PAN M 360 au FIJM 2024 I Kurt Vile se mettrait au post hardcore ?

par Stephan Boissonneault

La notoriété de Kurt Viles n’est plus tout à fait ce qu’elle était il y a 10 ans lorsqu’il a sorti Wakin On A Pretty Daze, presque le summum du rock psychédélique slacker des années 2010. Depuis, il a sorti plusieurs projets, dont un album en duo avec Courtney Barnett, Lotta Sea Lice, qui est un bon album mais qui ne tient pas la route.

En fait, plusieurs de ses albums depuis 2015, b’lieve I’m going down…, n’ont pas une grande capacité de rétention. Les riffs sont très KV et bien qu’accrocheurs, l’homme ne sait pas comment terminer une chanson après 5 minutes. Ses paroles ne sont pas non plus à la hauteur, toujours en train de riffer sur les mots classiques « man, down and tiiiimme », comme un Tom Petty défoncé.

Je ne m’attendais donc pas à être époustouflé par Kurt lors de son concert au FIJM, joué dans une salle remplie à 75 %. Et… bien que ce ne soit pas le cas, il m’a surpris.

Il y a eu des moments dans le set où il a carrément crié les paroles, apportant une vibe plus punk rock/post-hardcore à des chansons comme « Pretty Pimpin », et quelques unes des plus récentes de l’album Back To Moon Beach et (watch my moves).

J’ai été complètement pris au dépourvu, mais j’en voulais davantage. Kurt est un magicien de la guitare, c’est indéniable (c’est pourquoi certaines de ses chansons atteignent les 9 minutes et qu’il a 12 guitares), mais sa voix a toujours été un peu en retrait, trop pour moi. Mais quand il criait, j’écoutais !

Aujourd’hui, en tout cas, je pense que je suis plus fan de Kurt Vile en concert que de ses récents albums.

Mais je me demande si Kurt Vile sait exactement ce qu’il fait. Se lasse-t-il d’utiliser le même style d’écriture depuis presque 20 ans avec les mêmes vieux « riffs recyclés » qui « ne n’iront nulle part de sitôt » ? Ce sont ses mots, pas les miens. A-t-il besoin d’évoluer ou peut-il continuer à le faire pendant encore 20 ans ?

Tant qu’il a un groupe qui accepte qu’il joue en solo pendant six minutes, rien ne peut l’arrêter.

PAN M 360 au FIJM 2024 I Freddie Gibbs déteste la police

par Stephan Boissonneault

Si ce titre vous a incité à cliquer sur cette petite critique du spectacle de Freddie Gibbs x El Michels Affair Jazz Fest, alors mon travail est fait. Freddie Gibbs déteste effectivement la police, comme beaucoup de rappeurs qui ont eu des démêlés avec la justice (de la vie de rue dont il est si éloigné aujourd’hui), mais il devait le faire savoir après chaque chanson, alors qu’il était de plus en plus défoncé tout au long de son set par les blunts qu’il fumait en permanence. « Lemme hear you say Fuck Poliiicee », a-t-il scandé à la foule de 30 000 personnes.

Cette performance était une réimagination en direct de son travail avec The El Michels Affair, un groupe d’instruments néo-soul qui a travaillé avec le Wu-Tang Clan et, plus récemment, Black Thought. Mais Freddie a ressorti des morceaux plus anciens de son Pinata jours avec Madlib et quelques morceaux de choix de Alfredo, son album phare avec The Alchemist.

En fait, il a arrêté le morceau « 1985 » à plusieurs reprises ainsi que « Thuggin' » pour obtenir les bonnes mesures. À quelques reprises, on avait l’impression qu’il ne faisait que grogner et qu’il oubliait les paroles, mais cela faisait partie du charme de Freddie – un rappeur monumental qui devenait un peu trop cuit sur scène et qui oubliait les paroles de ses chansons. Quoi qu’il en soit, c’était un spectacle agréable à regarder et un spectacle d’enfer.

afro-house

DJ Karaba aux platines : ambiance assurée !

par Sandra Gasana

Ça y est, j’ai eu ma première expérience au Piknic Électronik. Depuis le temps que j’en entends parler, je suis ravie d’avoir enfin pu élucider ce mystère et d’avoir pu assister au set de la grande DJ Karaba, celle qui est devenue incontournable sur la scène montréalaise et internationale. Elle arrive vêtue d’un top noir et de jeans, lunettes fumées et foulard couvrant une partie de ses tresses.

D’emblée, elle nous balance une version remixée de Water de la sensation Sud-Africaine Tyla, pour nous en mettre plein la vue dès les premières minutes. Elle semble connaître les paroles de toutes les chansons qu’elle revisite, en dansant et en interagissant avec son public, le sourire aux lèvres tout le long. Elle enchaîne justement avec des sons d’Amapiano, alors que ce style musical vient de souffler sa 10ème bougie. Avec ses transitions subtiles entre les morceaux, on ne sait pas toujours quand elle passe de l’un à l’autre. Avec des refrains accrocheurs, elle varie l’intensité au sein même du morceau afin de lui donner du relief, et le tout en vivant sa musique à fond. Elle fait plusieurs pas de danse durant tout son set, même parfois des pas de samba, ce qui rappelle son passé de danseuse pour des stars américaines. Elle mélange des vieux sons tels que Thriller, de Michael Jackson ou encore Gypsy Woman (She’s Homeless) de Crystal Waters, avec de plus récents comme Please don’t stop de music de Rihanna. Cela se fait toujours très graduellement : on détecte une mélodie qui nous rappelle le classique en question, et tout doucement la chanson se dévoile à nous avec la signature de la DJ Karaba. Là, elle fait danser la foule dès qu’elle ajoute la fameuse grosse basse qui nous force à bouger.

« La dernière fois que j’étais ici, c’était lors de la COVID. On était tous séparés mais ça fait plaisir de vous voir tous ensemble aujourd’hui », ajoute-t-elle entre deux morceaux.

Un retour dans le temps s’est fait lorsqu’elle remixe un vieux classique des années 80, Yeke Yeke de Mory Kanté. En fait, elle redonne une nouvelle vie à ce morceau sans toutefois le dénaturer. Durant certains morceaux, elle faisait de longues pauses, faisant croire que la chanson était terminée, pour reprendre de plus belle, en doublant d’intensité. Ces suspenses étaient appréciés du public, qui s’éclataient au fur et à mesure que la soirée avançait. Autre moment plaisant : les chansons en portugais qu’elle intégrait à son répertoire, venant du Brésil mais aussi d’autres pays lusophones, avec la touche Kuduro qu’elle a réussi à mettre en valeur. La nuit tombe, nous arrivons à la fin du spectacle. Elle remet ses lunettes, elle s’est débarrassée du foulard et on a l’impression d’être dans une discothèque à ciel ouvert, avec les lumières qui scintillent autour d’elle. L’ambiance est à son paroxysme et elle en profite pour remixer un morceau de Nelly Furtado, Say It Right, que la foule connaissait par cœur. Le seul hic, le micro qu’elle utilisait pour interagir avec le public par moment ne fonctionnait pas très bien. Elle termine en beauté avec sa propre version de Baianà, de Barbatuques, qui se prêtait bien pour l’occasion.

Avant son set, DJ Karaba a partagé la scène de la Banque nationale avec Mr Touré et le DJ, musicien et producteur Poirier, qui ont chacun offert un set de deux heures. Alors que le premier mélangeait plusieurs rythmes africains sur des instrumentaux dansants, le deuxième nous a fait faire un tour du monde musical. Nous sommes allés en Colombie, avec Agua Oro, une collaboration avec Ramon Chicharron, au Brésil avec Café com leche de Flavia Coelho ou encore en Haïti avec Teke Fren de Waahli, du groupe mythique Nomadic Massive. Nous avons également été transportés au Nigéria de Burna Boy, en Jamaïque avec du bon dancehall comme on les aime, en passant par la Côte d’Ivoire, avec le hit Coup de marteau. Tout le monde en avait pour son goût.

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ambient / électronique / expérimental / contemporain / Neo-soul / new age

PAN M 360 au FIJM 2024 | André 3000 aux frontières de la fumisterie

par Alain Brunet

Andre Benjamin, dit 3000, a déjà fait preuve de grande vision côté hip-hop. Avec  Antwan « Big Boi » Patton, il a été prodigieux en intégrant des éléments de jazz et d’électronique à son rap, son G funk ou sa néo soul. La réunion du fameux groupe Outkast, fierté d’Atlanta comme l’est Janelle Monáe, fut grandiose à Osheaga en 2014. Marqués par ce concert et cette réputation béton d’Outkast, on a écouté New Blue Sun à la fin de 2023.

On fut au départ dubitatif sur ce choix de flûtes électroniques comme instrument soliste d’un art au croisement de l’électroacoustique et du new-age. On s’est finalement laissé charmer par ces environnements planants, propices à la relaxation, à la méditation ou même à la porte d’entrée d’un sommeil réparateur.

Majoritairement très positives, les critiques ont certainement motivé les fans d’André 3000 à se procurer un billet à la version concert de cet album. La superstar s’est présentée sur scène avec 4 musiciens inconnus, dont deux rencontrés dans une épicerie il n’y a pas très longtemps : claviers, percussions, guitare, électronique.

C’est une improvisation libre entre musiciens de notre temps. De vagues harmonies soul et jazz s’immiscent çà et là dans une marmite qui mijote à feu doux. Les textures émanant de la lutherie numérique sont connues. Les effets de pédale de la guitare sont connus. Le vocabulaire des percussions est connu. L’amalgame de tout ça est connu… par très peu de mélomanes sur place, qui ne se pointe qu’en infime minorité aux programmes exploratoires des festivals MUTEK et Akousma. Heureusement, des images inspirées et des lignes de laser ont ajouté à cette « expérience », pour employer un terme poli.

Ces improvisations collectives sont relativement intéressantes et malheureusement amoindries par le jeu de leur principal concepteur. André 3000 nous apprend qu’il s’est mis aux flûtes électroniques de la même manière qu’au rap dans les années 90 et 2000. Le problème, c’est que cet autodidacte n’a acquis qu’une compétence texturale de ces instruments mélodiques dont les sonorités rappellent le pipeau joué à l’école élémentaire, la cornemuse ou le gazou. Le problème, c’est qu’André 3000 n’a aucune maîtrise de l’articulation mélodique, ses petites phrases de débutant ont tôt fait de devenir un irritant sérieux dans l’improvisation collective, plutôt qu’un discours transcendant.

À la fin de cette impro trop longue et trop peu substantielle, on a fait monter le niveau d’intensité, les 5 musiciens furent plus violents, plus intenses, et André 3000 toujours aussi limité avec cet instrument qu’il devrait apprendre à jouer avec de se produire devant public. Concert paresseux et inutile en somme, inférieur à l’opus New Blue Sun… et qui frise la fumisterie.

crédit photos : @victordiazlamich pour le FIJM

funk / groove / jazz groove / soul/R&B

PAN M 360 au FIJM 2024 | Adi Oasis, en feu !

par Alain Brunet

De Paris, Adi Oasis (Adeline de son vrai prénom) est partie à la conquête du Nouveau Monde. Établie à New York, elle a tout en son pouvoir pour devenir une créature prisée par les adeptes de soul-R&B-funk-jazz. Et voilà, elle a tourné dans le monde entier, partageant la scène avec Anderson .Paak, Lee Fields, Chromeo, et plus encore.

Adi Oasis s’entoure de musiciens d’enfer, guitare, batterie, claviers, elle-même assure à la basse. La qualité d’exécution des solos, la maîtrise du groove, les choix harmoniques, tout est là dans ce contexte. Sa voix de soprano emprunte régulièrement les sentiers alpestres et projette toute sa puissance au moment opportun. Feu roulant, la pédale au fond jusqu’à la fin, avec en prime une superbe reprise de Gypsy Woman (She’s Loneless) de Christal Waters.

Cette musicienne franco-caribéenne est carrément bénie des dieux, excellente musicienne, excellente chanteuse, altière sur scène, belle et sexy. Alors pourquoi n’est-elle pas d’ores et déjà une superstar? Peut-être parce que sa proposition musicale est fondée sur des exécutions de haute virtuosité, sur des grooves de très haute tenue, une approche qui plaît davantage aux mélomanes qu’aux fans de pop culture. Peut-être est-ce aussi une question d’entourage… Qu’en savons-nous?

Tout ce qu’on sait, c’est que cette femme a un talent fou et qu’on lui souhaite de gravir les plus hauts échelons.

PAN M 360 au FIJM 2024 | Ekep Nkwelle, une étoile pas encore née mais…

par Alain Brunet

Pour faire monter la sauce d’une recette qui a pris un coup de vieux ces dernières décennies, le jazz international peine à trouver de nouvelles figures du jazz vocal au féminin et ainsi étoffer la cohorte déjà constituée des Dianne Reeves, Dee Dee Bridgewater, Cécile McLorin Salvant et autre Samara Joy. Voici un autre premier choix au repêchage : Ekep Nkwelle.

Vers 20h samedi, le petit amphithéâtre extérieur de l’Esplanade Tranquille, nommé Pub Molson pendant la durée du FIJM, était l’un des rares lieux protégés de la pluie insistante qui s’est calmée plus tard, fort heureusement pour notre Dominique Fils-Aimée qui a pu donner une performance impériale sur la Scène TD.

À plus petite échelle, cette jeune femme de 25 ans, née à Washington DC de parents Camerounais, a mis sur le cul les centaines de personnes présentes à cette authentique découverte. L’illustre inconnue a très peu enregistré, nous étions tous là au hasard de la découverte

Ça commence avec un jazz très enclin au gospel et à la soul jazz. Et puis ça plonge direct dans le monde de la grande Abbey Lincoln, et l’on se dit une fois de plus que cette vibe afro-américaine est absolument inimitable. Comme c’est le cas d’Ekep Nkwelle, il faut être imprégné de la vie noire états-unienne pour l’exprimer ainsi à travers le jazz.  Excellent quartette de jazz moderne, chanteuse hantée par les esprit de ses aïeules.

Ekep Kwelle passe ensuite à des reprises de Betty Carter arrangées par le Brésilien Djavan, l’esprit de Betty y est chaudement interpellé.

La chanteuse passe ensuite à l’évocation fervente de Nina Simone et sa si puissante blackness.

Et c’est la relecture de Solitude d’ Ellington, et c’est Moanin’ de Bobby Timmons, et ainsi de suite jusqu’à la fin de cette heure, somme toute palpitante.

En choisissant ce répertoire somme toute assez prévisible du jazz moderne et du jazz vocal au féminin, Ekep Nkwelle aurait pu nous nous laisser de glace, nous endormir ou nous diriger vers d’autres scènes. Ce ne fut pas le cas! Avec de l’archi-connu, cette jeune chanteuse accomplit des miracles d’expressivité, de puissance, d’exubérance, d’aisance, de sensibilité, de passion, de tripes sur la table.

Dans sa robe blanche, elle aura mis tout le monde présent. Sans exception. Nous étions trop peu pour dégainer le cliché « une étoile est née » mais… nous ne sommes pas loin de le faire.

PAN M 360 au FIJM | Madison et Alicia, soul pop aux antipodes

par Alain Brunet

Madison Ryann Ward dispose d’une très belle voix et peut compter sur les meilleurs atouts consentis par Dame nature – et peut-être un chouia de chirurgie esthétique. Madison fait des hits, elle n’est certes pas pour rien sur la plus grande scène extérieure du FIJM… malgré la pluie insistante d’un samedi 29 juin.

Madison chante lisse, sa voix de mezzo souscrit à tous les standards vocaux de  la soul pop au féminin. Un bandana de luxe recouvre ses cheveux d’or, un  tatouage minimaliste apparaît sur l’avant-bras, notre gitane de luxe porte des vêtements très chic. 

Madison peut compter sur un groupe black de haute tenue qui lui sert une soul soyeuse et élégante, quiet storm, un soupçon de jazz dans les harmonies. Jusque là, tout est parfait, n’est-ce pas ? Derrière cette apparente perfection, il y a un certain retrait d’elle-même devant la vulnérabilité et les viscères essentielles à l’expression vocale. Madison donne l’impression de rester en suspension dans son propre halo. Heureusement, elle arrive à briser un peu cette impression lorsqu’elle se met au rap… et nous allons faire nos emplettes ailleurs.

Alicia Creti n’a pas du tout cette dégaine. Montréalaise expatriée à Los Angeles, elle est la girl-next-door ayant une carrière sûre et une relation toxique pour migrer vers la Californie, y  devenir chanteuse professionnelle et y guérir ses maux. Vous comprendrez que la charge affective n’est pas la même. Moins esthétique,  moins sexy, beaucoup plus viscérale. 

Alicia Creti est une contralto de puissance dont le timbre électrocute et déchire. Elle a sorti récemment Selfless, un album qui résume et exprime bien son état et sa condition. Ce n’est pas encore un vrai succès, ce qui justifie une prestation sur petite scène du FIJM, mais c’est bel et bien de la pop, c’est de la soul pop, rien de sorcier, des formes prévisibles, un band compétent comme il se doit, un tantinet mal dégrossi sur scène mais… tellement crédible, tellement vrai.

jazz latin

PAN M 360 au FIJM 2024 | NOÉ LIRA : une bombe latina ! 

par Michel Labrecque

La chanteuse et comédienne mexico-québécoise (on pourrait dire mexicoise) Noé Lira donnait un concert gratuit en plein air, sous un temps un peu pluvieux. Mais la pluie, on ne la sentait pas, parce que la chanteuse musicienne irradiait avec son groupe entièrement féminin.

Noé Lira est une bête de scène, son énergie est contagieuse. Sa proposition est certes Latina, mais c’est une musique engagée, intelligente, loin des clichés du genre. La comédienne s’est imposée dans plusieurs séries québécoises, dont L’empereur ou La Candidate. En 2021, la musicienne et chanteuse a fait paraître Latiendo la Tierra. Trois ans et une pandémie plus tard, on peut sentir que la voix et la posture musicale de Noé Lira a maturé et progressé. Noé Lira s’adresse au public en français québécois, mais a choisi de chanter majoritairement dans la langue de son père. Le résultat est très chouette, n’en déplaise à certains nationalistes québécois, qui pourraient l’accuser d’affaiblir le français au profit d’une autre langue. Noé Lira est aussi une artiste engagée, résolument féministe, qui a affirmé hier soir que « les frontières étaient artificielles ». Elle joue de l’accordéon, qui se mélange au violoncelle, aux claviers et aux percussions. Elle est une parfaite illustration du Québec métissé et fier de l’être. Cette artiste plurielle n’a pas fini de nous étonner. Cette femme a un potentiel fabuleux. Elle va tourner un peu partout au Québec cet été. Allez l’entendre !

jazz

PAN M 360 au FIJM 2024 | AMBROSE AKINMUSIRE & DAVE HOLLAND : un dialogue sublime

par Michel Labrecque

Je vous ai raconté samedi mon enthousiasme face au concert solo du trompettiste Ambrose Akinmusire au Gésu, qui a fait sonner son petit instrument de tant de façons étonnantes. J’étais donc très content de pouvoir assister au deuxième spectacle d’Ambrose en compagnie du vétéran contrebassiste britannique Dave Holland. 

Vous vous dites : “Ce sera une sorte de rebelote, avec en plus un accompagnement solide de contrebasse”. Hors, ce ne fut absolument pas rebelote. Nous avons assisté à une authentique communion, un dialogue ouvert, fécond, comme le jazz peut nous l’offrir lorsqu’il est à son meilleur. Le trompettiste noir de 42 ans et le contrebassiste blanc de 77 ans nous ont fait léviter et flotter dans leur échange ou chaque note comptait, du moins j’ai eu cette impression. La trompette d’Ambrose Akinmusire était aussi intéressante que la veille, mais totalement différente, puisqu’elle échangeait avec la contrebasse, de façon complémentaire. Il y a eu autant, sinon davantage, de solos de contrebasse que de trompette. Parfois, Ambrose offrait des nappes de trompette répétitives pendant que David improvisait à plein gaz. Et après, on échangeait. Tout démarrait autour d’un thème de base, puis les deux instrumentistes s’écoutaient et décidaient d’une direction que seuls eux connaissaient. J’ai entendu Dave Holland pour la première fois en 1975 à l’Université Laval de Québec, accompagnant le saxophoniste free Anthony Braxton. Ce fut mon initiation au jazz libre. Puis, la radio communautaire CKRL-FM de Québec a adopté sa jolie balade The Conference of the Birds, comme musique pour un indicatif. Dave Holland a joué avec Miles Davis, Chick Corea, et à peu près tous les grands musiciens dans ses cinquante ans de carrière. Il est aussi un compositeur très doué. Sur son site web personnel, on trouve plus de deux-cents disques auxquels il a pris part. Cette rencontre entre lui et Ambrose Akinmusire était donc une rencontre entre deux grands instrumentistes et compositeurs. Une rencontre de très haut niveau. Était-ce la première rencontre entre les deux ? Je l’ignore. Mais c’était du jazz sérieux, mes ami-e-s !

Crédit photo: @frederiquema pour le FIJM

Jazz Pop

PAN M 360 au FIJM 2024 – L’énorme succès de Laufey sur les réseaux sociaux est-il justifié sur scène ?

par Vitta Morales

Après un concert de 90 minutes, programme de sélections sentimentales ayant enthousiasmé son public, l’artiste islando-chinoise Laufey peut désormais ajouter le Prix Ella-Fitzgerald à son bosquet de trophées. Avant d’interpréter son dernier morceau à la salle Wilfrid-Pelletier, le 29 juin au soir, les organisateurs du Festival de jazz de Montréal ont surpris la chanteuse mononyme en lui offrant des fleurs et un trophée. Ce prix est décerné à une chanteuse de jazz de grand talent qui a eu un impact majeur sur la scène internationale. Compte tenu de l’esprit du prix, je n’ai franchement aucune réserve à ce qu’elle le reçoive. À en juger par l’ovation, je dirais que le public n’en a pas eu non plus. 

Il s’agit d’une reconnaissance majeure pour cette jeune femme de 25 ans, notamment parce que la question de savoir si sa musique est ou non du jazz « authentique » a été débattue depuis qu’elle a commencé à bénéficier de la viralité en ligne. Qu’ils l’admettent ou non, je pense que ses détracteurs les plus cyniques s’insurgent contre le fait que la génération Z utilise sa musique comme référence en matière de jazz sans nécessairement chercher plus loin dans le canon.

Laufey elle-même admet qu’elle considère sa musique comme une fusion de jazz, de pop et d’éléments classiques. Quoi qu’il en soit, je ne pense pas que ce débat soit vraiment important. Personnellement, il y a longtemps que je n’ai plus envie de me prononcer sur ce qu’est ou n’est pas le jazz. Au lieu de cela, je suis beaucoup plus intéressé à relayer l’expérience d’écoute de la musique qui conduit à un tel débat en premier lieu. 

Il est donc évident que Laufey soit capable d’atteindre des notes soyeuses dans la tessiture de contralto. En outre, elle est une multi-instrumentiste très compétente, capable de jouer des mélodies déchirantes au piano, à la guitare et au violoncelle. Le quatuor à cordes qui l’accompagnait lors de ce concert a ajouté beaucoup de sentimentalité et les musiciens de la section rythmique ont équilibré le tout en apportant de beaux moments de groove et de dynamique.

En outre, elle a la capacité d’écrire des bossa novas que Jobim lui-même aurait approuvées, ainsi que la capacité de jouer en solo avec compétence sur des progressions d’accords – même si j’aurais aimé qu’elle nous offre plus de ces moments. Ce qui m’a vraiment surpris, cependant, ce sont les lumières, le glamour, ses mouvements, la bête de scène qu’elle est. 

En effet, l’usage par Laufey de mouvements et d’interactions avec le public m’a donné l’impression de voir une actrice de comédie musicale ou une chanteuse de cabaret. Le public, composé en grande partie de jeunes filles, était rieur, enjoué, d’autant plus admiratif. Ça criait des messages d’amour et d’encouragement auxquels Laufey répondait docilement. Tout cela était très sain, mais cela a fini par devenir redondant et ennuyeux…

Je suppose que c’est le prix à payer pour être une artiste aussi glamour. 

Bien que je ne revienne pas sur les éloges que j’ai faits précédemment (car chaque sélection était magnifiquement interprétée et exceptionnellement chantée), je pense que 90 minutes de chansons très majoritairement inspirées par la rupture amoureuse, c’est un peu trop. Laufey semble au moins en être consciente puisqu’elle a plaisanté à ce sujet à plusieurs reprises. Quoi qu’il en soit, ses fidèles fans ne semblaient pas s’en soucier puisqu’ils chantaient bruyamment ses succès, dont From the Start et Falling Behind

Tout compte fait, indépendamment de ses prix, Laufey est une interprète et une parolière impressionnante, qui est sans doute devenue une pop star. Avec un talent musical considérable associé à une volonté d’être vulnérable avec ses fans, je prévois que Laufey sera bien en vue tant et aussi longtemps qu’elle sera intéressée par la création.

Reste à savoir si les sujets de sa musique changent de manière significative avec le temps mais pour l’instant, ils constituent un ajout à toute liste de lecture encline à la sentimentalité.

crédit photo : @frederiquema pour le FIJM

déclamation / jazz contemporain

PAN M 360 au FIJM 2024 | Aja Monet, jazz engagé, poésie engagée, vent d’air frais

par Alain Brunet

Aucun média montréalais ne compte autant de ressources humaines pour une couverture experte du Festival international de jazz de Montréal. Nous sommes plusieurs à parcourir le site extérieur et les salles de concerts : Jacob Langlois-Pelletier, Frédéric Cardin, Stephan Boissonneault, Michel Labrecque, Varun Swarup, Vitta Morales et Alain Brunet vous offrent leurs recensions d’albums, compte-rendus de concerts et quelques interviews. Bonne lecture et bonne écoute!

Le jazz au service de la poésie était monnaie courante au tournant des années 60. Les poètes de la beat generation s’accompagnaient de jazzmen, à l’instar des écrivains afro-américains à l’époque de la lutte pour les droits civiques et des phases plus radicales du ras-le-bol black au USA dans les années 60 et 70. On se souvient aussi des Last Poets dont les déclamations syncopées furent (entre autres) à l’origine du rap tel qu’on le connaît aujourd’hui.

Le mariage entre poésie et jazz existe toujours, ses protagonistes sont quand même rarissimes aujourd’hui. Voilà exactement pourquoi Aja Monet, from Los Angeles, débarquait un vendredi soir au Studio TD et laissait souffler un vent d’air frais. Poésie consciente, écriture créative et engagée, à la fois pamphlétaire et sensible, à la fois privée et politique. Façon black américaine, un quartette de jazz contemporain accompagne cette trentenaire prolifique ayant publié de nombreux romans recueils de poésie et romans et ayant enregistré en 2023 le fort bel album When The Poems Do What They Do , matière principale de ce concert-déclamation donné 28 juin au FIJM.

Du point de vue de la forme littéraire, les mots sont directs, le sens est direct, quelques éléments formels transforment ces pamphlets et réflexions en art. Mais c’est surtout le timbre de la voix et le magnétisme de cette femme très intelligente et très belle. Son militantisme et sa conscience sociale ratissent large, du colonialisme européen au détriment des populations indigènes d’Amérique à la condition afro-américaine d’aujourd’hui en passant par la tragédie en cours dans la Bande de Gaza, la poussent à la dénonciation jusqu’à la crise de l’itinérance à Montréal. Voilà autant de couleuvres de l’injustice qu’elle s’applique à dévoiler sous les pierres de notre humanité à l’orée d’une de ses périodes les plus sombres de son histoire récente.

On ne prétend pas ici évaluer l’œuvre littéraire d’Aja Monet, on se contente de savourer cet événement où jazz et poésie sont de nouveau en symbiose. La grande classe !

afrobeat / thaï

PAN M 360 au FIJM 2024 | Salin impose son afro-isan-soul aux festivaliers

par Alain Brunet


Aucun média montréalais ne compte autant de ressources humaines pour une couverture experte du Festival international de jazz de Montréal. Nous sommes plusieurs à parcourir le site extérieur et les salles de concerts : Jacob Langlois-Pelletier, Frédéric Cardin, Stephan Boissonneault, Michel Labrecque, Varun Swarup, Vitta Morales et Alain Brunet vous offrent leurs recensions d’albums, compte-rendus de concerts et quelques interviews. Bonne lecture et bonne écoute!

Force était de l’observer vendredi soir, Scène Rio Tinto, Salin Cheewapansri avait bien appris ses leçons du maître Tony Allen, inventeur du style de batterie afro-beat alors qu’il faisait partie d’Afrika 70, fameux band du fameux leader Fela Anikulapo Kuti. Mort pendant la pandémie, l’immense batteur nigérian avait eu l’occasion de démontrer toute sa science, une approche reprise par deux générations de batteurs et batteures depuis sa mise au point, bien au-delà du Nigéria où naquit l’afrobeat.

Fraîche, souriante, sexy, Salin trône au centre de la scène et distribue les salves de batterie. D’origine thaïlandaise, cette excellente musicienne montréalaise arbore cette coiffure ‘ruche d’abeilles’ qu’arborait naguère les Ronettes de Phil Spector, à l’instar de tant de jeunes femmes américaines au milieu des années 60. Salin est au centre d’une vaste formation : saxo, trompette, guitare électrique, percussions, basse, claviers, tous des pros de Montréal heureux de participer à cette hybridation pour le moins groovy.

Qualifiant son style personnel d’afro-isan soul, un mélange composite de musiques traditionnelles siamoises ou khmers qu’elle assaisonne sur ce groove afrobeat, de soul/R&B et de jazz-funk-fusion. Salin est loin d’être la première à souder ces genres et sous-genres, mais elle est certes la première femme batteure de l’univers connu à jouer à un si haut niveau – patterns rythmiques parfaitement maîtrisés, sonorités franches, etc.

En fin de programme des musiciennes haïtiennes ont ajouté de nouveaux aromates à cette salade de papaye déjà bien relevée.



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