Jeudi soir, l’Orchestre national de jazz et Caity Gyorgy, deux fois lauréate d’un Juno, ont offert à une Cinquième Salle comble quatre-vingt-dix minutes de compositions d’Irving Berlin telles qu’elles ont été arrangées pour Ella Fitzgerald. Caity Gyorgy n’a pas hésité à révéler à quel point la musique de Fitzgerald a eu un impact sur sa propre carrière et il m’apparaissait évident qu’elle avait étudié et intériorisé ce répertoire.
Un tel concert hommage requiert nécessairement un examen plus approfondi, car il arrive souvent que le public connaisse bien la musique et ait certaines attentes quant à la façon dont elle devrait sonner. Je suis heureux de pouvoir dire que l’ONJ et les forces combinées de Gyorgy ont donné lieu à un concert qui a rendu hommage à Berlin et à Fitzgerald avec respect et précision, tout en étant parfois stylisé avec goût.
Musicalement, chacun a joué son rôle efficacement et presque tout le monde a eu des moments de solo tout au long du spectacle. Bien sûr, Gyorgy elle-même n’a pas fait exception et elle a montré ses prouesses d’improvisation dès le début de la soirée en jouant en solo sur Blue Skies. Notamment, sa sélection de notes n’a pas faibli pendant les rafales de doubles croches plus denses de son solo. Même certains saxophonistes ont tendance à être paresseux à cet égard, il est donc admirable et impressionnant qu’elle ait choisi de chanter ces passages avec clarté et confiance au lieu de simuler quelque chose de plus informe.
D’autres solistes notoires sont venus des suspects habituels, notamment le trompettiste Bill Mahar et la pianiste Marianne Trudel, qui ont injecté un vocabulaire plus moderne dans ce qui était par ailleurs une soirée de swing pur et dur. Même les quelques erreurs de concentration n’ont rien enlevé à la soirée : la batterie qui a adopté un tempo différent de celui du reste du groupe sur Heat Wave, des paroles mal interprétées sur You Can Have Him et une étrange application de réverbération sur la voix de Gyorgy pendant Putting on the Ritz sont les seules choses que j’ai notées.
Cependant, malgré le talent et les efforts combinés de chacun (et malgré l’inclusion de deux compositions qui ne sont pas d’Irving Berlin), je dois admettre avoir ressenti une certaine lassitude aux trois quarts du spectacle. La musique swing des big bands témoigne d’un grand sens de l’arrangement et d’une grande énergie dans le meilleur des cas, mais cette musique a été écrite pour être jouée sur les pistes de danse. C’est pourquoi, après près de quatre-vingt-dix minutes, j’ai commencé à ressentir le poids de la répétitivité de la musique swing, d’autant plus que nous avons en grande partie abandonné la tradition de danser sur cette musique pour nous asseoir et l’écouter avec révérence.
Mon intérêt n’a repris que lors du rappel, qui a été décidé à la manière d’une jam session, c’est-à-dire à la volée. Gyorgy et la section rythmique de l’ONJ ont joué une version de Mack the Knife (Kurt Weill) à la demande du public. Gyorgy a chanté la chanson avec des paroles à moitié mémorisées qu’elle a compensées en improvisant des mélodies et en inventant ses propres couplets en anglais et en français. C’était tellement spontané et habile qu’on ne pouvait s’empêcher de rire avec eux.
Près d’un siècle s’est écoulé depuis l’époque où cette musique était nouvelle et où Ella Fitzgerald a acquis sa notoriété en chantant avec l’orchestre de Chick Webb. Mais pour ceux qui craignent périodiquement pour l’avenir du jazz et la façon dont ses traditions seront mémorisées et transmises, j’ai une bonne nouvelle : il y a encore de jeunes adultes talentueux qui défendent, interprètent et maintiennent cette musique pertinente pour les publics futurs. Caity Gyorgy est l’une d’entre eux, il va sans dire.
Par chance, j’étais même assis à côté de deux étudiants en jazz de l’université qui sont restés investis tout au long du spectacle. Je pense que tant qu’ils auront accès à des spectacles comme celui proposé par l’ONJ et Caity Gyorgy hier soir, les jeunes s’en sortiront probablement. Et le jazz aussi.