Au Festival international de jazz de Montréal, les experts de PAN M 360 fréquentent tous les concerts qui secouent les mélomanes. Suivez notre équipe!
Hiromi, quelque part entre Oscar Peterson et Joe Hisaishi
De retour à Montréal après six ans, Hiromi au Théâtre Maisonneuve, ce jeudi soir, était une occasion spéciale. Avec PUBLiquartet, un quatuor à cordes de New York, elle a interprété l’intégralité de sa Silver Lining Suite, une œuvre qui mêle harmonieusement le jazz, le classique et le jazz-fusion. Ainsi, la soirée a pris des allures classiques et a été marquée par une dramaturgie digne de Beethoven.
Ce qui est vraiment étonnant, c’est l’énergie électrique qu’Hiromi est capable d’exploiter au piano et dans le public. Ses doigts ont parcouru sans effort les passages orchestraux complexes, exécutant des traits rapides comme l’éclair et des lignes mélodiques complexes avec précision et clarté. Tout au long des morceaux, les spectateurs ont applaudi à tout rompre, ne pouvant retenir leur enthousiasme plus longtemps. Pourtant, en un instant, elle pouvait atteindre le pianissimo le plus tendre. Si certains la trouvent trop voyante, il est indéniable que la musicalité d’Hiromi est quelque chose de vraiment spécial.
Varun Swarup
Kingfish quitte la scène Rogers devant un public admiratif
Christone « Kingfish » Ingram at Rogers Stage
Après quelques fantastiques afrobeats jazzy offerts par les Londoniens de Kokoroko, je me suis dirigé vers la scène des Rogers pour une nuit de blues endiablé. Lorsque les lumières se sont éteintes, un groupe a commencé à jouer un blues standard de 12 mesures avec un orgue, une batterie et une basse, et une guitare solo féroce a pris le contrôle des haut-parleurs.
Pendant les cinq minutes suivantes, il n’y avait aucun musicien sur scène, jusqu’à ce que la bête d’un homme – ou d’un garçon, car je viens d’apprendre qu’il a 24 ans… – Christone « Kingfish » Ingram – entre sur scène en brandissant sa magnifique Telecaster violacée. Il prend le micro et laisse échapper une voix qui donnerait du fil à retordre à B.B. King. Comme si Howlin’ Wolf et Muddy Waters avaient un petit-fils secret du Mississipi qu’ils avaient décidé de ne jamais révéler au monde.
Pendant une heure, les Kingfish ont joué avec le public, ne jouant que cinq ou six chansons, mais avec des interludes en solo qui ont duré 15 minutes, avec des expressions faciales trop belles pour être ignorées. Et c’était sublime. Le style solo de Kingfish s’articule autour d’une narration. J’imagine que c’est un homme timide dans l’âme qui laisse son jeu de guitare parler, confesser ses secrets les plus profonds et les plus sombres. Le clou du spectacle a été le moment où le Kingfish a quitté la scène pour laisser son groupe jammer pendant quelques minutes jusqu’à ce que le jeu de guitare fantôme reprenne les haut-parleurs. Les fans se sont retournés et ont vu Kingfish jouer dans la foule, des gouttes de sueur dégoulinant de son front.
« Je vous verrai tous à 22 heures quand nous jouerons un autre set. » Il est 21 h 50… Kingfish revient au micro. « Je vous verrai tous à 11 heures ! » C’est vrai, il allait recommencer dans une heure. Le talent de ce gamin est incontestable et on entend dire qu’il jouera avec le seul et unique Buddy Guy lors d’une prochaine représentation. C’est à ne pas manquer.
Stephan Boissonneault
Photos by: Victor Diaz Lamich
Courtesy of Festival International De Jazz De Montreal
Arooj Aftab, Vijay Iyer, Shahzad Ismaily: tension et détente en Amérique du Nord… et en Asie du Sud
Piano, Fender Rhodes, synthés, voix humaine, basse électrique. Arooj Aftab, Vijay Iyer et Shahzad Ismaily auraient normalement rempli le Monument National vu le succès critique de leur récent album Love In Exile. Devant un parterre un peu trop clairsemé au goût de la chanteuse, nous aurons droit à quatre improvisations bien senties, réparties sur un peu plus d’une heure. Trop court? Un peu trop court mais concluant de manière générale.
Réduire ce concert à une séance de méditation serait simpliste. Comme ces artistes l’expliquent en interview, on parle plutôt d’une subtile dialectique tension-relâchement, qui n’exclut pas les montées d’intensité dans le jeu et le volume. On l’aura constaté dans les derniers volets de cette riche prestation. Autre déconstruction de clichés : non, ce n’est pas de la musique indo-pakistanaise revisitée dans un contexte jazz, il s’agit plutôt d’une imbrication culturelle dans le contexte d’une expression globale.
Arooj Aftab n’est pas une chanteuse de qawwalî, ni de musique carnatique ou hindoustanie; sa technique vocale n’a pas grand-chose à voir avec la musique classique de l’Asie méridionale. Nous avons plutôt devant nous une autodidacte de talent qui a su faire évoluer son organe vocale et trouver une voix inspirée du chant pop occidental. Qui plus est, sa posture pince-sans-rire, parfois aux limites du cynisme, son ballon de vin à la main et ses vêtements modernes défient tout traditionalisme.
On l’a souligné à maintes reprises par le passé, le jazzman visionnaire Vijay Iyer n’est aucunement un musicien classique indien, bien qu’il en connaisse assurément les échelles mélodiques. Ce qu’il cherche est ailleurs, sans exclure quelques couleurs de la culture de ses parents. Fils d’immigrants pakistanais, Shahzad Ismaily évolue sur ce même territoire ouvert, très riche harmoniquement et propice à de magnifiques mises en commun de recherches texturales. Vraisemblablement, nous sommes en Amérique du Nord… mais aussi un peu en Inde du Sud.
Alain Brunet
Ibrahim Maalouf et la communication de masse
Devant un parterre bien tassé sur la Place des festivals, le trompettiste franco-libanais Ibrahim Maalouf a présenté le plus pop de ses projets : Capacity to Love, hymne instrumental à la paix, la tolérance, la curiosité de l’Autre, l’amour entre les êtres. Jeudi soir, cette capacité d’aimer des humains ne fut certes pas mise à l’épreuve.
Le virtuose au quatre pistons (au lieu de trois) a construit sa carrière sur des mélanges probants de jazz moderne et de mélodies du Levant, Maalouf est devenu une référence absolue du jazz oriental. Cette fois, il amalgame ses découvertes antérieures au groove, comme le font Snarky Puppy, Louis Cole, Kokoroko et autres Ezra Collective.
Ce à quoi les dizaines de milliers de festivaliers ont eu droit, c’était de la pop instrumentale de haute tenue. Le public pouvait s’accrocher au beat d’inspiration soul-R&B-hip-hop-afrobeats-reggaeton et se laisser séduire par l’exotisme moyen-oriental, mais aussi à la virtuosité d’un soliste éloquent et de ses musiciens – notamment Mihai Pîrvan, qui a parfaitement adapté son saxophone alto au langage des instruments traditionnels à vent qu’on utilise dans la musique classique arabe. Musicalement, ce projet groovy d’Ibrahim Maalouf n’est peut-être pas son plus profond, il s’agit néanmoins de son acte le plus généreux au chapitre de la communication de masse.
Alain Brunet
Vous avez dit Kokoroko?
On l’a déjà souligné, le combo londonien Kokoroko malaxe à qui mieux mieux le jazz groove à la sauce CTI et la musique africaine des années 70 et 80 – surtout Nigeria (afrobeat) et Ghana (highlife). Rassemblés devant la scène Rio-Tinto, des milliers de festivaliers ont découvert ce mélange unique afro-groovy, qui ne pourrait être concocté ailleurs qu’au Royaume-Uni vu les ingrédient de cette succulente recette jazzy pop.
On l’a aussi souligné, ces musiciens (claviers, guitare, basse, batterie, percussions, trompette, trombone, voix) sont solides et cohésifs. Aucun d’entre eux ou elles ne font dans la haute voltige, le résultat est supérieur à la somme de ses parties, voilà la meilleure façon de se faire valoir pour un groupe de jeunes pros.
Alors on boude pas son plaisir, on apprécie l’entrain généré par ces riffs souvent déployés par la trompette et le trombone de deux frontwomen, chanteuses de surcroît, dont la fondatrice Sheila Maurice-Grey.
Pas moins de 90 minutes de pure joie!
Alain Brunet
Au milieu de Misc
Après les performances gratuites de Kokoroko ,de Grande-Bretagne, et de Ibrahim Maalouf de France, celles et ceux qui n’étaient pas encore saoulés complètement de musique pouvaient se rendre au studio TD pour écouter le trio québécois de MISC. Le public, majoritairement jeune, ne l’a pas regretté une seconde.
MISC, c’est le clavieriste Jérome Beaulieu , le batteur William Coté et le bassiste (accoustique et électrique) Frédéric Roy. « J’ai la chance extraordinaire de jouer avec mes deux meilleurs chums » s’est exclamé Beaulieu aux deux tiers du spectacle . Cette complicité est évidente musicalement. MISC est aux antipodes du trio de Brad Meldhau. On est pas dans l’improvisation fine ou dans le déluge de notes savantes.
Les trois boys font un jazz plus percussif. Même le piano de Beaulieu est percussif. On flirte souvent avec le rock, c’est le son d’ensemble qui prime. On joue aussi beaucoup avec la réverbération et les bidouillages électronique.Plusieurs pièces étaient issues de l’album Partager l’Ambulance de 2021.
Mais le trio a beaucoup gagné en cohésion et en innovation depuis sa publication.William Coté joue des cymbales comme un savant batteur de jazz mais peut aussi y aller a fond la caisse dans des rhytmiques plus lourdes, mais jamais sans subtilité.Idem pour le bassiste Frédéric Roy, qui alterne, même parfois dans la même pièce , entre la contrebasse et la basse électrique.
Jérome Beaulieu , qui travaille aussi avec plusieurs formations, dont celle de Daniel Bélanger, gagne sans cesse en maturité. Il y’a des centaines de trio piano, basse, batterie. Ce n’est pas facile de se frayer un chemin dans cette jungle jazzistique touffue.
Mais si MISC passe près de chez vous, allez-y! Vous passerez un excellent moment .
Michel Labrecque
HAWA B serpente sur l’Esplanade
L’Esplanade de la Place des Arts était clairsemée jeudi soir, juste avant 19h.. mais cela n’a pas tenu longtemps. HAWA B a su faire tourner les têtes et cesser les pas pressés.
C’est un mélange bien homogène de rock alternatif, de R&B, de jazz et de soul que nous présente ce groupe dirigé par la chanteuse et autrice-compositrice Nadia Hawa Baldé. On observe une vaste gamme d’influences – on entend autant Radiohead que Beyoncé – encapsulée à merveille dans des chansons à la structure évolutive, aux progressions d’accords surprenantes, et au caractère majoritairement contenu, qui fait briller les musiciens et les envolées démentes lorsqu’elles arrivent.
L’artiste semble s’être creusée une niche scénique bien confortable entre nonchalance et intensité. Elle bouge lentement, mais décidément, s’accroupissant ou se pliant en deux pour atteindre des notes à l’extrémité haute de son registre, faisant virevolter ses cheveux, descendant plusieurs fois de scène pour aller rejoindre la foule, lançant son pied de micro en bas de la scène, envoyant promener son tabouret avec des coups de pieds… le tout d’une manière curieusement détachée, presque robotique, mais qu’on devine aussi purement spontanée. C’est comme assister à une explosion au ralenti. Toute l’intensité y est, mais on peut savourer chaque échange chimique, sentir la décharge d’énergie qui nous parvient et vivre l’expérience sans en être soufflé dans le moment, tout en restant subjugué.
Théo Reinhardt
The Franklin Electric inaugure le MTELUS du FIJM
La rumeur au MTELUS était bien bruyante, alors que le public attendait, patiemment ou non, l’arrivée de ce groupe-collectif créé et dirigé par Jon Matte.
Le concert était dédié au nouvel album qui sortait quelques heures plus tard. La première moitié du spectacle a servi à nous faire sentir le vent de ces nouvelles chansons, après quoi on se permettait de revenir en arrière. À un moment, Jon Matte s’assoit au piano et demande s’il y a des questions dans le public. Évidemment, la première question était « pouvez-vous faire vos anciennes chansons? », ce à quoi Matte répond: « Oui… mais tu viens de voler le punch, man! »
Avec un groupe complet et trois violonistes, les chansons folk-pop brillaient de leur qualité crépusculaire et leur atmosphère remplissait la pièce. Jon Matte est aussi très habile vocalement, autant pour bien rendre ses passages plus textuellement denses que ses élans mélodiques. Une belle voix de tête aussi, qu’il utilisait pour tenter de donner des parties chantées à la foule lors de quelques chansons.
Théo Reinhardt