musique contemporaine

La tour d’ivoire dans tous ses éclats

par Frédéric Cardin

Il y avait soir de première vendredi dernier à l’Espace Orange de l’Édifice Wilder, dans le Quartier des Spectacles, à Montréal. L’Ensemble Éclat, un nouvel orchestre de chambre de musique contemporaine, constitué de 13 musiciens issus de la relève montréalaise et dirigé par Charles-Éric Fontaine, donnait son tout premier concert devant une salle comble, ce qui fait plaisir à voir.

Dans cette salle comble, j’étais certainement l’un des plus vieux. La moyenne d’âge devait osciller autour de 30 ans, maximum. Bravo. Cela dit, il y avait tous les amis, les blondes, les chums et un peu de parenté, assurément. Ça ne sera peut-être pas toujours comme ça. 

Mais ne gâchons pas ce plaisir sur ce détail. Il y aura matière à cet effet plus loin. 

La formation, l’accompagnement professionnel en termes de gestion de ce type de projet, publicité, mise en valeur, administration, demandes de financement, etc. a été soutenue par le Pôle Relève du Vivier, organisme parapluie de la musique contemporaine au Québec.

 Le Pôle est lui-même solidement financé par le Conseil des arts et des lettres du Québec (CALQ). Bravo, donc, à tout ce monde pour s’engager dans des projets pointus et nécessaires.

Je commencerai par les fleurs. Les 13 jeunes artistes de l’ensemble (voir la liste plus bas) sont très bons. Les partitions proposées sont de natures techniques différentes, mais il est évident qu’on a à faire avec une relève de haut niveau, qui n’a rien à envier à la génération précédente. Coordination précise, beauté et maîtrise instrumentale, en plus d’une direction de Fontaine très impliquée, précise et emphatique. 

Le programme faisait place à cinq œuvres d’autant de compositeurs-trices : deux de la relève (Adrien Trybucki et Quentin Lauvray) et trois ‘’classiques’’ (Hans Abrahamsen, Kaajia Saariaho et Toru Takemitsu). Le programme s’est déployé sur un canevas d’alternance entre morceaux ‘’agités’’ et morceaux ‘’calmes’’. Logique.

Entre Trybucki et Lauvray, le premier avec son Trabum m’a fait plus forte impression. Sur une pulsation initiale menée par la batterie, un subtil mais irrémédiable décalage rythmique finit par envoyer la cohérence apparente paître dans les marguerites. S’ensuit une sorte de recherche continuelle pour retrouver l’ordre de départ. On y parvient presque à un moment, mais on s’avère finalement vaincu. C’est bien organisé et finement texturé. À retenir. Au bord de la nuit de Lauvray est une pièce qu’on doit noter positivement pour son écriture foisonnante. Il y a des tonnes d’idées là-dedans, peut-être même trop. Il y a même un harmonica et une sorte de kazoo à coulisse qu’on remarque dans deux ou trois courtes interventions.

 Rigolo, mais pourquoi? Au final, cela semble gratuit, comme pour dire : ‘’Regardez, je peux générer toutes sortes de couleurs étonnantes!’’ Ça ne faisait pas partie d’un discours holistique justifié. Malgré toutes ses qualités techniques et objectives, Au bord de la nuit ressemble en fin de compte à des dizaines d’autres pièces sorties des universités à travers le monde, remplies de grichures, de groncements, de points et de traits sonores (le pointraitisme, pardonnez ma tentative de faire du néologisme genre Gauvreau…). Un langage se disant contemporain, mais qui applique une recette bien apprise et existante depuis presque 75 ans. Une musique ‘’d’avant-garde’’… conservatrice. C’est fou quand on y pense, quand même, de pouvoir désormais accoler ces deux termes antinomiques côte à côte. On est rendus là. 

Il y avait aussi Liebeslied de Hans Abrahamsen, directement enchaînée après Trybucki, une pièce totalement éthérée, comme un fin voile translucide, à peine animé de quelques murmures de mouvements en surface. Un nécessaire contraste après la nervosité de Trabum. L’œuvre centrale était Rain Spell, de Toru Takemitsu. Comme influencés par le titre, on est vite subjugués, ensorcelés, par l’écriture à la fois chirurgicalement limpide et subjectivement poétique du Japonais. Flûte alto, clarinette, harpe, piano et vibraphone se sont doucement entremêlés dans une écriture svelte et bellement colorée. Gouttelettes sonores sur fond de tendre rayonnement lumineux, l’écriture de Takemitsu est tout simplement l’une des plus envoûtantes du 20e siècle. Le rendu était excellent. Un très beau moment. 

Dernière pièce au programme, juste avant le Lauvray, Fall de Saariaho est écrite pour harpe avec accompagnement électronique (hyper discret). Beaucoup de frémissements des cordes de l’instrument renvoient à une sorte d’impressionnisme scintillant, mais résolument moderne. Très beau.

Un programme équilibré, donc, entre nouveauté et tradition, mais volontairement restreint à l’intérieur des limites de ce qu’un certain establishment appelle ‘musique contemporaine’’. En ce sens, l’Ensemble Éclat, bien que sa simple existence soit une bonne nouvelle en soi, n’a pas indiqué dans ce premier exercice public être autre chose qu’un NEM (Nouvel Ensemble Moderne) no.2. Même pas 2.0. Osons l’honnêteté : particulièrement parlant des deux pièces très récentes, il s’agit d’une musique encore associée (pas totalement à tort) à une tour d’ivoire.

C’est peut-être ici que le bât blesse, et où j’utiliserai le pot promis plus tôt (sans violence exagérée, cela dit). J’aime cette musique, et je sais que Montréal est l’une des meilleures scènes en Amérique pour celle-ci. Et, même s’il est primordial de soutenir sa diffusion et son rayonnement, j’avoue m’être attendu, peut-être naïvement, à une proposition véritablement ‘’contemporaine’’.

Comme mentionné plus haut, cette musique existe bel et bien depuis presque trois quarts de siècle. On ne peut plus, raisonnablement, lui accoler le terme contemporain. Mozart était moderne à son époque, à la fin du 18e siècle. Écrire comme lui en 1850, ce ne l’était plus. Or, pour la génération de ces musiciens dans la vingtaine ou trentaine, la ‘’musique contemporaine’’ va bien plus loin que l’atonalisme rigoureux et formel. Elle embrasse aussi bien Stockhausen, Ligeti ou Rihm que Adès, Reich, Andriessen, voire Herrmann, Morricone, Williams. Elle inclut Caroline Shaw, Nicole Lizée, Kate Moore, et invite Autechre, Babe Terror, Muse, GYBE!, Owen Pallett, Lubomyr Melnyk, Kendrick Lamar, le post-punk et le growling métal à la table, pour ne nommer qu’une infinitésimale partie de la famille stylistique actuelle.

Oui, j’aurais aimé qu’un ensemble de la génération actuelle (Alpha?) marque sa naissance avec un dialogue trans stylistique, incluant une certaine avant-garde conservatrice (encore cet oxymore), mais pas que. Qu’il fasse un peu le syncrétisme qu’on peut entendre à Bang on a Can  ou au Poisson Rouge à New York. 

Vous me direz que j’aurais dû mieux gérer mes attentes. Vous aurez raison, probablement. Ce n’est pas à quiconque faisant partie d’une cohorte nouvellement arrivée dans le paysage culturel de se faire le porte-flambeau de son existence affirmée et différenciée, de se faire le garant de son originalité générationnelle vis-à-vis de ses prédécesseurs. 

Détail final : il n’y avait aucune mise en contexte, aucun commentaire avant les œuvres. Non, ce n’est pas prendre les gens pour des imbéciles que de leur offrir de la viande cérébrale autour de l’os musical. Encore une fois, ça fait vieille méthode, genre ‘’la musique parle pour elle-même, on ne s’abaisse pas à l’expliquer’’. Genre Tour d’ivoire. Please…. On est ailleurs. Ce ne seront pas toujours les amis, les blondes, les chums et les collègues en compo à McGill ou l’UdeM qui rempliront les salles. 

J’ai beau la trouver conservatrice, j’aime tout de même assez cette musique pour souhaiter qu’elle continue d’exister, d’être jouée et entendue. Un peu de savoir-faire en comm contemporaine ne fera pas de mal.

ENSEMBLE ÉCLAT

ALEX HUYGHEBAERT (flûtes)

CHARLOTTE LAYEC (Clarinette)

LUKA MARCOUX (hautbois)

ANTOINE MALETTE-CHÉNIER (harpe)

CHARLES CHIOVATO RAMBALDO (percussion)

LÉO GUIOLLOT (percussion)

PAUL ÇELEBI (piano)

JEANNE CÔTÉ (violon)

JEANNE-SOPHIE BARON (violon)

DAVID MONTREUIL (alto)

AUDRÉANNE FILION (violoncelle)

WILLIAM BOIVIN (contrebasse)

QUENTIN LAUVRAY (électroniques)

THOMAS CARDOSO-GRANT (Chargé de projet)

CHARLES-ERIC FONTAINE (direction)

crédit photo : page FB de Ensemble Éclat.

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