin (États-Unis), Hélène Mercier (Canada), Ronan O’Hora (Grande-Bretagne, Irlande) et Minsoo Sohn (Corée du Sud). 

Enfin, les récipiendaires des prix spéciaux sont les suivants: Jakub KUSZLIK (Pologne), gagnant du Prix du Jury de la relève; Élisabeth PION (Canada),  gagnante du Prix de l’engagement philanthropique Bita-Cattelan (offert en partenariat avec Bita et Paolo Cattelan); Gabriele STRATA (Italie), gagnant du Prix Musique de chambre (offert en partenariat avec Dixi Lambert et le Festival de musique de chambre de Montréal); Jaeden IZIK-DZURKO (Canada), gagnant du Prix de la meilleure interprétation d’une sonate en demi-finale (offert en partenariat avec Anne Stevens); Jaeden IZIK-DZURKO (Canada),  gagnant du Prix André-Bachand pour la meilleure interprétation de l’oeuvre canadienne imposée (offert en partenariat avec Claudette Hould).

Le prochain rendez-vous du Concours musical international de Montréal se tiendra du 25 mai au 16 juin 2025 dans une édition qui sera dédiée à la voix. Un rendez-vous musical à inscrire sans plus tarder sur son calendrier.

classique

CMIM – Piano 2024 | Les finalistes dévoilés

par Alexandre Villemaire

C’est maintenant chose faite. Les dix demi-finalistes du CMIM, au bout de trois jours intenses, ont achevé de présenter leur programme devant le public de la Salle Bourgie et aux membres du jury international. Les quatre pianistes qui ont défilé dimanche étaient : Jaeden Izik-Dzurko (Canada), Arisa Onoda (Japon), Jakub Kuszlik (Pologne) et Antonio Chen Guang (Chine).

Cette dernière journée de demi-finale aura de nouveau été marqué par un haut niveau de jeu qui n’a pas rendu la tâche facile aux juges pour décider qui avancera au stade final de la compétition et qui des dix se verra remettre un des trois prix spéciaux pour la meilleure interprétation de la sonate, la meilleure interprétation de l’œuvre canadienne imposée et l’interprétation de musique de chambre. 

Dans ce carré d’as dominical, les concurrents ont offert des performances contrastées dont la plupart avait une construction de programme signifiante. Jaeden Izik-Dzurko s’est démarqué par une Sonate no 1 mi mineur de Rachmaninov dramatique et Arisa Onoda avec une interprétation sensible de la Sonate no 3 de Chopin. 

En deuxième partie d’après-midi, les programmes et les performances de Jakub Kuszlik et Antonio Chen Guang ont été enlevants et marqués par des moments d’une grande intensité émotionnelle. Kuszlik, déjà récipiendaire du Prix de la relève, a livré un programme faisant place à une grande intériorité et un profond lyrisme avec comme pièce centrale la Sonate no 3 en fa mineur de Brahms. 

Antonio Chen Guang a pour sa part offert une véritable épopée de style avec un programme au narratif musicale réfléchi, passant du monde de la nature avec Reflets sur l’eau de Debussy et Barbara Assiginaak au monde intérieur aspirant au recueillement avec la Sonate en la bémol majeur de Beethoven et l’arrangement par Busoni du choral Ich ruf’ zu dir, Herr Jesu Christ de J.S Bach pour finir au très fond de la Terre une danse infernale, la première Mephisto-Valse de Liszt. Tous deux ont eu droit à des applaudissements nourris et des ovations de la part du public.

Mais, comme dans toutes compétitions, le choix appartient au jury et l’intensité de l’applaudimètre n’est pas un élément toujours déterminant. S’exprimant par la voix de son président, Zarin Mehta, les noms de ceux qui accèdent à l’épreuve finale ont été annoncés autour de 18h30. Il s’agit d’Elias Ackerley (Royaume-Unis; Corée du Sud), Jaeden Izik-Dzurko (Canada), Jakub Kuszlik (Pologne), Anthony Ratinov (États-Unis), Gabriele Strata (Italie) et Derek Wang (États-Unis).

Gabriele Stata est récipiendaire du Prix Musique de chambre, d’une valeur de 2500$ offert par Dixi Lambert. Ce prix s’accompagne également d’une participation à un concert présenté dans le cadre du Festival de musique de chambre de Montréal, d’une valeur de 3500$. Le Canadien Jaeden Izik-Dzurko quant à lui réalise un doublé en remportant le Prix de la meilleure interprétation d’une sonate en demi-finale offert en partenariat avec Ann Stevens, d’une valeur de 3000$ ainsi que le Prix André-Bachand pour la meilleure interprétation de l’œuvre canadienne imposé, d’une valeur de 2500$, offert en partenariat avec Claudette Hould. 

Le prochain rendez-vous est donc fixé aux 15 et 16 mai à la Maison symphonique où les finalistes présenteront un concerto complet accompagné par l’Orchestre symphonique de Montréal, dans une soirée qui s’annonce sous les auspices de Tchaïkovski, Prokofiev, Brahms et Rachmaninov.

crédit photo: Tam Photograpy

Pour les infos sur les billets, c’est ICI

Le public est également appelé à voter en ligne pour décerner le Prix du public ICI Musique. La période de vote prendra fin 15 min après la finale du 16 mai.

Pour voter, c’est ICI

disco / électronique / funk

Random Access Memories, 11 ans plus tard: document HI FI au Centre PHI

par Alain Brunet

L’album Random Access Memories aura 11 ans le 17 mai 2024, le quatrième et ultime enregistrement d’envergure du célébrissime tandem français Daft Punk est devenu sans conteste un classique de la pop internationale, Grammys et Victoires à l’appui, avec des collaborations prestigieuses et un rayonnement planétaire quasi instantané.

Rappelez-vous le printemps et l’été 2013 !

Avaient alors défilé dans les studios investis par Daft Punk toutes ces pointures :  Nile Rodgers aux guitares, Nathan East à la basset, Pharrell Williams au chant, Giorgio Moroder en témoignage, sans compter Panda Bear (Animal Collective), Julian Casablancas (The Strokes), Chilly Gonzales, Paul Williams, Paul Jackson Jr., Omar Hakim, Todd Edwards, DJ Falcon, on en passe. 

Ces musiciens légendaires des années 70 s’étaient retrouvés en studio sous la férule de Daft Punk. Les mélodies se sont ensuite invitées, on raconte la naissance du méga tube Get Lucky, avec ici un riff de Nile Rodgers et là une ligne de Nathan East, puis le fameux chorus de Pharrell Williams. 

Méga-succès fondé sur la nostalgie des années 69-82, Random Access Memories avait conquis toutes les générations capables de faire la fête et s’avérait un modèle de perfection pour sa réalisation vintage, ses arrangements soignés, ses prises de son impeccables  et la qualité exceptionnelle d’un personnel ayant déjà marqué la pop mondiale.

Séduite et mobilisée ce rassemblement d’anthologie dans des « studios de légende », (notamment Electric Lady à NYC), l’animatrice Rebecca Manzoni , de l’émission Totemic à France-Inter, lançait il y a un an ce document audio en très haute fidélité (grâce au soutien technique de Sonorium) au sujet de la confection de Random Access Memories. 

On peut d’ailleurs écouter ce document audio en cliquant ici, mais nous vous suggérons plutôt d’en vivre l’expérience sonore de très haute qualité dans l’Habitat Sonore du Centre Phi, soit un salon tout confort permettant une authentique immersion en haute fidélité.

« Ce sont des sélections de l’album et non l’album au complet. Il existe toutefois un album anniversaire mais ce n’est pas le cas ici. Nous avons reçu le mix stéréo de France fait et nous avons spatialisé l’enregistrement avec un mix Dolby Atmos pour notre propre système », précise Philippe Rochefort, superviseur sonore créatif. 

Le document inclut d’ailleurs le témoignage Florian Lagatta du studio Gong, un ingénieur du son réputé en France, qui explique le contexte et l’origine de l’affaire qui remonte au début 2008 et qui avait commencé par la  recherche de vieux micros, d’une vieille console et autres cossins analogiques.

Typique de la radio publique française, ce document audio souligne que Random Access Memories, un album entièrement financé et produit par le tandem versaillais (Thomas Bangalter et Guy-Manuel de Homem-Christo), en beurre épais en le présentant comme un rempart contre la préfabrication technologique et l’intelligence artificielle. Le choix de technologies analogiques et de « vrais » instruments, typiques des années 70 et 80 au détriment des outils numériques, permet au document sonore d’affirmer une telle direction artistique prise par Daft Punk à sa dernière station.

On a droit, par ailleurs, à des extraits d’interviews de Thomas Bangalter et Guy-Manuel de Homem-Christo. 

Entre autres détails historiques dont se régalent les fans et musicophiles touz azimuts, les Daft Punk nous expliquent que Random Access Memories fut réalisé dans des conditions fort différentes des trois précédents, cette fois en studio traditionnel avec de « vrais musiciens ».

On se rappellera en outre que cette voie old school de la soul, de la disco, du funk et de la pop se voulait aussi d’un clin d’œil à leur enfance et leur adolescence, un rêve devenu réalité puisqu’ils pouvaient jouer avec leurs idoles.

« Redonner de l’humain dans la musique », voilà donc un objectif avoué qui se défend bien d’être passéiste.

CE PROGRAMME EST PRÉSENTÉ À L’HABITAT SONORE DU CENTRE PHI, JUSQU’AU 11 AOÛT

POUR RÉSERVER VOS PLACES, C’EST ICI

Daft Punk – Random Access Memories

Une création de Sonorium, avec le soutien de France inter. 

Durée

66 minutes

Horaire 

Mercredi: 16h30, 18h

Jeudi: 13h30, 15h, 16h30, 19h30*

Vendredi & samedi: 13h30, 16h30, 18h, 19h30*

Dimanche: 13h30, 15h, 16h30

*à partir du 16 mai

Tarifs*

Admission générale : 15$  

électronique

Un Boiler Room à Montréal, un 11 mai 2024 

par Salima Bouaraour

De Nairobi à Ramallah en passant par Dubaï, Tel Aviv, Hong Kong, Berlin, New York, Bogota ou Marrakech, Boiler Room est désormais une anthologie plus que sacrée pour les fidèles du royaume de la nuit sur tous les continents! Et voici l’escale montréalaise !

Du huis clos souterrain londonien au concept marketing international ou comment glorifier la culture de la célébrité: BR rayonne large! Ce projet londonien, né en 2010 et fondé par Blaise Bellville, dont le concept initial consistait à filmer des prestations de DJ ou de performance de producteurs. trices en direct en comité restreint dans un entrepôt délabré, est devenu un concept marketing de renommée mondiale à la réussite implacable. 

Chaîne de télévision sur le net, elle brasse des millions de vues, rémunère les artistes équitablement, favorise la diversité à toutes les échelles et propose une vision élargie de la musique au-delà de l’électronique (jazz, hip hop, soul…). Aujourd’hui, les musiques traditionnelles sont même de mise telles que les chants populaires de Khadija Warzazia et son orchestre féminin de bendirs lors d’un BR au Maroc. 

Montréal a accueilli son premier BR, il y a 11 ans. Des artistes de l’île comme le mythique Kaytranada, la polyvalente Ouri, l’éclectique San Farafina ou le génie Pierre Kwenders ont jalonné les coulisses de ce plateau télé du net. Samedi 11 mai, le collectif Laylit -mettant à l’honneur la scène swana et sa diaspora- , pour la deuxième fois consécutive (New York, en 2023), a organisé la soirée pour offrir une ligne artistique riche en musique swana, électronique et de chant populaire arabophone en mettant à l’honneur des artistes originaires de l’Afrique du Nord: Manalou (Algérie) et Chloé Lallouz (Maroc). Les fondateurs, Nadim Maghzal et Philippe Manasseh, les DJ hybrides de Wake Island, ont contribué à électrifier la foule. 

Le Quai du Vieux Port était en liesse sur deux étages durant 6 heures pour satisfaire 2 à 3000 jeunes en exergue de sensations nocturnes. Dans son ensemble, le plateau proposé était très vaste: Korea Town Acid, Chaos in the CBD, Kettama, Martyn BootySpoon et bien d’autres encore! (Liste complète ici: https://boilerroom.tv/session/montreal-24 ) En attendant, de pouvoir visionner ce Boiler Room sur le net (disponible dans quelques semaines sur https://www.youtube.com/@boilerroom ), PANM360 vous propose de vous délecter de celui réalisé à New York, en 2023, par l’équipe de Laylit!

MNSA, New York, 2023 

Saphe, New York, 2023 

indie pop

Un 10 mai à Santa Teresa | Thierry Larose, Caravane, Laraw et Loïc Lafrance

par Jacob Langlois-Pelletier

Notre collaborateur Jacob Langlois-Pelletier passe une large part du week-end au festival Santa Teresa. À son programme: Loïc Lafrance, Laraw, Caravane, Thierry Larose. Suivez le guide !

Quand le sherif fait la loi

Guitare à la main et arborant un chapeau à paillettes, l’auteur-compositeur-interprète Loïc Lafrance fait son entrée sur la minuscule scène Desjardins. « Ce soir, c’est moi le shérif », lance-t-il avant de débuter. Accompagné de son band, l’artiste du Bas-Saint-Laurent surprend avec des rythmes dansants et entraînants. On comprend tout de suite que les refrains constituent l’attrait principal de sa musique; mention honorable à celui de son morceau Clarence (les cowboys dans les magazines) qui a particulièrement plu aux festivaliers amassés aux abords du plateau. Au fil de son spectacle, le shérif a tiré dans tous les sens, touchant les cibles du rock et du folk puis en effleurant celle de la pop. 

Âgé de 22 ans, Loïc Lafrance tentera de l’emporter en finale des Francouvertes 2024, lundi prochain. Au vu de l’éclectisme de sa proposition et son attitude déjantée, on comprend tout de suite pourquoi les Montréalais ont été charmés par son art depuis le début du concours. Bien que son œuvre soit un tantinet générique, elle fut suffisamment sympathique pour bien débuter la soirée du côté de Sainte-Thérèse. 

Laraw, pop authentique à souhait

Quelques minutes après la prestation de Loïc Lafrance, c’était au tour de Laraw de monter sur scène, cette fois-ci du côté de la Microbrasserie Le St-Graal. Située au fond du bar et accompagnée d’une choriste et d’un guitariste, la Montréalaise a proposé une version acoustique de son premier album Quarter Life Crisis. Paru le 3 mai dernier, le projet de l’autrice-compositrice-interprète est une transposition musicale de texte issue de son journal intime des dernières années. Récemment, Pan M 360 s’est entretenu avec la chanteuse de 28 ans afin d’en connaître plus sur son processus créatif, voici le lien vers l’entrevue -> https://panm360.com/interviews-panm360/laraw-melodies-dun-journal-intime/

Dans cette formule intimiste, Laraw a donné une deuxième vie à ses différents morceaux; les sonorités rock bien présentes sur sa récente offrande se sont dissipées, laissant une place prépondérante à la pop. Sous étiquette Bravo Musique, sa délicatesse, son authenticité et son charisme sont à noter. Prêt à parier qu’elle sera à surveiller au cours des prochaines années, du moins le potentiel y est bien présent. 

Le rock puissant et sans complexe de Caravane

Six ans après leur projet Supernova, le groupe francophone Caravane a récemment fait son retour avec IV, quatrième album de la formation. Originaire de la ville de Québec, le band offre une musique rock simple, mais ô combien efficace. Avant Karkwa, groupe qui leur a d’ailleurs donné envie de chanter en français, le chanteur Dominic Pelletier et sa bande se sont assurés de décoiffer les amateurs et amatrices présents devant la grande scène. Le frontman possède une belle voix et s’apposent de façon splendide à la trame sonore du groupe grandement inspiré rock des années 90.

Plus les titres s’enchaînent, plus Caravane se déchainent. Pendant son titre Wô Menute, Dominic Pelletier est descendu dans la foule pendant que les musiciens se donnaient à cœur joie. Malgré cette finale quelque peu cacophonique, Caravane a définitivement fait bonne impression à leur retour. « En cas de doute, gaz au boute » est sans équivoque le dicton qui symbolise le mieux ce groupe qui revendique que le rock n’est pas mort. 

Coucher de soleil et poésie avec Thierry Larose

Quoi de mieux pour laisser retomber la poussière à Santa Teresa que l’arrivée de Thierry Larose sur scène. Acclamé par la critique pour son album Sprint! et sa récente tournée en compagnie de Lou-Adriane Cassidy et Ariane Roy, le jeune parolier a le vent dans les voiles et s’impose de plus en plus comme l’un des piliers musicaux importants de sa génération. Dès son entrée, Larose a offert Portrait d’une Marianne, imposant titre folk rock de sept minutes sur lequel s’ouvre son dernier projet. Graduellement, le soleil disparaît à l’horizon et les mélodies du Québécois continuent de charmer la foule du festival.

Pour sa prestation, Thierry Larose est accompagné de son band. Lou-Adriane y fait partie et l’accompagne à la guitare, tambourine, clavier et au chant. La chimie s’opère à merveille entre les deux protagonistes, Larose et Cassidy s’échangent les regards et les sourires. Nul doute, ils s’éclatent sur scène et c’est drôlement contagieux.

Joie, tristesse, mélancolie, nostalgie; sa poésie nous fait voyager à travers une vaste palette d’émotions tout en ayant cette envie incessante de taper du pied. La simplicité du jeune homme est plus que bienvenue sur la scène québécoise.

CMIM – Piano 2024 | Au cœur des demi-finales

par Alexandre Villemaire

Ils étaient 24, ils ne sont maintenant plus que 10. Au terme de la première épreuve de l’édition Piano 2024 du Concours musical international de Montréal qui s’est conclue le 7 mai, le jury international à fait avancer au stade de demi-finale les Britanno-Colombien Carter Johnson et Jaeden Izik-Dzurko, l’Italien Gabriele Strata et sa compatriote Michelle Candotti, les Américains Anthony Ratinov et Derek Wang, le Polonais Jakub Kuszlik, la Japonaise Arisa Onoda, le Chinois Antonio Chen Guang et le Britannique d’origine Sud-Coréenne Elias Ackerley dans une des épreuves qui se concluront dimanche après-midi.

Les dix demi-finalistes avaient ouvert le bal de la ronde le 10 mai, avec une première épreuve de demi-finale consacrée à la musique de chambre – une nouveauté cette année -, afin de permettre aux candidat.e.s de démontrer leur aisance dans le répertoire de musique de chambre ainsi que leur capacité de collaborer avec d’autres musiciens Entouré des trois premières chaises de l’OSM (Andrew Wan, violon; Victor Fournelle-Blain, alto; Brian Maker, violoncelle), les finalistes ont présenté le premier mouvement d’un quatuor pour cordes et piano. Le hasard de la sélection à placer cette phase de la compétition sous le signe de la musique de Robert Schumann, alors que 7 des 10 participants avaient à interprété le premier mouvement du Quatuor avec piano en mi bémol majeur, op. 57 de ce dernier : ce qui année donnée à un regard comparatif tant sur la cohésion de groupe que sur la manière des interprètes de traiter le matériel musical. Seul à jouer l’extrait du Quatuor pour piano et cordes no 1 en sol mineur de Brahms, Derek Wang a offert un fort moment de contraste avec une grande énergie alors que Onoda et Ackerley ont offert le premier mouvement du Quatuor pour piano et cordes no 1 en ut mineur  de Fauré dans une esthétique aérienne.

La journée du samedi 11 mai était dédiée à la présentation d’un répertoire de récital devant comprendre entre 45 et 50 min de musique avec une l’interprétation d’une sonate complète, une œuvre au choix des participant.es et l’œuvre canadienne imposée par le concours. Cette année, c’est la pièce Mzizaakok Miiniwaa Mzizaakoonsak (Taons et mouches à chevreuil) de la compositrice de la nation anishinaabe Barbara Assiginaak. Pièce figurative aux effets coloré inspirés de la nature, elle raconte l’histoire de Makwa (l’ours), harcelé par des taons et des mouches à chevreuil alors qu’il s’affaire à chercher des baies et du poisson à manger.  D’abord seul, l’insecte pernicieux grandit en nombre et, à force d’attaques illustrées par des accords dissonants, finit par avoir raison de l’animal dont le départ est chanté par les nymphes de l’eau avec une mélodie douce et cristalline situé dans l’aigu du piano. Cette œuvre fait partie du recueil An Abundance of Insects de la compositrice dont le premier livre a été endisqué par Philip Chiu en 2022.

Les pianistes qui ont défilé vendredi étaient Carter Johnson, Elia Ackerley, Gabriele Stata, Derek Wang, Michelle Candotti et Anthony Ratinov. Chacun a livré un programme varié empreint de de grande virtuosité avec des œuvres qui leur étaient chères.  Des candidats de cette journée, Gabriele Strata, Michelle Candotti, Anthony Ratinov et Elias Ackerley sont parmi les noms à surveiller; tant pour l’intelligence et la variété de leur programme que pour le rendu qu’ils en ont fait. Candotti et Ratinov ont chacun à ce titre interprété chacun une sonate de Prokofiev avec une verve et un jeu pianistique remarquable alors que les Variations sur un thème de Corelli de Rachmaninov par Ackerley ont plongé la salle Bourgie dans un moment de sérénité. Aucun n’est à sous-estimé tant la variété des jeux qui les distingue est grande et contrastée.

Dimanche, à 13h30, ce sera au tour des quatre derniers pianistes retenus en demi-finale, Jaeden Izik-Dzurko, Arisa Onoda, Jakub Kuszlik et Antonio Chen Guang de présenter leur programme. Au terme de celle-ci, les finalistes seront dévoilés ainsi que les lauréats des prix de la meilleure interprétation de sonate, de l’œuvre canadienne imposée et de musique de chambre.

Pour visionner la dernière séance de demi-finale, c’est ICI.

classique

Toronto Symphony Orchestra et Emily D’Angelo : Entre l’ombre et la lumière

par Alexandre Villemaire

Après avoir accueilli l’Orchestre de Paris et son jeune chef Klaus Mäkela en mars dernier et l’Orchestre de Philadelphie avec Yannick Nézet-Séguin un mois plus tard, c’était maintenant au tour de l’orchestre de la Ville Reine d’être accueilli dimanche dernier à la Maison symphonique de Montréal. Le Toronto Symphony Orchestra et son chef Gustavo Gimeno étaient de passage dans la métropole pour y présenter avec la mezzo-soprano italo-canadienne Emily D’Angelo, la suite enargeia, issu de son premier album du même nom paru chez Deutsche Grammophon. 

Nous avions nous-mêmes recensé avec une grande appréciation ce disque lors de sa parution en octobre 2021, relevant « l’audace de la jeune chanteuse qui déjouait toutes conventions, au moyen d’un programme éclectique mélangeant œuvres médiévales enrobées d’indie rock électro et pièces de compositrices du XXIe siècle. » 

La transposition sur scène avec un plus large effectif orchestral a-t-elle été réussi à rendre justice à l’enregistrement? Dans l’ensemble, nous pouvons dire que oui. 

Dans cette version concert, D’Angelo ne retient que certains des éléments musicaux de son opus, conservant dans cette suite ceux qui nourrissent une trame narrative abordant la thématique de la mort et du repos. Après une ouverture résumant l’esthétique de l’œuvre par Jarkko Riihimäki qui signe également les arrangements des dix pièces de la Suite, Emily D’Angelo enchaîne les œuvres d’Hildegard von Bingen, Hildur Guðnadóttir, Missy Mazzoli et Sarah Kirkland Snider, oscillant entre une atmosphère planante et des moments de grande vitalité. 

Après une introduction méditative de l’antiphonaire O Frondens Virga soutenu par une pédale de cordes qui se prolonge sur Fólk fær andlit de Guðnadóttir, c’est une complainte animée et angoissante (The World Within Me Is Too Small) qui amène la thématique de la mort de front. Moment phare du cycle, la transition entre la pièce Dead Friends et Lotus Eaters de Snider fait interagir avec ces contours pop une ligne vocale d’une grande profondeur avec un habillage de cordes auquel s’ajoute un ensemble de percussions avec batterie. 

Sans perdre de son intensité, le retrait de l’arrangement de guitare électrique présente sur le disque, vraisemblablement pour des raisons d’équilibre et de balance sonore, changeait le lustre de la pièce et la particularité notable de cette pièce qui nous avait profondément saisi la première fois. Compréhensible, même si nous aurions aimé avoir droit à cette même audace. 

Droite et vêtue d’un costume monochrome, D’Angelo a offert une performance sentie, remplie d’intensité et de nuances, tant sur scène que vocalement, même si nous avions l’impression qu’en début de prestation, la voix semblait quelque peu éteinte. Une impression qui s’est estompée au fil de sa performance où sa voix chaude, grave et envoûtante s’est fait entendre. 

L’œuvre était encadrée de l’Ouverture Coriolan de Beethoven – interprété avec fougue et relief -, et la Symphonie no1 en do mineur de Brahms, autre pièce maîtresse de la soirée. C’est ici que le son et la direction mené par Gustavo Gimeno se révèlent. Gimeno – dans la même veine que Payare -, n’indique pas uniquement que des tempis, il dirige des phrases, des intentions musicales et des dynamiques. Cela confère à l’orchestre une amplitude d’une grande homogénéité et une sonorité claire et enveloppante. 

Du premier mouvement avec son thème au caractère dramatique et sombre au complexe et majestueux finale aux influences beethovénienne éclatante, Gimeno construit le matériel musical avec une direction passive mais signifiante, c’est-à-dire en donnant juste ce qu’il faut à l’orchestre comme indication pour évoluer dans leur jeux instrumentaux, porter à différents moments les solistes Jonathan Crow (premier violon), Joseph Johnson (violoncelle) et Eric Abramovitz (clarinette), développer les thèmes, les lignes et les nuances dans ce qui aura été une performance classique, satisfaisante dans un concert riche en couleurs et en affects.

Crédit photo: Allan Cabral

avant-pop / électronique / expérimental / moyen-oriental

BORN TO LEAVE (REVISITED) au Centre Phi: tragédie électronique sophocléenne aux saveurs du Liban

par Salima Bouaraour

Le Liban, un territoire au chassé-croisé des Phéniciens, des Arabes et de sa diversité ethno-religieuse, qui se manifeste dans l’Histoire telle une épopée lyrique et dramatique. Teinté de richesse et de beauté, ce pays vit aussi une tragédie sans nom depuis plusieurs décennies comme la guerre civile, la crise économique et l’instabilité régionale. Actuellement, on estime la diaspora libanaise à environ 12 millions d’individus dans le monde. 

Wake Island explore cette question dans un triptyque comprenant une performance immersive en direct, une expérience d’écoute audio spatiale et un jeu vidéo de rôle. 

En effet, Philippe Manasseh et Nadim Maghzal se sont associés à une équipe de créateurs médiatiques pour ré-inventer une nouvelle formule de leur album Born to Leave, paru en 2021, en un jeu 3D, centré sur les thèmes de l’immigration et de l’identité arabe ainsi qu’avec l’artiste, Radwan Ghazi Moumneh, afin de revisiter la conception sonore. 

Le mixage spatial est en écoute dans l’Habitat sonore et se décline en 9 pièces. 

1. Habitat sonore. du 1er mai au 7 mai. Mixage spatial de l’album. 

Plongées dans la pénombre d’une salle immersive, pourvue d’une installation multicanaux, au son d’une perfection troublante, les conditions d’écoute sont plus qu’optimales. La musique vous transcende de toute part avec un subtile mélange de scénario digne d’une ambiance cinématographique telle que Dune et d’une ambiance électronique typique des performances immersives. On ressent plus que jamais la synthèse de deux entités: la narration de Wake Island et la mise en abîme sonore de Radwan: bouzouk, synthé, guitare électrique, pédale d’effet, vrombissement, son en echo, en spirale ou en résonance, voix lointaines, sensation d’un vent soufflant sur le sable, murs tremblant et détonation, basses profondes. À vivre absolument ! 

2. Jeu vidéo à jeu de rôle avec la bande son de l’album présenté le 3 mai. 

Dans des alcôves pourvues de coussins, plusieurs Ipads sont disposés pour accéder au jeu vidéo. Celui-ci consiste en un jeu de rôle où vous, le joueur, êtes plongé dans un vol Beyrouth-Montréal en phase d’atterrir à l’aéroport international Pierre-Elliott Trudeau. Vous rencontrez plusieurs personnages comme Maha, Bahia ou les agents de l’immigration canadienne ainsi que les deux personnages énigmatiques de Wake Island. Doublé d’un jeu de piste, plusieurs questions vous sont posées et chaque

réponse vous emmène vers la résolution d’une intrigue. Le décor est composé de visuels en 3D. Les scènes s’assimilent à des hallucinations psychédéliques sur fond de bande son de l’album et de crise politico-économique du Liban. Laissez-vous prendre au jeu !

3. le 3 mai. Performance immersive en direct avec Wake Island et Radwan Ghazi Moumneh + installation vidéo de Giotto remixant les visuels du jeu en 3D 

Sublime. Méditative. Envoûtante: une performance en direct digne d’une tragédie grecque des temps modernes. Dans la salle d’écoute, les artistes formaient un triptyque où le plateau se composait de synthés, ouds, guitare électrique, cithare, claviers et contrôleurs ableton ainsi que des pédales d’effets. L’installation et la conception s’assimilaient à une tragédie grecque antique mettant en scène des personnages illustres déchirés par des passions ou accablés par le destin. La trame sonore illustrait bien les pistes de l’album revisité mais se distinguait de l’écoute en salle immersive. La volonté était d’en faire clairement une expérience unique et ce fut une réussite! Les actes -exposition, rising action, climax, falling action-dénouement se sont déclinées sur une durée de 60 minutes environ. Nadim, Philippe et Radwan, les trois protagonistes, ont su captiver le public dans une prestation grandiose sur une scène ouverte circulaire, encerclée par le public. Les “musiciens-comédiens” se partageaient tous les rôles. La catharsis résidait dans le fil conducteur instillé par une nappe extrêmement vaporeuse et en répétition continue. Les chansons se succédaient pour mettre en exergue cette tragédie ‘libanaise” qui se jouait sous nos yeux et nos oreilles imprégnées d’une immense intensité poétique. La conception sonore était principalement ambient et planante mais le rythme lancinant était brisé par la voix de Philippe avec parcimonie et finesse. Une touche de vocoder et de vocalise orientalisante. Nadim créait de surcroît les saccades rythmiques et Radwan enveloppait le public dans des nappes envoûtantes. L’artiste visuel Giotto projetait des images du jeu vidéo en fond lumineux. Une pure tragédie électronique sophocléenne aux saveurs du Liban.

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AUTRES INFOS SUR LE TRIPTYQUE ICI

cumbia

Less Toches remporte le Syli d’Or 2024, viva la cumbia !

par Alain Brunet

Less Toches, une formation émergente encline à la cumbia, a terminé en première place son parcours des Syli d’Or, compétition montréalaise consacrée à la diversité culturelle d’ici et mise de l’avant par les Productions Nuits d’Afrique. En cette soirée du jeudi 25 avril, la corolle de la Tulipe était remplie à ras bord, les fans des finalistes ont occupé bruyamment la place et le jury a choisi sciemment la formation ayant le meilleur potentiel de rayonnement, du moins à court terme. Le Syli d’Or fut remis au groupe en fin de soirée, soit par le cofondateur des Nuits d’Afrique, nul autre que Lamine Touré.

Porté par des percussionnistes aguerris, par un accordéoniste diatonique sensible aux origines colombiennes de la cumbia, par un bassiste dynamique et par un chanteur très à l’aise sur scène malgré ses limites vocales évidentes, Less Toches va droit au but et répand sans forcer une cumbia plutôt roots, incarnée, contagieuse à souhait. L’énergie et la ferveur sont les atouts principaux de cette jeune formation locale, qui ne réinvente pas la roue et qui se contente simplement de chercher la joie et les accroches nécessaires à la conquête de son public.

En première partie de cette finale, les Syli d’Or avaient sélectionné Boubé, un guitariste et chanteur du Niger enclin à ce blues du désert qui compte désormais son digne représentant à MTL. On sait que le style touareg a conquis la planète au tournant de ce siècle et  n’a cessé depuis de produire chanteurs, guitaristes et groupes très majoritairement localisés dans le Sahara et  dans la vaste zone qui en borde les limites méridionales. Montréalais d’adoption, Boubé est le seul guitariste du genre à s’exprimer ainsi dans l’île. Il chante dans la langue de sa région natale et aussi dans un français sommaire. Bon groove, beau duo de guitares, rythmes peut-être un peu minces vu la charge des cordes électriques,somme toute prometteur. Assez pour un Syli d’Argent, en tout cas.

Les musiciens les plus aguerris de la soirée étaient au service de Shahrzad, authentique virtuose des claviers jazz et latin jazz, reconvertie à la pop latino-orientale pour l’occasion. D’origine persane, la musicienne, chanteuse et danseuse avait réuni des artistes de très bon niveau – section rythmique élaborée, cordes électriques, anches, cuivres, choriste talentueuse. Tout était là sauf une direction artistique qui manquait peut-être de focus. On a peu senti la dimension orientale de cette musique essentiellement latine. Un peu too much dans sa volonté de séduire et de nous en mettre plein la face, Shahrzad n’a pas trouvé un angle artistique assez spécifique, assez singulier pour mettre en valeur ses très grandes qualités de musicienne. Voilà, pour l’instant du moins, qui l’a menée à l’obtention d’un Sily de Bronze à cette grande finale animée par notre estimé collègue Frédéric Cardin.

classique / période classique / période moderne / post-romantique

Schoenberg pré-révolutionnaire et Beethoven à l’OSM

par Alain Brunet

Pour le commun des mortels mélomanes, le nom d’Arnold Schoenberg (1874-1951), dont ce sera le 150e anniversaire de naissance le 13 septembre prochain, incarne la rupture entre la musique tonale, construite sur des gammes majeures et mineures, et se fondant en particulier sur la tonique (premier degré de la gamme) et la dominante (5e degré). Ce système fut privilégié en Occident du 17e siècle au tournant du 20e siècle, de Bach à Wagner. 

Or mercredi soir à la Maison symphonique, la rupture historique n’était pas prévue au programme, on y a plutôt privilégié le Schoenberg post-romantique au Schoenberg visionnaire. Et il faut dire que le règne du système tonal n’est pas vraiment terminé, puisqu’il domine encore largement les programmes classiques du monde occidental, sans compter ceux implantés désormais en Chine, au Japon ou en Amérique latine. Qui plus est, une large part de la musique populaire occidentale se fonde encore et toujours sur ce système tonal, bien qu’il fut largement influencé par le blues et le jazz afro-américain, sans compter plusieurs musiques non occidentales parvenues aux oreilles de l’Ouest.

Or, il faut rappeler le système tonal fut remis en question par des compositeurs européens de plus en plus influents à la fin du 19e siècle et au début du 20e. Parmi créateurs, l’Autrichien Arnold Schoenberg (1874-1951) fut l’un des grands leaders esthétiques et théoriciens d’une musique fondée sur les 12 tons et demi-tons de la gamme et non de ses limites tonales fondées sur les 7 notes de l’échelle, tel que préconisé par JS Bach et autres compositeurs baroques au 17e siècle.

Comme ses contemporains, Arnold Schoenberg a été d’abord éduqué musicalement dans le courant romantique de sa jeunesse, et la première œuvre au programme de l’OSM cette semaine fut composée  bien avant sa révolution dodécaphonique. On peut toutefois en ressentir certaines prémisses dans certaines lignes mélodiques et choix harmoniques, mais il s’agit essentiellement de musique tonale. Profondément original même sur ce territoire, le compositeur avait déjà déjoué quelques façons de faire, du moins dans la construction de cette œuvre que Rafael Payare avait déjà dirigée à sa toute première expérience avec l’OSM.

Magnifique Verklärte Nacht (La Nuit transfigurée) ! Ça dure 30 minutes sans interruption et ça ondule brillamment en s’inspirant d’un poème tiré de La Femme et le monde (Weib und Welt), un ouvrage de Richard Dehmel. Le texte décrit la promenade nocturne d’un couple amoureux dont la femme révèle qu’elle accouchera d’un enfant issu d’une autre liaison. Compréhensif, son amoureux lui assure sa volonté d’adopter l’enfant, le couple retrouve le bonheur dans cette « nuit transfigurée ». Pleine de nuances, assorties de quelques pointes d’intensité, cette musique décrit bien le ressenti de cette scène, cette passion larvée d’un couple improbable qui s’exprime dans un calme apparent. 

Au cours de cette même première partie, l’arrivée de la pianiste portugaise Maria-João Pires , qui aura 80 ans le 23 juillet prochain, ne fut pas un anti-climax. La dame a encore une articulation remarquable ! Côté attaque, elle n’a peut-être pas le tonus de ses meilleures années – et de toutes manières, son petit gabarit ne lui permet pas les salves les plus puissantes, encore moins à son grand âge. On sait qu’elle ne se produit plus très souvent depuis quelques années, mais elle peut  encore nous faire de l’effet en compensant par sa musicalité, son expérience, sa sensibilité et sa connaissance profonde de l’œuvre au programme : le Concerto de Beethoven pour piano no 4 en sol majeur. Son jeu est à la hauteur de la partition, on s’interroge rarement sur la précision de l’exécution dans les parties véloces, on peut observer parfois une certaine minceur dans le son mais on goûte généralement la présence de la soliste. Les pianistes étant généralement parmi les instrumentistes classiques les mieux préservés physiquement à un âge avancé (vu la positon plus équilibrée du corps face au clavier), Maria-João Pires peut encore nous faire tripper. C’est quand même impressionnant de voir à l’œuvre une quasi octogénaire capable de tant de choses sur les ivoires. Le principal agacement au programme enregistré ce soir-là était plutôt les applaudissements au terme du premier mouvement (Allegro moderato) en plein enregistrement, mais bon on n’ira pas là. Et on appréciera le rappel, soit un extrait fort connu de la Sonate no 8 pour piano de Beethove.
La seconde partie sera exclusivement consacrée à Schoenberg, car son poème symphonique Pelléas et Mélisande dure 41 minutes, inspiré d’un texte de l’écrivain belge Maurice Maeterlinck. Nous sommes dans les mêmes formes que La nuit transfigurée, c’est-à-dire structurée en fondus enchaînés de 4 parties, dont certains arrangements sont plus contrastés, notamment dans les cuivres (cors, trompettes,  trombones) et les bois (flûtes, hautbois, clarinettes, bassons). L’écriture tonale de cette autre œuvre de jeunesse et son approche continuum représentent une excellente occasion de connaître Schoenberg et préfigurer ce qui l’a mené plus tard à la révolution dodécaphonique.

Crédit photo: Antoine Saito

Le même programme est présenté de nouveau ce jeudi 25 avril, 19h30, à la Maison symphonique. Billets et infos ici.

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