D’emblée, il faut le dire, ce n’est peut-être pas le cadre de performance le plus idéal auquel le public lanaudois et les chanteurs de l’ensemble vocal a capella américain Chanticleer se seraient attendus pour leur première apparition au Festival de Lanaudière. La nature s’était effectivement invitée de manière plutôt audible sur le terrain de l’Amphithéâtre Fernand-Lindsay qui n’a pas échappé aux fortes averses qui ont balayé le sud du Québec ce dimanche 13 juillet. Imperturbables, d’une bonne humeur contagieuse et avec une grande maestria, les douze voix de l’ensemble ont bravé les éléments pour offrir une performance enlevante.
Tel que raconté dans l’entretien que nous avons réalisé avec le directeur musical de Chanticleer, Tim Keeler, le programme proposait un voyage aux sources de la polyphonie, mais surtout une synthèse de la manière dont cet art musical a façonné l’écriture de la musique pendant plus de cinq siècles. Des sources véritables de la polyphonie, le programme n’en a donné que quelques exemples, avec notamment l’extrait du « Gloria » de la Messe de Nostre-Dame de Guillaume de Machaut, qui s’insérait dans un segment la mettant en relation avec l’arrangement de la prière Our Father par le compositeur afro-américain Julius Eastman. La pièce d’Eastman fait usage d’harmonies ouvertes à la quinte, agrémentées de passages vocaux chromatiques au même titre que l’extrait de Guillaume de Machaut, dont la parenté surprend par son langage harmonique tendu. Ces deux pièces étaient précédées de pièces contemporaines, dont l’intéressante Hee-oo-oom-ha de Toby Twining, une mélopée vocale texturée, bourrée d’onomatopées, de rythmes irréguliers portée par un solo de yodel interprété par le ténor Andrew Van Allsburg qui fait preuve d’une grande maîtrise vocale dans le basculement entre la voix de poitrine et la voix de tête. Parmi les autres pièces « classiques » interprétées, mentionnons aussi Musica Dei donum optimi d’Orlando di Lasso, Cantate Domino de Giovanni Gabrieli et Finlandia de Jean Sibelius qui est venu clore la première partie.
La seconde partie du concert a continué de mettre en valeur des compositions classiques contemporaines ainsi que des œuvres du répertoire américain et afro-américain. L’interprétation du traditionnel African-American Spiritual Poor Pilgrim of Sorrow a donné lieu à un moment transcendantal, porté par la voix de contre-ténor du soliste Cortez Mitchell. L’autre spiritual de l’après-midi, Wade in the Water, était très à propos alors qu’un véritable rideau d’eau s’abattait autour de l’espace couvert de l’amphithéâtre. Les douze chanteurs sont demeurés en contrôle dans leur performance, enchaînant avec la suite Not an End of Loving de Steven Sametz et la composition d’Ayanna Woods Future Ones, une douce pièce qui s’interroge sur l’héritage que nous laissons aux générations futures.
Charismatique, énergique et s’adressant régulièrement au public, avec quelques mots en français, Chanticleer a ostensiblement fait bien plus que donner un concert de musique. Ils ont créé un moment d’unité et d’apaisement avec le public par l’entremise de leur interprétation solide, techniquement maîtrisée et engagée. Je trouve qu’il est parfois un peu cliché de mettre de l’avant le pouvoir quasi mystique de la musique d’unir les êtres comme étant une manne positive universelle. La réalité est parfois plus complexe. Mais, comme les membres du groupe l’ont mentionné, alors qu’il y a beaucoup de bruit discordant dans le monde actuellement, ce type de moments musicaux, aussi petits soient-ils, constitue des instants précieux dont on ne saurait se passer. Dans cette optique, Chanticleer a éprouvé une grande joie à venir partager cette passion avec leurs sympathiques et gentils voisins du Nord. Une parole qui, tout comme l’entièreté du concert, a été accueillie par un tonnerre d’applaudissements.