MUTEK Montréal 2023 et PAN M 360, voilà une combinaison qui tombe sous le sens ! Voilà pourquoi notre équipe s’y consacre cette semaine. Les férus de musiques électroniques de pointe et de création numérique se retrouvent cette semaine à Montréal, alors suivez la vibrante couverture de notre équipe , et ce jusqu’à dimanche!
Expérience 1
Ce mardi 22 mai, Mutek Montréal 2023 a pris son envol sur l’esplanade Tranquille du Quartier des spectacles. Dehors et gratuit ? Il ne faut pas y voir une programmation extérieure constituée des restes de la programmation en salle, il s’agit plutôt d’un mélange d’artistes confirmés internationalement mais dont le buzz actuel par chez nous ne justifie pas encore une entrée payante.
Alain Brunet
Leon Louder
// Vivien Gaumand
Avec Leon Lounder, l’auditoire n’était pas certain de devoir écouter avec le corps ou avec la tête seulement. D’une part, la pulsation était noyée dans un sound design construit autour de sons d’insectes, une commande de l’Insectarium de Montréal. Ici, l’harmonie et la mélodie n’étaient pas des paramètres. D’autre part, le rythme était surtout créé par des phrasés sonores d’une certaine longueur et qui se répétaient en boucle. Plus tard, des basses fréquences sont venues changer la texture et se coupler à des sons courts, mais répétés si rapidement qu’ils créaient l’effet de sons continus. Vers la fin de la prestation, un passage plus harmonique avec ce qui donnait l’illusion d’être des voix synthétisées est venu dérouter cette musique entomologique.
Laurent Bellemare
Moon Apple
// Vivien Gaumand
Cela dit, on trouve aussi dans cette série Expérience 1 des artistes en émergence, qui doivent peaufiner leurs propositions et affichent un potentiel intéressant. C’est le cas de Moon Apple, productrice montréalaise d’adoption dont la grand-maman est devenue moine bouddhiste, ce qui en inspire son pseudo. Équipée de synthétiseurs modulaires, d’une pédale de loop et d’instruments de percussion, la musicienne offre un son organique filtré par différents effets dont l’objet pourrait ritualiste en certains moments. Également, elle chante et peut tapocher en direct sur une surface numérisée. Un peu maladroitement, avons-nous noté lorsque le pattern rythmique fut associé à d’autres séquences préenregistrées,
Elle présentait une sorte de cérémonie dont l’objet est de représenter les Quatre Piliers de la Destinée. Des invitées, Dédé Chen, auteure, performeuse, et Ahreun Lee, artiste multimédia et musicienne, sont venues prêter main forte à une Moon Apple s’adressant symboliquement à des créatures mythiques – c’est du moins ce qu’on peut lire sur son profil biographique. Cette intégration d’une synth-pop mélodique à cette expérience multi-couches est intéressante mais nécessitera encore quelques soins avant de frapper dans le mille.
Alain Brunet
La musique proposée par Moon Apple venait faire contraste avec la performance d’ouverture. L’artiste a immédiatement plongé le public dans un univers harmonique, aux sonorités douces et aux voix éthérées. Malgré cette délicatesse, de puissantes attaques dans le registre grave venaient rapidement saturer le registre des fréquences, créant un bain de son retentissant mais apaisant. La musicienne originaire de Séoul (Corée) incorporait une part d’interprétation instrumentale, notamment avec les rythmes qu’elle jouait sur un pad numérique avant de faire répéter en boucle. Malheureusement, ces séquences n’étaient pas synchrones, ce qui a même amené l’artiste à abandonner cette technique vers la fin de la performance. En revanche, les voix hautement traitées des deux artistes invitées ajoutaient à cette sonorité pop qui doit sans doute être délectable en album.
Laurent Bellemare
Indus
// Vivien Gaumand
Ce duo Colombien, autoproclamé « electro-folk » est le numéro qui a fait lever le parterre. Dès les premiers coups de tambora combinés aux puissants rythmes électroniques, le public s’est mis à danser. La musique, très accrocheuse, était parsemée d’échantillons de voix entonnant des chants choraux, bien qu’au final le rythme et la performance corporelle l’emportent allègrement sur les contenus mélodiques ou harmoniques de cette musique. Décidément, le mariage de la percussion traditionnelle avec la musique électronique est une recette gagnante, car la performance d’Indus aura sans doute été la plus énergique d’Expérience 1.
Laurent Bellemare
Exclusivité au programme, le duo colombien Indus a fait boum sur l’esplanade Tranquille. Indus est constitué du producteur Oscar Alford et du percussionniste Andres Mercado, dont l’album homonyme n’est pas passé inaperçu en 2020. L’intérêt que soulève Indus se fonde sur l’usage des chants et rythmes afro-colombiens et afrodescendants (champeta, currulao, mapalé, etc.) au cœur d’une approche électronique plutôt pop, en phase avec plusieurs musiques du genre destinées au plancher de danse. On aura parfois noté un manque de justesse dans les voix (problème de moniteurs ?) mais l’ensemble de la facture nous a fait oublier ces petits écarts. L’approche d’Indus est solide et fédératrice, les rythmes chauds des percussions et les chants traditionnels se marient fort bien aux claviers synthétiques et autres outils numériques constituant la lutherie de ce tandem fort bien accueilli.
Alain Brunet
Événement d’ouverture à New City Gas: Grand River et Tim Hecker
// Bruno-Aiello-Destombes
Au New City Gas dans Griffintown, l’immense club New City Gas accueillait le programme d’ouverture en salle. Parfaitement rénovée (depuis 2012), cette usine de la révolution industrielle (1847) témoigne d’une sonorisation étonnamment efficace pour la formule concert.
La première artiste au programme ne s’était jamais produite à MUTEK mais jouit d’un buzz authentique dans les réseaux mutékiens. Buzz parfaitement justifié ! D’origines italienne et néerlandaise, la Berlinoise Aimée Portiori alias Grand River offre de merveilleuses surimpressions aux fans de musique ambient pétrie de minimalisme. Elle choisit d’insérer quelques accords consonants et fragments mélodiques ou choraux à titre de balises lui permettant ses brillantes explorations. Dans la veine des Christian Fennesz et Tim Hecker, les propositions électroacoustiques de Grand River sont entrelardées de multiples filtres synthétiques de très bon goût. Elles sont couchées sur des rythmes généralement lents, parfois plus rapides et plus costauds mais qui n’ont rien à voir avec la binarité essentielle au plancher de danse.
Alain Brunet
La performance de Grand River en était une de celles qui opèrent par densification progressive du matériau musical. Avec très peu de développement, les différents moments du spectacles étaient construits sur de courtes boucles mélodiques ainsi qu’une accumulation de couches sonores. Rythmiquement, on passait de l’abstraction totale à la pulsation. Des moments de contrastes entre de lents accords de clavier et du bruitisme d’arrière-plan, ou encore d’échantillonnage vocal venaient parfois étendre le registre sonore de l’artiste, qui a plongé son auditoire plus d’une fois dans une forme de transe urbaine.
Laurent Bellemare
Tim Hecker
// Bruno-Aiello-Destombes
On ne vous refera pas le parcours de Tim Hecker, un des plus respectés compositeurs électroniques à provenir du Canada. No Highs, son album le plus récent, est le prolongement attendu de ses approches les plus remarquables. As des surimpressions de fréquences saturées, Tim Hecker ne s’est pas contenté de construire ces œuvres très riches malgré leur apparente linéarité. Son dernier album est une longue courbe sinusoïdale, si peu prononcée qu’elle peut s’aplanir avant de reprendre ses rondeurs. Au fil du temps, le compositeur a ajouté une dimension instrumentale à ses propositions, la clarinette basse est tangible sur son nouvel album pour ne citer que cet exemple.
En salle, ce qu’offre Hecker n’est aucunement une reproduction exacte de sa discographie récente. Les effets de distorsion peuvent y être plus violents, les pulsations plus lourdes (et vlan dans le plexus!), les citations parfois différentes, tirées notamment des enregistrements Anoyo et Konoyo, d’inspiration japonaise en bonne partie. Mais ces subtilités se fondent discrètement dans les coulées parfois brûlantes de ce concert donné en toute cohérence. Tim Hecker pur jus, nul doute là-dessus.
Alain Brunet
Dès les premières notes de la performance de Tim Hecker, on pouvait reconnaître le monde sonore de son album de 2018 Konoyo. Les trames d’instruments appartenant au Gagaku japonais débutaient une longue session de drone ambiant, naviguant toujours entre l’harmonie et la dissonance. Les glissandi de hichirki qui ouvrent si distinctement la pièce « This Life » sont ensuite venus colorer l’abrasion, en servant de transition vers un nouveau passage. Considérant que c’était plutôt la musique de No Highs (2023) qui était à l’honneur, ces clins d’œil à un album antérieur créaient un effet subversif. Il en va de même pour les interventions de shô par Fumiya Otonashi, malheureusement inaudible pendant la première partie du concert.
Plus généralement, le public a eu droit à une expérience immersive forcée, avec des basses fréquences si intenses qu’on pouvait les sentir à travers le corps. Heureusement, la musique de Tim Hecker fascine et on se prête allègrement au jeu enivrant que l’artiste nous propose, derrière ses machines analogues et numériques.
Laurent Bellemare