Vue et entendue à la magnifique Agora des Arts de Rouyn-Noranda, l’exécution des 9 chansons inédites de l’album Cardinal a eu lieu deux soirs consécutifs au FME. Deux soirs à gravir un sommet… Avec pas d’casque. Résumons ici le second programme avant que tout le monde parle de cet opus et de ce concert à l’échelle québécoise.
Vu et entendu à l’Agora des arts, le tandem Demain Déluge est un projet sympathique de bizounage ambient, gracieuseté de Benoît Pinette, mieux connu sous le pseudo Tire le Coyote, et de son bassiste préféré, Marc-André Landry, cette fois dédié à l’électro planante. On apprend alors que les deux compères partagent la même passion pour de telles explorations. L’exercice ici suggéré s’avère agréable, apaisant, de bon goût, sans prétention.
On en reconnaît certes tous les sons émanant des bidules exposés sur la table de travail, on en devine l’organisation relativement embryonnaire, on y observe que ces sons constituent des pièces relativement brèves, présentées au public à la manière d’un spectacle de chansons.
Ces sons se lovent néanmoins dans nos corps de plus en plus relaxes, les conditions sont vraiment favorables pour absorber la matière principale du set principal: l’intégrale de Cardinal, nouvel opus signé Avec pas d’casque, de retour après une pause discographique de 8 ans. Sous étiquette Bravo Musique, l’album sera rendu public un vendredi 13… septembre. Acte de superstition renversée !
La matière de l’album à paraître est ici exécuté par Stéphane Lafleur (voix, guitare acoustique) et ses proches amis artistes, Joël Vaudreuil, Nicolas Moussette (basse, lap steel), Mathieu Charbonneau (claviers, cor baryton), Simon Trottier (basse et guitare solo).
“ Je mâcherai tes bottes pour les détendre », est une image typique de Stéphane Lafleur, à mon sens l’un des plus doués auteurs de chanson francophone de l’époque actuelle. Dans ce premier single extirpé de Cardinal, la tendresse et la sensualité côtoient aisément l’humour et la fantaisie . On imaginerait même un rôle de mâcheur de bottes dans un film d’André Forcier… mais que dis-je… Dans un film de Stéphane Lafleur, qui a tous les talents !
Le country folk poursuit sa route en Abitibi, les accords sont simples et beaux, les grattes de guitare paisibles, la guit solo circonspecte, le lap steel minimaliste, la basse clopin-clopant, les claviers généreux. Tout ça est mieux exécuté que jamais par Avec pas d’casque.
“Flamboyons ensemble/ D’un même feu, d’une même rage/ Je demande une trêve/ Je demande/ Seulement une autre dernière fois”, suggère ensuite le narrateur de Flamboyons, bousculé par l’élan passionnel mais qui a du mal à le suspendre.
Accepter le mystère, une ballade americana bien sentie, porte parfaitement son titre. La chanson dépeint une suite de contextes inexplicables dont il faut s’émerveiller, à tout le moins les accueillir sans résister.
On est sur le “cruise control”, confirmait alors Stéphane Lafleur, avant d’enchaîner Au sortir de la fête, qui exprime le désir de s’extirper d’un tourbillon humain: Une nouvelle lumière/ Une vapeur, une ébauche/Traverse le soir/ Laisse-la entrer/Laisse-la déployer sa forme/Besoin d’une pause/ Besoin d’une pause.
Vient une chanson sur “les rencontres qu’on n’attendait pas, qu’on n’attendait plus”, qui s’appelle Collision. L’impact est visualisé au ralenti par l’auteur qui souhaite en goûter chaque microseconde. Nous sommes ici bercés par les glissandos de lap steel pendant qu’Hier se dégage et que Le soleil se déplie.
On passe ensuite à la face B et ça se passe d’abord avec une histoire de chasse. La description de cette motivation de quiconque ne dépend pas de la chasse pour sa survie: Quelque chose de sauvage/ Quelque chose de libre de plus libre que lui/ Quelqu’un en veut à quelque chose en vie…
Le titre de la chanson suivante est super: D’autres messages suivront est un autre appel à un retrait provisoire du trafic de l’existence à la recherche d’une embellie car On se démanche / Dans nos intempéries / La danse n’est pas claire pour tout le monde. C’est l’occasion de découvrir une expression: chemin de désir, expression d’urbaniste désignant le raccourci sur la pelouse d’une intersection prescrite par deux trottoirs en angle droit.
Rivages, la 8ème au programme, exprime la chance et la félicité d’une destinée, La chance que j’ai / Se trouve dans les rivages où je me suis échoué.
Assortie d’un solo d’euphonium baryton, Cardinal, la chanson, est une espérance. Une imploration. Le rouge de l’oiseau sollicité permettrait au narrateur de fendre le blanc de l’hiver, de mieux voir devant, de mieux croire devant. On le croit sur parole.
La dernière chanson inédite au programme sera interprétée plus tard dans la soirée, après l’exécution de classiques tirés des albums précédent, Talent, Il fait noir de bonne heure et autres, Dommage que tu sois pris, j’embrasse mieux que je parle, Walkie-Talkie, etc. Vers la fin, on aura droit au dernier titre de l’album à paraître, Le soleil se cherche du stationnement. Encore un super titre !
Les rimes qui concluent Cardinal décrivent une passion amoureuse alors que crépuscule devient imminent : Le jour achève son tour de garde / Et le vent nous crie des noms/Et le soleil se cherche du stationnement/Dans l’horizon.
Qu’ajouter à cela ? Au sortir de l’Agora des Arts, il y a cette image surréelle qui s’invite dans la caboche en regardant au fond de la rue: escalader les cheminées de la célébrissime fonderie… Avec pas d’casque, il va sans dire, puisque ça ne se passe que dans la tête. Arrivé au top du cylindre, y contempler le paysage abitibien. Et soudain… y découvrir le nid d’un cardinal qui s’envolera au plus profond de soi.
crédit photo : Christian Leduc