classique occidental / musique contemporaine

Concours de composition de l’OM : le carré d’as

par Alain Brunet

Le premier concours de composition de l’Orchestre Métropolitain consacre quatre créateurs, voici l’occasion de les découvrir sur PAN M 360, à commencer par Marie-Pierre Brasset

L’Orchestre Métropolitain a choisi quatre lauréats pour son premier Concours de composition, inspiré par l’œuvre de Beethoven : Marie-Pierre Brasset, Cristina Garcias Islas, Francis Battah et Nicholas Ryan. Lancée en mars dernier, cette compétition vise à commémorer le 250e anniversaire du fameux compositeur allemand. L’an prochain, les œuvres des lauréats seront créées par l’Orchestre Métropolitain sous la direction de Yannick Nézet-Séguin. Le présent dossier vise à vous faire découvrir ces compositeurs et leurs œuvres, interviews de PAN M 360 à l’appui.

Nous commençons par Marie-Pierre Brasset, collaboratrice régulière de PAN M 360.

L’équipe de direction de la plateforme est très fière de vous la faire connaître davantage. Née au Québec en 1981, elle besogne dans le milieu de la musique classique contemporaine depuis une quinzaine d’années. Ses œuvres ont été interprétées par des formations telles le Nouvel Ensemble Moderne (NEM), l’Ensemble Contemporain de Montréal (ECM+), le Trio Fibonacci et le Quatuor Bozzini. Comme l’indique son profil biographique, « sa musique se distingue par un foisonnement mélodique et motivique qui se développe dans des formes amples et organiques. » De plus, « l’écoute contemplative de la nature marque profondément son travail de création. »  Marie-Pierre Brasset détient un doctorat en recherche-création portant sur l’opéra contemporain et enseigne également comme chargée de cours à l’Université de Montréal. Elle a créé l’émission de radio Pulsar, consacrée aux musiques de création, diffusée encore aujourd’hui sur les ondes de CISM à Montréal. Elle rédige régulièrement des articles sur la musique pour la revue Circuit, le site Web cettevilleetrange.org et PAN M 360.

PAN M 360 : Quel a été ton parcours académique ?

MARIE-PIERRE BRASSET : Un long parcours. Bac en composition musicale à l’Université Laval, maîtrise au Conservatoire de musique de Montréal, doctorat à l’Université de Montréal, stage de recherche à Paris 8. Avant cela, j’avais fait un bac à l’UQAM en Histoire, Culture et Société. Disons que j’ai fait mon temps sur les bancs d’école !

PAN M 360 : Comment es-tu devenue musicienne ?

MARIE-PIERRE BRASSET : Difficile à dire… je fais de la musique depuis toujours.

PAN M 360 : Dans quelle tradition de composition t’inscris-tu ?

MARIE-PIERRE BRASSET : Je dirais musique classique contemporaine. 

PAN M 360 : As-tu un projet global de développement créatif qui te définit et te distingue de tes contemporains ?

MARIE-PIERRE BRASSET : Ces temps-ci, je me passionne pour la musique théâtrale et vocale. Les projets sur lesquels je travaille façonnent mon développement créatif en quelque sorte. Je peux dire aussi que ma musique est la plupart du temps strictement acoustique. Je n’emploie pas de nouvelles technologies, je ne fais pas de musique mixte, électro ou acousmatique, bien que j’admire et adore ces pratiques. Mon chemin m’a mené à travailler avec des musiciens live et débranchés !

PAN M 360 : Quelle est pour toi la différence entre un compositeur éduqué, diplômé d’études supérieures en 2020 par rapport aux compositeurs issus des générations précédentes ?

MARIE-PIERRE BRASSET : Il y a beaucoup plus d’ouverture à la différence, aux nouvelles perspectives sur la pratique du métier, à l’inclusion. Cela vient d’un grand questionnement sur les dogmes de la musique classique établis par des hommes blancs occidentaux depuis environ 400 ans. Il y a eu énormément de chemin fait en ce sens depuis une dizaine d’années et c’est une bénédiction pour les jeunes compositeurs et compositrices de la nouvelle génération.

PAN M 360 : Quels sont tes goûts musicaux en tant que mélomane ?

MARIE-PIERRE BRASSET : Je suis ouverte à tout. Vraiment – merci PAN M 360 pour toutes ces découvertes !  D’un autre côté, j’ai un grand besoin de silence, ou plutôt de prendre une pause de musique, car cela occupe 99 % de mes activités. J’écoute très souvent de la musique en me posant beaucoup trop de questions et cela devient un exercice cérébral épuisant plutôt qu’une expérience esthétique nourrissante.

PAN M 360 : Quelles sont tes principales œuvres ?

MARIE-PIERRE BRASSET : La Piñata, un opéra de chambre dont la création devait avoir lieu à Québec en septembre dernier et qui a été reportée à l’année prochaine. Une grosse œuvre d’une heure vingt avec cinq chanteurs et dix musiciens. Un beau projet porté par Erreur de type 27 et l’Ensemble Lunatik. Bien hâte de voir naître cet opéra ! Présentement, je travaille à une autre pièce d’envergure, un monodrame de 50 minutes pour baryton, quintette à vent et théâtre d’ombres, soit avec le baryton Vincent Ranallo, l’ensemble Choros et la compagnie de théâtre Ombres folles. La création est prévue en janvier 2022.

PAN M 360 : Quel est le projet de l’œuvre lauréate de l’Orchestre Métropolitain ?

MARIE-PIERRE BRASSET : Une pièce pour orchestre ! Sans blague, ce concours de composition a pour thématique la musique de Beethoven. Pour moi, l’amor fati, ce grand « oui » à la vie, est l’héritage le plus important de ce compositeur. On ne sent aucun apitoiement, aucun renoncement dans cette musique : Beethoven se tient droit et va convaincu et va au bout de ses élans. Cela donne un discours formel mené à un degré de perfection impressionnant. Il ne contient aucun flou, tout est coupé au couteau, tout est placé au bon endroit et semble arriver au bon moment.  Voilà, disons, ce qui m’inspirera pour ce projet musical. Mais je ne peux pas en dire davantage. Une pièce en cours de composition est tellement difficile à décrire…

Gala de l’ADISQ 2020 : Les gagnants

par Rédaction PAN M 360

La 42e édition du Gala de l’ADISQ a eu lieu dimanche soir dernier (1er novembre) devant un public restreint composé en majeure partie des artistes nominés.

L’événement animé par Louis-José Houde a permis de souligner les moments et artistes marquants de l’année dans le domaine de la musique, malgré le contexte actuel. Les Cowboys Fringants ont raflé cinq statuettes et Louis-Jean Cormier est reparti avec deux Félix. Ceux-ci ont également offert des prestations et on a pu voir le talent québécois à l’œuvre avec Flore Laurentienne, Marie-Pierre Arthur, Matt Holubowski, Anachnid, un duo composé d’Eli Rose et Marc Dupré, ainsi qu’un medley interprété par Naya Ali, Evelyne Brochu, KNLO, Bleu Jeans Bleu et 2Frères.

Cliquez sur l’image pour écouter le gala sur le site de ICI Radio-Canada.

La liste complète des gagnants

PREMIER GALA (mercredi)

ALBUM DE L’ANNÉE – MEILLEUR VENDEUR
Les Antipodes, Les Cowboys Fringants 

ALBUM DE L’ANNÉE – ROCK
Les Antipodes, Les Cowboys Fringants  

ARTISTE DE L’ANNÉE AYANT LE PLUS RAYONNÉ HORS QUÉBEC
Alexandra Stréliski 

ALBUM DE L’ANNÉE – ANGLOPHONE
Wave, Patrick Watson 

ALBUM DE L’ANNÉE – ALTERNATIF
Des feux pour voir, Marie-Pierre Arthur 

VIDÉO DE L’ANNÉE
L’Amérique pIeure, Les Cowboys Fringants 

GALA DE L’ADISQ 

ALBUM DE L’ANNÉE – ADULTE CONTEMPORAIN
Quand Ia nuit tombe, Louis-Jean Cormier

ALBUM DE L’ANNÉE – FOLK
L’étrange pays, Jean Leloup

ALBUM DE L’ANNÉE – POP
Rien ne se perd, Marc Dupré

ALBUM DE L’ANNÉE – RAP
Sainte-Foy, KNLO

ARTISTE AUTOCHTONE DE L’ANNÉE
Elisapie

RÉVÉLATION DE L’ANNÉE
Eli Rose

SPECTACLE DE L’ANNÉE  (AUTEUR.E – COMPOSITEUR – COMPOSITRICE – INTERPRÈTE)
Robert en CharIeboisScope, Robert Charlebois

AUTEUR.E OU COMPOSITEUR, COMPOSITRICE DE L’ANNÉE
Louis-Jean Cormier, Daniel Beaumont, Alan Côté, David Goudreault/Louis-Jean Cormier pour Quand Ia nuit tombe, Louis-Jean Cormier

GROUPE OU DUO DE L’ANNÉE
Les Cowboys Fringants 

INTERPRÈTE FÉMININE DE L’ANNÉE
Alexandra Stréliski

INTERPRÈTE MASCULIN DE L’ANNÉE
Émile Bilodeau

CHANSON DE L’ANNÉE
L’Amérique pIeure, Les Cowboys Fringants (Jean-François Pauzé) 

Smartsplit au service de la musique : contrats intelligents à l’horizon !

par Alain Brunet

Smartsplit, une entreprise québécoise, planche sur le « contrat intelligent », soit le partage informatisé des revenus générés par les œuvres musicales. Bienvenue dans l’univers de la blockchain !

Les avancées informatiques sur le web révolutionnent le partage des droits des créateurs et interprètes de la musique. Irréprochables et impartiaux dans leur application, c’est-à-dire parfaitement conformes aux dispositions des ententes conclues entre les parties, ces contrats intelligents sont désormais envisageables dans un environnement numérique. L’avènement de la blockchain sur le web en facilite désormais les répartitions complexes.

D’où l’avènement de Smartsplit, un nouveau service mis au point par une entreprise dont Guillaume Déziel est le fondateur. Grâce à ce nouveau service, les créateurs et interprètes des œuvres de l’esprit pourraient améliorer sensiblement l’efficacité du partage des profits générés par leur travail.

Cette idée de contrat intelligent a fait son chemin depuis que le groupe Misteur Valaire, avec lequel Guillaume Déziel avait des liens d’affaires, et l’Orchestre Métropolitain de Montréal ont imaginé une entente originale. En 2014, 59 musiciens de l’Orchestre Métropolitain sous la direction de Yannick Nézet-Séguin, flanqués de 200 jeunes choristes de l’École Joseph-François-Perrault, jouaient devant public les adaptations symphoniques de vingt pièces signées Misteur Valaire et incluant le groupe dans ces exécution arrangées par Olivier Hébert. Présenté à l’Église Saint-Jean-Baptiste, le concert fut enregistré par une équipe de la Société Radio-Canada. Récemment mis en marché, un album en fait état.

Au terme de la représentation de 2014, l’enregistrement du concert fut cédé à l’Orchestre Métropolitain,Yannick Nézet-Séguin et les Valaire qui choisirent d’en partager les droits et revenus. Pourquoi un tel arrangement, cette fois économique ? Les Valaire n’ayant pas les moyens de payer des cachets d’enregistrement et les droits de suite aux 66 musiciens mis à contribution, il fut proposé de partager collectivement les revenus de la coproduction. Avec l’aval de la Guilde des musiciens et des musiciennes du Québec, un contrat intelligent vit le jour. 

Plus précisément, l’arrangeur et compositeur Olivier Hébert eut droit à une part du droit d’auteur de sa version symphonique de l’œuvre. Les droits voisins des interprètes de l’œuvre durant l’enregistrement sonore furent divisés à parts égales entre tous les interprètes sur scène. Ces mêmes interprètes furent désignés coproducteurs de l’enregistrement sonore, à parts égales. Enfin, le chœur des 200 jeunes accepta un pourcentage symbolique des bénéfices, cette fois destiné à la Fondation de l’École Joseph-François-Perrault. L’histoire ne dit pas si tout ce beau monde a rempli sa tirelire avec les revenus de cet enregistrement, mais la nature de l’entente était annonciatrice d’une petite révolution dans la répartition des droits.  

« La grande particularité de Smartsplit, explique Guillaume Déziel, réside dans son expérience utilisateur (UX). Ce n’est pas conçu par et pour des administrateurs de droits, mais bien pour les artistes. Dès le départ, ceux-ci doivent se demander qui a créé quoi sur la pièce musicale ? Qui a joué quoi sur l’enregistrement sonore? Qui possède l’enregistrement sonore, c’est-à-dire qui a payé pour que ça se produise ? Lorsque les créateurs, auteurs, compositeurs, interprètes et coproducteurs se sont entendus sur le partage des droits, on fait deux choses : primo, on leur fait une belle entente en PDF prête à signer; secundo, on publie l’entente sur une blockchain pour la figer dans le temps, pour que la trace soit indélébile. »

Hum… Et si on essayait de comprendre davantage la mécanique du contrat intelligent ?

« Nous utilisons des technologies communes centralisées comme toute bonne plateforme web sait le faire. Cependant, dès qu’il y a une entente entre les ayants droit, on se sert de technologies décentralisées pour rendre possible l’application automatisée du contrat intelligent, soit pour cristalliser l’entente et procéder au partage des droits. Nous utilisons alors des tokens de type ERC-998 pour écrire l’entente (en code Solidity) sur la blockchain d’Ethereum. »

Tokens ? Blockchain ? Ethereum ? Qu’est-ce que ça mange en hiver ? 

Ethereum est un protocole d’échanges décentralisés permettant la création par ses utilisateurs de contrats intelligents. Ces contrats se fondent sur un protocole informatique permettant de vérifier ou de mettre en application un contrat mutuel. Ils sont déployés dans une blockchain qui en permet la consultation. Une blockchain, en fait, est une technologie de stockage et de transmission d’informations sans organe de contrôle. Les informations fournies par les utilisateurs et les liens internes sont vérifiés et groupés à intervalles de temps réguliers en blocs, constituant ainsi une chaîne. Le protocole d’échange Ethereum utilise une unité de compte dont l’objet est d’appliquer les dispositions du contrat intelligent et de payer les ayants droit.

Guillaume Déziel

Acteur de l’industrie québécoise de la musique, Guillaume Déziel a vu dans l’avènement de la blockchain un solide modèle de développement pour l’évolution de la propriété intellectuelle dans un environnement numérique. Est-il besoin de rappeler que la propriété intellectuelle en a pris pour son rhume depuis une vingtaine d’années; la domination écrasante des géants du web a considérablement affaibli les créateurs de contenus et les alternatives mettent du temps à émerger pour que les artistes, très majoritairement précarisés dans un environnement numérique, puissent retrouver le chemin de la prospérité.

« Seule une blockchain ouverte, affirme Guillaume Déziel, peut permettre à plusieurs joueurs, indépendamment de leur nature, leur allégeance politique ou de leurs intérêts commerciaux, d’interagir. On a assez vu de guerres de clocher dans l’industrie de la musique qu’on a pensé y aller pour jouer au-dessus de la mêlée. »

Ainsi, Smartsplit favorise le partage des droits. Les services offerts par l’entreprise consistent à rendre concrètes les ententes conclues entre les ayants droit des œuvres : rédaction, liens avec les sociétés de gestion collective des droits, publication au dépôt légal, publication des métadonnées sur les œuvres (crédits, etc.) pour en maximiser la découvrabilité, protéger les œuvres, fournir toutes les informations nécessaires aux ayants droit sur les dispositions de leurs ententes et l’application de leurs contrats intelligents. On en passe…

« Une de nos grandes forces, soulève le porte-parole de Smartsplit, est d’offrir une expérience utilisateur (UX) qui respecte la courbe d’apprentissage des artistes et artisans. On ne vient pas au monde en sachant ce qu’est une « clé de répartition » ou une « exécution publique ». Ainsi, nous nous efforçons d’utiliser des termes compréhensibles par tous, bien au-delà des comptables, avocats ou éditeurs. »

Et quelle est la clientèle de Smartsplit ?

« Avant de lancer GarageBand, rappelle Guillaume Déziel, Steve Jobs s’était inspiré d’une étude de marché révélant que la moitié des ménages comptait au moins un musicien. Notre clientèle est là. Selon les données publiées par la Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique (SOCAN), 6572 nouveaux membres ont été accueillis en 2016 par la société de gestion de droits, la croissance annuelle est de 6,1 %. Toujours en 2016, 124 472 nouvelles œuvres ont été déclarées à la SOCAN, au Canada seulement. Ces œuvres s’ajoutent à un catalogue mondial de 27 millions de compositions disponibles. Dans un autre type de marché, CD Baby distribue plus de 9 millions de pistes en format numérique, sa division Pro Publishing administre plus d’un million d’œuvres et en accueille plus de 25 000 nouvelles par mois. Enfin, Bandcamp, un service B2B de vente en ligne, compterait à ce jour 13,9 millions de pistes disponibles en téléchargement, avec une croissance annuelle moyenne des revenus de 174,94 % par année. Cette croissance de la création alimente forcément la réflexion sur les partages de leurs droits. »

Et la concurrence de Smartsplit ?

« Au domaine des contrats intelligents en musique, fait observer Guillaume Déziel, il n’y a actuellement que de beaux projets avec des millions derrière; rien de lancé encore. À ce titre, nous sommes en avance sur la parade. Selon Gartner, qui publie annuellement son « Hype Cycle », l’adoption massive des technologies décentralisées comme la blockchain est prévue de 2022 à 2027. Nous serons là. Nous serons prêts. »

jazz-rock / musique contemporaine / rock prog

Markus Reuter : Prog…ifique !

par Réjean Beaucage

Musicien extrêmement prolifique, l’Allemand Markus Reuter cultive ses influences et se multiplie sans s’éparpiller. Trois albums d’un seul coup ? Dossier à l’horizon !

Crédit photo : Kai R. Joachim

En voici un qui aurait de la difficulté à prétendre qu’il n’est pas un fan de King Crimson. Le musicien allemand a en effet suivi durant plusieurs années les cours de « guitar craft » de Robert Fripp, ce qui l’a mené à jouer du Chapman Stick (comme le bassiste Tony Levin), puis de la Warr Guitar (comme Trey Gunn), avant de concevoir son propre modèle de guitare « augmentée », la Touch Guitar. Il a formé un duo avec le batteur Pat Mastelotto, ce qui lui a permis de se joindre aux STICK MEN (Mastelotto et Levin) puis au double trio du Crimson ProjeKct (les STICK MEN + le Adrian Belew Power Trio). À travers tout ça (et, à vrai dire, un paquet d’autres choses), il a aussi collaboré au disque This Fragile Moment de la chanteuse Toyah Wilcox (épouse de Robert Fripp).

Voici  l’occasion de se pencher sérieusement sur son travail puisqu’il vient de sortir trois album d’un seul souffle sous étiquette Moonjune Records : Reuter Motzer Grohowski : Shapeshifters; Markus Reuter Oculus : Nothing Is Sacred; Markus Reuter avec Mannheimer Schlagwerk : Sun Trance.

Ajoutons à ce préambule que sur le premier disque de son groupe Oculus, on retrouve le violoniste David Cross qui fut de la période glorieuse de 1973-74 avec King Crimson. Ce disque fait entendre un quatuor enregistré live en studio : le batteur Asaf Sirkis, le bassiste Fabio Trentini, Cross (aussi aux claviers) et Reuter. À ceux-ci se sont par la suite ajoutées les couleurs du guitariste Mark Wingfield et les ambiances sonores de Robert Rich. Bref, il y a de la matière. Le maître d’œuvre explique dans les notes qu’il voulait obtenir quelque chose d’aussi radical qu’a pu l’être à l’époque Bitches Brew, et on nage certainement dans les eaux troubles du jazz-rock, mais, pour votre humble serviteur, ça a surtout rappelé le souvenir de Brand X (époque Phil Collins), plutôt que celui du Miles Davis de 1970.

Shapeshifters, c’est Reuter, le texturiste sonore Tim Motzer (guitare) et le batteur Kenny Grohowski. Le trio produit lui aussi une variété de jazz-rock, mais trempée dans l’urgence du free, tout en étant éminemment prog (il y a vraiment ici des réminiscences des envolées improvisées auxquelles se livrait le quatuor que formait David Cross avec Bill Bruford, John Wetton et Robert Fripp, et une pièce comme Dark Sparks puise allègrement son énergie dans Fracture). Et puis, si on pense encore à Brand X ici, c’est normal, Grohowski ayant rejoint le groupe anglais depuis 2016. Des improvisations très inspirées, par un power trio qui en a dedans.

Sun Trance est davantage assimilable à la musique contemporaine. Il s’agit d’une commande de Dennis Kuhn, le directeur artistique du Mannheimer Schlagwerk, un ensemble de percussions comme l’indique son nom. L’œuvre a été créée en concert le 23 mai 2017 et c’est cette performance enregistrée qu’on retrouve ici. Onze musicien-ne-s entourent le compositeur et guitariste : deux vibraphones, deux glockenspiels, deux « shakers », clarinette basse, synthétiseur, batterie, guitare et basse électriques. La pièce de 36 minutes est un appel à la méditation qui se développe lentement en un crescendo que nourrit un long solo de guitare de Reuter (ici, plus que jamais, dans les souliers de Robert Fripp). On peut voir la performance ici :

À noter que l’ensemble a commandé une nouvelle œuvre à Reuter pour célébrer son 25e anniversaire (en 2020… la création est remise à mai 2021). Vous pouvez contribuer financièrement à cette aventure ici.

En gros, si je devais évaluer par une note ces trois enregistrements bien différents, ils s’en tireraient tous avec un bon pointage. Le compositeur et guitariste Markus Reuter produit beaucoup, mais il n’en fait pas trop, et parmi les nombreux musiciens qui ont subi l’influence de Robert Fripp, il est certes l’un de ceux qui méritent l’attention. Ces trois albums sont parus en septembre chez MoonJune Records, et vous aurez compris que d’autres suivront bientôt.

Pour en savoir plus sur lui, visitez sa page Bandcamp.

rock

Eddie Van Halen (1955-2020) : génie pubère, supravirtuosité, zéro prise de tête

par Alain Brunet

Le legs paradoxal de feu Eddie Van Halen est à la fois génial et superficiel. Que choisir ?

« J’ai déjà changé la façon de jouer la guitare rock, right ? Eh bien, je ne vois pas ce que je pourrais trouver d’autre… Bien sûr, je peux jouer aussi rapidement qu’avant, il y a des trucs inédits qui surgissent inconsciemment çà et là. En jouant, jouant et rejouant, des choses se passent. Mais lorsqu’on me demande si j’ai encore mis au point une nouvelle technique, je réponds invariablement par la négative. »

Tirée de mon interview réalisée avec Eddie Van Halen, publiée dans La Presse en 1995, cette citation résume bien l’artiste qu’il fut. Son habileté déconcertante lui permit de réaliser des prouesses et innovations techniques hors du commun, mais cet autodidacte peu enclin à la théorie musicale s’en est tenu une vie durant à une vision post-pubère de la création rock. Cette vie de légende s’est conclue le 6 octobre 2020, soit 50 ans et 18 jours après la mort de Jimi Hendrix, ultime guitar hero de l’ère moderne. Le cancer avait déjà affligé EVH, il a finalement eu raison de lui, RIP…

Pianiste très doué lorsqu’il était très jeune, Eddie Van Halen jouait surtout de la batterie au tournant de l’adolescence et son frère Alex la guitare. Un jour, ils inversèrent les rôles, le band familial s’en trouva profondément transformé. Alex devint un excellent batteur de hard-rock et… le troisième instrument choisi par Eddie le rendit éternel. 

Rappelons que le musicien a perfectionné le tapping, assurément sa principale contribution d’instrumentiste:  cette technique consiste à  amplifier le manche de la guitare électrique pour ainsi permettre à la main gauche (pour les droitiers) qui en assure les fonctions harmoniques ou mélodiques d’émettre en plus des notes et accords en martelant ou en étouffant les touches du manche tout en tapant sur les cordes de la guitare avec la main droite – ou inversement pour les guitaristes gauchers. 

Cette technique provient de la guitare classique, Eddie Van Halen n’est pas le premier à l’avoir popularisée à la guitare électrique mais il est assurément celui qui en a offert une première version virtuose et tout simplement spectaculaire. Le tapping fut ensuite adopté par tant d’artilleurs de la guitare hard rock, métal, prog ou jazz, qui ont mené plus loin l’affaire –  on pense d’abord à Steve Vai qui fut embauché par Frank Zappa avant de voler de ses propres ailes… et mettre de l’avant une musique à la fois hautement technique et hautement ennuyeuse….

Ainsi donc, le  génie post-pubère d’EVH, sa supravirtuosité et les révolutions techniques de son jeu firent de lui le guitariste rock le plus marquant depuis Jimi Hendrix. Son fameux solo sur Beat It de MJ, tube absolu des années 80, confirma son statut de guitar hero absolu. De surcroît, il mit au point un modèle de guitare à son image, la Frankenstrat, instrument composite constitué de différentes marques dont la mythique Stratocaster que Jimi adorait jouer – d’où l’évocation de Frankenstein, créature composite de fiction comme on le sait. 

Fin 70 début 80, Eddie Van Halen fut sans conteste LE guitariste dominant de la planète rock.  

Quoique … la profondeur artistique de ce jeune immigrant hollandais transplanté en banlieue californienne ne fut pas toujours à la hauteur de ses talents extraordinaires d’instrumentiste. Il fit davantage dans le spectaculaire et le divertissement que dans la recherche et le raffinement. Les chanteurs de son fameux groupe, David Lee Roth et Sammy Hagar, furent des animateurs de party hard rock, inutile de préciser qu’ils chantaient des banalités et célébraient le style de vie rock dans ce qu’il a de plus superficiel.  Les hymnes d’Eddie, tous ces Jump, ont néanmoins conquis une vaste portion de sa génération et plus encore. On se rappellera que des pilotes de chasse américains carburaient aux tubes de VH alors qu’ils étaient en mission pendant la guerre du Golfe. Hum…

Multimillionnaire du rock, Eddie Van Halen préféra la vie du spectacle à celle du concert, quoiqu’il se réservait immanquablement de longues parenthèses de virtuosité créative. Devant le public des arénas, les compositions superficielles du groupe permettaient le jeu inspiré, très chaud, très sensuel, bien au-delà de la prouesse technique. Le feel d’Eddie était au moins aussi puissant que sa douance.

Lorsqu’on cherchait à savoir pourquoi il n’avait pas collaboré avec des compositeurs et virtuoses issus de champs plus « sérieux » de la musique, il répondait que personne ne le lui avait demandé. Dommage… mais tout ce qui ressemblait le moindrement à une prise de tête rebutait d’emblée EVH.

« Pour moi, tranchait-il dans cette même interview accordée à La Presse, la musique est une question de feeling. Fuck all the technique ! Et, comme tant de groupes grunge nous l’ont rappelé au début de cette décennie, concentrons-nous sur la création de bonnes chansons. Les standards sont plus élevés qu’avant, vous dites ? Je ne crois pas que ce soit si important. Si la musique ne vient pas du cœur, elle ne vaut absolument rien. La manière importe peu; si les gens aiment ton art, tu as réussi le principal de l’affaire. Lorsque tu es capable de reproduire sur ton instrument les idées que tu as en tête, c’est ce qui importe. Tu n’as absolument pas besoin d’être un grand technicien si tu veux communiquer des sentiments forts. » 

reggae

In memoriam : Bunny «Striker» Lee (1941 – 2020)

par Richard Lafrance

Le légendaire producteur jamaïcain Edward O’Sullivan Lee n’est plus.

Le « Gorgon » est décédé le 6 octobre de problèmes rénaux, à 79 ans. Né en 1941 à Kingston, il fit ses débuts dans l’industrie musicale en 1962, grâce à son beau-frère le chanteur Derrick Morgan, en tant qu’agent de promotion pour le label Treasure Isle de Duke Reid, puis pour Leslie Kong (Beverly’s). Son premier grand succès, Musical Field de Roy Shirley (1967), en pleine explosion rocksteady, l’amène à fonder son propre label, Lee, avec lequel il deviendra un acteur majeur de cet âge d’or. Puis, avec l’avènement du nouveau son early reggae, il enfile les énormes succès de Slim Smith (Everybody Needs Love), The Uniques (My Conversation), Max Romeo (Wet Dream), Delroy Wilson (Better Must Come), Eric Donaldson (Cherry O Baby), John Holt (Stick By Me) et de nombreux autres titres de Stranger Cole, Derrick Morgan, Pat Kelly et autres.

https://www.youtube.com/watch?v=KIAQTD7U0DQ

À l’aube des années 70, il devient l’un des pionniers du développement du reggae au Royaume-Uni en signant des licences avec les frères Palmer (Pama) et Trojan Records. On dira qu’entre 1969 et 1977, il a fait paraître plus de mille productions sur ses différents labels Jackpot, Third World, Lee’s et Striker Lee ! Mais ce n’est que vers 1974 que Bunny Lee, avec l’aide de Lee Perry, brisera le monopole détenu par Coxsone Dodd (Studio One) et Duke Reid (Treasure Isle) avec des productions comme Rockers de Johnny Clarke, Owen Grey et Cornell Campbell. La même année, à la suggestion de Bunny Lee, le batteur Santa Davis développe le style « flying cymbals », influencé par le jeu de batterie de la formation américaine T.S.O.P., avec la chanson None Shall Escape The Judgment, interprétée par Johnny Clarke. Dès le début des années 70, le producteur expérimente avec le dub avec son ami King Tubby, un nouveau style… né d’une gaffe à la console. D’ailleurs, en studio, il garde tout, même les erreurs. Il expliquera en entrevue que : « Every spoil a style, man! », comme quoi les plus gros succès, les nouveaux sons proviennent souvent d’erreurs techniques. 

https://www.youtube.com/watch?v=BjensgkVogw

D’autre part, puisqu’il n’a jamais possédé son propre studio, avec l’avènement des consoles multipistes il comprend rapidement comment maximiser ses investissements. En un jour ou deux, il enregistre une dizaine de rythmiques avec les Aggrovators de Sly & Robbie. Le troisième jour, il fait venir des chanteurs et des DJ pour l’enregistrement des voix. Le quatrième, on passe au mix, en produisant trois albums – un de versions des chanteurs, un de celles des DJ et une version dub – qui seront tous mis en marché… le lundi suivant ! Après 76, il se tournera vers les apprentis de Tubby’s, Prince Jammy et Phillip Smart pour mixer ses albums. Il contribuera alors à la montée des DJ dans les palmarès avec des productions de U-Roy, I-Roy, U-Brown, Dennis Alcapone, Prince Jazzbo, Jah Stitch, Trinity et Tappa Zukie, entre autres, pour lesquelles Striker n’a aucun scrupule à repiquer les rythmiques classiques de Studio One ou de Treasure Isle. Vers la fin de la décennie, ses artistes fétiches deviendront Linval Thompson, Leroy Smart et Barry Brown.

https://www.youtube.com/watch?v=wqXr-YmqJfw

En 2008, le gouvernement jamaïcain lui décerne L’Ordre de la Distinction en reconnaissance de son immense contribution à l’industrie musicale. En 2013 paraît un documentaire, I Am The Gorgon – Bunny Striker Lee and The Roots Of Reggae, réalisé par Diggory Kenrick, qui raconte sa vie à l’aide d’entrevues avec les artistes qu’il a contribué à rendre populaires, tels que U-Roy, Alcapone et Lee Perry.

On commençait à le penser immortel… Un bonhomme jovial, businessman avant tout, jamais avare de superlatifs à son propre sujet, mais qu’on disait très proche de ses artistes, tout comme de King Tubby, une autre légende qui a profité du génie du Striker. Il laisse dans le deuil un fils, Errol, né en 68, qu’il a eu avec la chanteuse Marlene Webber.

Ne manquez pas l’émission spéciale Basses Fréquences de notre journaliste Richard Lafrance consacrée à Bunny Lee, dimanche 11 octobre, de 16h à 18h sur cism893.ca !

https://www.youtube.com/watch?v=bVWm6geSn0Y

Le festival malgré tout (4e partie – Nuits d’Afrique)

par Alain Brunet

Depuis le début septembre, le FME, MUTEK, Pop Montréal, les Francos et maintenant Nuits d’Afrique vont de l’avant malgré la pandémie qui sévit et la seconde vague qui déferle sur les salles désormais fermées aux festivaliers. PAN M 360 est allé à leur rencontre afin qu’ils nous expliquent les enjeux, contraintes et nombreux obstacles auxquels ils ont dû faire face.

Notre dossier en continu se poursuit avec la cofondatrice et directrice générale du festival Nuits d’Afrique, présenté à Montréal depuis les années 80. Inutile de souligner que Suzanne Rousseau était sous le choc lorsque le gouvernement québécois a annoncé lundi la suspension des spectacles et concerts devant public pour une durée (minimale) de 28 jours.

« Cela ne me semble pas très logique d’avoir annulé tout ça, mais ce sont eux qui savent, hein ? J’essaie d’être diplomate mais…  Toute cette préparation, tous les efforts consentis pour tenir des événements sécuritaires devant public dans ce contexte… Je me demande à quel point les décideurs du gouvernement en sont conscients. On avait déjà vécu ça en mars, tout s’est arrêté abruptement. Après, il y avait espoir de rouvrir et on n’a pu le faire avant la mi-juillet. »

En mars dernier, la programmation des Nuits d’Afrique était complétée à peu de choses près et…

« Nous n’avions pas lancé notre campagne publicitaire mais nous avions conclu toutes nos ententes avec les artistes internationaux, sauf que nous avions été prudents de ne rien annoncer. En avril, nous avons décidé que nous présenterions un festival différent à l’automne. Nous nous croyions sur une bonne piste lorsque nous l’avions annoncé en août, car la capacité d’accueil venait d’être portée à 250 spectateurs. 

« De plus, nous avons présenté en août Les Visages de Nuits d’Afrique, une œuvre multimédia interactive projetée sur des façades du Quartier des spectacles, mettant en relief les artistes Djely Tapa, Mateo, Naxx Bitota et la troupe Benkadi. Le concept multimédia fut imaginé par l’artiste Jérôme Delapierre. Par ailleurs, des photos et projections numériques des Visages de Nuits d’Afrique sont encore présentées en octobre au Complexe Desjardins. »

Suzanne Rousseau. (Crédit photo : Marie-Joëlle Corneau)

Au festival Nuits d’Afrique, on voulait vraiment présenter des événements devant public et déployer une stratégie numérique.

« Nous avons conclu une entente avec l’entreprise Livetoune qui fait des captations de qualité. Nous avons aussi investi dans le Balattou qui est aujourd’hui transformé; on a un nouveau système d’éclairage, des rideaux de spectacle, un nouveau plancher de scène, tout’ le kit ! Cet été, nous avons présenté un cabaret acoustique, avec deux groupes chaque soir du jeudi au dimanche. Notre public suivait très bien les consignes, nous étions encouragés. »

Ainsi, 25 concerts ont été programmés, dont plusieurs webdiffusés. À l’évidence, ce n’est plus le cas : seules les prestations de Wesli et Mateo ont été tenues devant public, celles n’étant pas prévues en webdiffusion ont toutes été annulées, les autres auront lieu comme prévu, mais sans public.

« Nous étions très fiers de mettre en valeur la scène d’ici, nous avons quand même choisi des artistes locaux de niveau international. Plusieurs d’entre eux tournent déjà et plusieurs autres ont le potentiel d’y parvenir.  Nos partenaires média étaient prêts à embarquer, notre campagne de publicité était bien partie et tout ça s’est arrêté d’un coup. C’est très dur à vivre », se désole Suzanne Rousseau.

Comme tant d’organisations se consacrant aux arts vivants, les Nuits d’Afrique voient donc plusieurs initiatives pulvérisées en zone rouge.

« Nous voulions démontrer à notre tour qu’il était possible de présenter un festival devant public en toute sécurité. Lorsque nous avons programmé nos concerts en salles, nous avons pris un grand soin pour distancier les gens dans les règles prescrites. C’était vraiment bien organisé, c’est très dommage que ça ne soit pas pris en considération. Je n’ai pas le temps d’analyser ce qui se passe… en fait, je ne veux pas. Je dois cesser d’y réfléchir… c’est trop d’émotions ! J’essaie plutôt de me concentrer sur nos webdiffusions, faire en sorte qu’elles soient bien montées et bien vues. Je garde donc mon énergie pour ceux qui peuvent jouer et être vus et que ça se passe bien. Après, quand ce sera fini, je pourrai analyser, mais pour le moment… »

Heureusement, la direction des Nuits d’Afrique avait prévu une viabilité financière de l’événement sans public. « Notre montage impliquait une jauge très basse côté billetterie, on ne s’attendait pas à d’importants revenus autonomes. C’est pourquoi nous allons maintenir toutes les performances dans les salles prévues pour des captations audiovisuelles. Nous sommes confiants d’obtenir un réel succès de webdiffusion. Ce qui m’inquiète, c’est la suite. »

SITE OFFICIEL DE NUITS D’AFRIQUE

Sauver la musique avec la politique (Sauver la politique avec la musique ?)

par Ian F. Martin

Une perspective globale sur la pertinence de la musique alors que 2020 bouleverse les vies dans le monde entier.

Expatrié britannique basé à Tokyo, Ian Martin est à la tête du label indépendant Call and Response, chroniqueur musical au Japan Times et auteur du livre Quit Your Band ! Musical Notes from the Japanese Underground. Cet essai a été écrit à l’origine pour et publié par le magazine de musique japonais Ele-king, et que nous relayons ici à PAN M 360 avec leur gracieuse autorisation.

« C’est juste de la musique. Laissez la politique en dehors de ça ».

Si vous lisez une plateforme comme celle de PAN M 360, il y a de fortes chances que vous soyez déjà en désaccord avec cette déclaration. Mais alors que cette année désastreuse de 2020 continue de bouleverser les vies dans le monde entier, il vaut peut-être la peine de pousser cette idée plus loin et de se demander : « La musique est-elle pertinente si elle n’est pas politique ? »

Tout d’abord, nous devrions réfléchir un peu à ce que nous entendons par « politique ». La politique est souvent vue comme synonyme de « problème » et d’« activisme », des mots qui suggèrent (souvent avec des connotations négatives) un certain engagement direct avec les enjeux de gouvernement et de la société. Et certaines musiques, que ce soit Billy Bragg, Rage Against the Machine ou Run the Jewels, sont certainement politiques dans ce sens. Mais la musique est aussi déjà politique dans le sens où elle parle de vies et d’expériences humaines – les relations entre les gens, leurs luttes quotidiennes, le travail, les amis, la famille : toutes ces choses sont invisiblement influencées par des décisions politiques qui affectent les heures de travail, les rôles des sexes, les salaires. Le fait d’être mainstream ou underground est politique simplement parce que cela occupe une place ou une autre par rapport à l’esthétique et aux valeurs dominantes de la culture. Lorsque les gens disent qu’ils ne veulent pas que quelque chose soit politique, ils veulent généralement dire simplement qu’ils ne veulent pas réfléchir à ses implications politiques.

Mais beaucoup de gens pensent à la façon dont la politique touche leur vie. Ils sont enragés par l’absence éhontée de justice qu’ils voient autour d’eux et par l’absence totale de conséquences pour les puissants responsables de ces injustices. Le flot de colère qui a éclaté ce printemps face aux tentatives du premier ministre Shinzo Abe de placer ses alliés dans le système judiciaire était intéressant, tout comme la vitesse à laquelle la chanteuse Kyary Pamyu Pamyu a été poussée à effacer ses critiques sur Twitter à l’encontre d’Abe sur cette question. Il s’agissait d’une question spécifique ayant de grandes implications politiques, suscitant une large mobilisation à travers le Japon, mais l’industrie du divertissement est institutionnellement incapable de refléter ce genre de sentiments.

La crise du COVID-19 a poussé la politique jusqu’à nos portes et nous l’a enfoncée en pleine gueule. Le fait de se rendre à pied dans une épicerie, les évaluations que nous faisons sur l’utilisation des masques par les autres piétons, les négociations que nous menons sur l’espace de libre lorsque nous marchons sur le trottoir, la décision de sortir ou non pour aller dans un lieu et soutenir la musique que nous aimons – tout ça, c’est de la politique qui intervient dans nos vies. La crise a également accentué les inégalités et les injustices dans le monde entier ; un fil conducteur important du Black Lives Matter provenant de l’effet disproportionné de la pandémie sur les minorités raciales et des inégalités qui les poussent à occuper des emplois de service vulnérables.

Que ce soit à travers la musique elle-même ou les déclarations publiques d’un artiste, la prise en compte de ces sentiments fait cependant partie du rôle de la musique. Elle fait partie de notre façon de penser et de ressentir en tant que société ; c’est un miroir qui nous permet de nous voir non seulement individuellement, mais aussi collectivement – il nous montre que nous ne sommes pas seuls. Et lorsque le mainstream en est incapable, ce rôle revient aux scènes indépendantes ou alternatives (parce que sinon, de quoi sont-elles même indépendantes, on sont une alternative à ?) Le succès de groupes comme Stormzy et la montée subversive de groupes indépendants comme Sleaford Mods au Royaume-Uni montrent le pouvoir que la musique peut avoir lorsqu’elle est liée à la politique de la vie quotidienne des gens.

Un sujet comme Black Lives Matter peut sembler être un problème américain et pas vraiment un problème japonais. C’est discutable, mais même si nous l’estimons réel, les questions qu’il soulève à propos de la société et de la façon dont nous incluons ou excluons les gens en fonction de leur race, de leur ethnie, de leur sexe, de leur sexualité ou de leur origine sociale existent ici et méritent d’être dénouées. Qu’il s’agisse de grandes questions ou d’interactions personnelles, les conventions sociales que nous suivons sans réfléchir sont celles qui ont le plus besoin d’être étudiées par les arts. Ce n’est pas seulement que la musique a une responsabilité sociale de considérer ces questions : c’est que la musique  peut être plus riche et moins sujette aux clichés, quand elle ne prend pas « la façon dont les choses sont » pour acquis.

La relation entre les arts et la politique est également importante d’une autre manière. Il existe de nombreux obstacles institutionnels qui limitent la capacité de la pensée radicale et de la culture alternative à communiquer leur créativité ou leurs visions de l’avenir simplement parce que les médias se sont développés autour des mêmes intérêts que ceux que ces voix indépendantes cherchent à défier. Leur pouvoir réside plutôt dans la capacité à se rassembler et à amplifier leurs voix – que ce soit lors de concerts, de réunions, d’événements sociaux ou de rassemblements – mais le COVID-19 perturbe cette capacité. La Chine a profité du confinement pour porter un coup dur au mouvement de protestation à Hong Kong, tandis que Donald Trump utilise ouvertement le service postal pour restreindre la capacité des gens à voter en toute sécurité lors des prochaines élections américaines.

Si les enjeux sont moins importants et beaucoup moins violents, la culture musicale alternative est elle aussi, à sa manière, affectée par ces contraintes. La pandémie a grandement bouleversé la capacité des gens à se rassembler, les réseaux de bouche à oreille et les lieux de rencontre physiques qui maintiennent la culture en vie alors qu’elle est déjà exclue d’un discours plus large par la monopolisation des médias, l’influence des agences de talent ou les algorithmes de Spotify. La question de savoir comment organiser, diffuser l’information et amplifier les voix dans le cadre des restrictions imposées par la pandémie devrait être une urgence autant pour les sphères artistiques que politiques.

À un niveau plus intime, une conscience politique sous-jacente peut enrichir quelque chose d’aussi personnel qu’une chanson d’amour, l’aidant à se libérer des clichés et à toucher les auditeurs d’une nouvelle façon. À un niveau social plus large, les artistes qui se sentent plus libres d’aborder directement la politique de la vie quotidienne peuvent connecter avec les angoisses, la colère et les préoccupations des gens, ainsi que laisser entrevoir des possibilités plus optimistes pour l’avenir. Sur un plan purement pratique, l’activisme politique et la culture créative se heurtent à de nombreux obstacles similaires et pourraient bien se tourner l’un vers l’autre afin de mettre en place les outils qui permettront de les surmonter. En ce sens, se demander si la musique peut conserver sa pertinence sans la politique n’est peut-être pas assez fort. Peut-être faut-il plutôt se demander : « La musique peut-elle même exister si elle n’est pas politique ? »

Le festival malgré tout (3e partie – Pop Montréal)

par Patrick Baillargeon

Le FME, MUTEK, Pop Montréal et autres festivals québécois vont de l’avant avec leurs programmations respectives malgré la pandémie qui sévit. PAN M 360 est allé à leur rencontre afin qu’ils nous expliquent les enjeux, contraintes et nombreux obstacles auxquels ils ont dû faire face.

Notre dossier en continu se poursuit avec le co-fondateur et directeur de la programmation de Pop Montréal, Dan Seligman. La 19e édition du festival multiplateforme débute le 23 septembre et se poursuit jusqu’au 27. Zone orange ou pas, films, ateliers, conférences et bien sûr plusieurs spectacles sont à l’affiche, en direct ou en streaming. 

PAN M 360 : Quelles ont été les contraintes auxquelles vous avez dû faire face pour cette édition de Pop Montréal ?

Dan Seligman : Environ un mois après le début de covid, nous avons rapidement réalisé que nous ne pourrions pas faire le festival comme nous le faisons habituellement. Nous avons donc annulé tous les artistes étrangers et nous attendions l’été pour savoir ce qui allait se passer, mais nous savions que si nous pouvions faire quoi que ce soit, ce serait beaucoup plus petit, plus contenu. Nous étions en quelque sorte dans un schéma d’attente parce que nous ne savions pas exactement ce que nous pouvions ou ne pouvions pas faire avec toutes les règles municipales, provinciales et tout le reste. 

Nous savions qu’il serait plus difficile de produire un événement en streaming. C’est plus cher, il y a différents soucis de production et nous aurions encore à faire face à toutes les réglementations… Donc nous savions que si nous devions faire des concerts devant public à Pop Montréal cette année, il faudrait que ce soit beaucoup plus petit pour le faire de manière sûre et efficace, évidemment avec que des artistes locaux… Donc la plupart des spectacles que nous produisons seront devant un petit public et certains d’entre eux seront uniquement en streaming, avec un petit pourcentage d’artistes qui ne sont pas de Montréal et qui seront en streaming depuis leur ville natale, mais tous sont du Canada.

Dan Seligman

La seule artiste qui vient de l’extérieur de Montréal est Lido Pimienta (Toronto), dont nous avions déjà confirmé la participation au festival avant le début de la pandémie. Elle va se produire au Rialto, mais tous les autres qui joueront devant un public seront des artistes locaux. La plupart des spectacles seront au Rialto et il y aura quelques pop-up. Nous essayons juste de faire en sorte que ce soit aussi gérable que possible pour que nous puissions faire les choses en toute sécurité. C’est l’un des premiers festivals en ces temps de Covid et nous voulons le faire bien, nous ne voulons pas faire de conneries. Nous sommes donc très prudents : tous les billets doivent être achetés à l’avance, nous allons tout contrôler, nous allons nous assurer que toute personne qui entre dans la salle devra donner ses coordonnées et les billets achetés sont non-transférables. 

PAN M 360 : Et pour les concerts à l’extérieur, ça va se passer comment ?

DS : Nous allons faire quelques petits spectacles en plein air, mais les règles actuelles en matière de plein air sont que tout doit être très circonscrit, et ils ne veulent pas que vous fassiez la promotion des événements à l’extérieur. Nous allons donc faire quelques spectacles payants à l’extérieur et nous n’allons pas annoncer le lieu. Mais nous allons faire un Rialto sur le toit avec seulement 40 billets. Et puis nous aurons 3 ou 4 lieux différents où nous donnerons des spectacles… Les règlements de la ville disent que vous pouvez faire des spectacles mais que vous devez maintenir une distance sociale et que si c’est dans un espace public quelconque, vous ne pouvez pas annoncer le lieu du tout. On nous a dit que nous ne pouvions rien faire dans un parc public, comme nous le faisons habituellement pour le Marché des possibles, parce qu’il est difficile de contrôler ces foules ; tu as vu ce qui s’est passé sur la montagne avec l’événement Occupy The Hood… Nous avons donc reçu un appel de la ville pour nous assurer que nous serions très très prudents et que nous ne laisserions pas une telle chose se produire. Nous allons donc de l’avant, mais évidemment très lentement et prudemment. Nous essayons de produire un événement et d’apporter de la musique aux gens, mais en étant aussi sûr que possible. 

PAN M 360 : Vous attendez-vous à des contrôles ?

DS : Nous savons que des gens de la ville ou du gouvernement se présenteront pour s’assurer que nous faisons les choses correctement. Donc nous serons prêts, il y aura des stations de désinfection des mains, des masques partout, la sécurité partout. Nous allons faire très attention. On va être à 110% dans les règles. Nous allons au-delà pour s’assurer que tout le monde soit en sécurité.

PAN M 360 : Avez-vous songé à annuler ?

DS : Nous n’avons jamais vraiment voulu annuler. Le pire pour nous est que nous aurions fait un événement virtuel et nous avons tout fait pour éviter cela, mais si on n’avait pas eu d’autre choix, nous aurions fait un événement en streaming uniquement. Si nous étions comme l’un de ces grands festivals américains qui dépendent des sponsors et de la vente de billets, nous ne pourrions pas organiser le festival cette année, mais comme nous avons tous ces financements de différents organismes gouvernementaux et avons pour mandat de présenter des artistes d’ici, cela nous aide à rester en vie. 

PAN M 360: Comment voyez-vous l’avenir par rapport à la situation actuelle, sachant que cela pourrait durer encore un an ou deux ?

DS : Nous prenons ça un jour à la fois. Nous allons d’abord passer à travers ce festival et voir comment ça se passe. Je pense que nous devons nous adapter et simplement accepter le fait que c’est la nouvelle façon de faire les choses pour le moment, et que si les gens veulent vraiment voir des spectacles, il y en aura. Et nous savons que les gens veulent voir des spectacles parce que nous vendons beaucoup de billets. Nous essayons aussi de faire en sorte que cela reste très bon marché. C’est presque comme si nous devions reconstruire depuis le début avec des spectacles à 5 ou 10 dollars, avec des artistes locaux… Comment mettre en place un événement dans ces conditions, reconstruire son rapport avec le public, l’inciter à venir à des spectacles de 30 minutes pour 5$… nous soutenir, soutenir les artistes.

SITE OFFICIEL DE POP MONTRÉAL

reggae

In memoriam : Frederick Nathaniel « Toots » Hibbert, O.D. (1942 – 2020)

par Richard Lafrance

Un géant de la musique jamaïcaine nous a quittés

Le vendredi 11 septembre dernier, « Un géant de la musique jamaïcaine des 60 dernières années s’est éteint », a déclaré Chris Blackwell, qui l’avait signé à son label Island Records en 1971, peu de temps après Bob Marley & The Wailers, lui prédisant également une carrière internationale. Le DJ et animateur radio David Rodigan a rajouté : « L’une des grandes figures emblématiques de la musique jamaïcaine, dont la voix incomparable, émouvante et passionnée a touché le monde ».  Frederick Nathaniel « Toots » Hibbert est mort à 77 ans après avoir été hospitalisé le mois dernier pour des symptômes liés à la COVID-19. 

Dès 1962, Toots Hibbert, Raleigh Gordon et Jerry Matthias forment les Maytals et enregistrent au célèbre Studio One quelques titres ska, dont notamment Six And Seven Books Of Moses. Ils travailleront ensuite avec Prince Buster au plus fort de ce mouvement musical, mais aussi avec Leslie Kong et Byron Lee. En 1966, le trio remporte la première édition du Festival Song Contest, un concours de chant développé suite à l’indépendance pour promouvoir l’île, avec Bam Bam– l’une des chansons jamaïcaines les plus échantillonnées à ce jour- et ensuite deux autres fois, avec Sweet & Dandy en 69, puis Pomps & Pride en 72. 

En 1966 donc, alors que son étoile monte, il prétend que des jaloux de l’industrie s’arrangèrent pour qu’il se fasse arrêter pour possession de ganja. Il écopa de 18 mois de prison ferme, suite à quoi il composa l’un de ses plus grands succès, 54-46 Was My Number, en référence à son identification carcérale. Son fait d’armes le plus reconnu fut certes celui d’avoir inventé le terme « Reggae » pour la chanson Do the Reggay (1968). La chanson marque le tournant musical qui s’imposa à la fin de la courte période rocksteady de 1966 à 1968, et fusionne les influences locales mento, calypso, ska et rocksteady à celles du blues, du R&B et du rock’n roll américaines. 

Cet artiste rural né dans le comté de Clarendon, qui avait grandi en chantant du gospel dans la chorale d’une église baptiste, fut d’abord influencé vocalement par Ray Charles, puis ensuite Otis Redding, que Jimmy Cliff lui fit découvrir très tôt dans sa carrière. Avec les Maytals, il eut plus de 30 numéros un en Jamaïque à compter de 1963, souvent influencés de passages et de références bibliques et rastas, nettement plus que quiconque au siècle dernier. On lui retrouve des fans invétérés dans toutes les sphères musicales, dont les Beatles, les Rolling Stones, UB40 et Amy Winehouse, pour ne nommer que ceux-là.

Toots Hibbert est apparu dans le documentaire de 2011 Reggae Got Soul: The Story of Toots and the Maytals, diffusé sur la chaîne BBC et décrit comme « L’histoire jamais racontée de l’un des artistes les plus influents à n’avoir jamais émergé de la Jamaïque ». On y retrouve les témoignages de Marcia Griffiths, Jimmy Cliff, Bonnie Raitt, Eric Clapton, Keith Richards, Willie Nelson, Ziggy Marley, Sly Dunbar et Robbie Shakespeare. Son album True Love (V2 Records) revisitait ses grands classiques en compagnie d’artistes contemporains, dont la plupart nommés ci-haut, en plus de Jeff Beck, Ben Harper, No Doubt, The Roots, Trey Anastasio, Ryan Adams et The Skatalites. True Love a gagné le Grammy du meilleur album reggae en 2004. C’est donc probablement l’artiste jamaïcain ayant enregistré le plus de collaborations avec des vedettes internationales.

https://youtu.be/m1QDdPxlqjU

Le mois dernier, celui que l’on surnommait Fyah Ball! (boule de feu) faisait paraître un premier album en 10 ans, Got To Be Tough, enregistré à son studio, le Reggae Center, sur lequel il joue tous les instruments, un concept emprunté à Prince qui lui trottait dans la tête depuis longtemps. Ce sera malheureusement son testament musical.

Toots Hibbert laisse derrière lui sa femme de 39 ans, « Miss D », et sept enfants.

Écoutez la playlist créée par PAN M 360

électronique

Le festival malgré tout (2e partie – MUTEK Montréal)

par Alain Brunet

Le FME, MUTEK, Pop Montréal et autres festivals québécois vont de l’avant avec leurs programmations respectives malgré la pandémie qui sévit. PAN M 360 est allé à leur rencontre afin qu’ils nous expliquent les enjeux, contraintes et nombreux obstacles auxquels ils ont dû faire face.

Notre dossier en continu se poursuit avec le directeur artistique et chef de la direction de MUTEK, renommé festival se consacrant à la créativité numérique du mardi 8 au dimanche 13 septembre.

PAN M 360 : Lorsque la pandémie s’est révélée en mars dernier, comment avez-vous réagi ?

ALAIN MONGEAU : « Nous nous apprêtions alors à présenter notre volet international comme nous le faisons chaque année à cette période. Nous avons alors tout mis en suspens et nous avons commencé à réfléchir à ce qui allait se passer, à comment nous positionner, à comprendre quel événement nous pourrions présenter avec les implications économiques dans le contexte. »

PAN M 360 : Vous avez alors décidé de tenir un événement, quoi qu’il advienne. Quelle en serait la charpente? 

AM : « Au lieu de sauter une année, une option d’ailleurs envisagée, nous avons décidé de changer nos dates de présentation, afin d’échapper à l’interdit qui frappait alors les festivals d’été et d’ainsi configurer un événement qui pourrait se réaliser quoi qu’il advienne, avec ou sans public. Nous avons eu l’idée d’un événement hybride, à la fois virtuel et devant public restreint, qui serait présenté sur des scènes réelles. Ce cette manière nous pensons générer un rayonnement plus vaste en imaginant la transposition de ces performances réelles dans un espace virtuel. »

Alain Mongeau (Crédit photo : Petronille Gontaud-Leclair)

PAN M 360 : Vous fait un premier repérage de 300 soumissions locales, en résulte 30 programmes. Entre autres invités on note Martin Messier, Line Katcho , Guillaume Cliche, Alexis Langevin-Tétrault, Tati au Miel, Pelada, Vigliensoni, Patrick Watson avec synthés modulaires, Guillaume Coutu-Dumont, Ouri, Wasafiri, Priori, Samito/Boogieman… Comment tout ça se décline?

AM : « Nous voulions conserver l’essence du festival et donc couvrir un registre assez vaste de styles en les regroupant en trois séries : PLAY, EXPÉRIENCE, NOCTURNE. Présentée à la 5e salle de la Place des Arts, la série PLAY est la plus expérimentale, on y favorise l’exploration en création audiovisuelle et arts numérique. En temps normal, la série EXPÉRIENCE est présentée dans sur notre scène extérieure, on la présente à la 5e Salle de la PdA et à la Satosphère. Notre série NOCTURNE est plus clubby, plus rythmée, se décline sur les trois soirées du week-end à la SAT. » 

PAN M 360 :  On devine que la programmation locale s’imposait vu les contraintes à voyager pour les artistes de l’étranger. Comment se présentent alors vos 27 programmes internationaux?

AM : « Notre série CONNECT n’est pas sans rappeler INTERCONNECT il y a deux ans. Cette fois, les 27 programmes exclusifs viennent de nos partenaires étrangers  –  les festivals MUTEK de Barcelone, Mexico, Buenos Aires, San Francisco et Tokyo, sans compter trois organismes partenaires de France,  d’Italie et de Corée du Sud. »

Les moments marquants de 2019

PAN M 360 : La capacité d’accueil du public étant extrêmement limitée, comment avez-vous imaginé la présentation virtuelle de MUTEK Montréal, à?

AM : « Nous avons développé une plateforme spécifiquement pour le festival.Les gens doivent s’y inscrire gratuitement et sont aussi invités à soutenir la mission de MUTEK. La plateforme comprend trois scènes virtuelles, une galerie comprenant une vingtaine d’oeuvres interactives, une salle auditorium où l’on présente certains contenus du Forum MUTEK (notre volet diurne), et une salle d’archives qui offre une sélection d’archives enregistrées au fil de 20 ans. Plus préciément, tout ce qui est diffusé de la Satosphère l’est en temps réel, tout ce qui est présenté à la 5e Salle de la PdA est diffusé en différé, soit le lendemain de chaque performance. » 

PAN M 360 : Les présentations de concerts virtuels pullulent depuis le début de la crise sanitaire. Comment éviter la redondance?

AM : « Notre plateforme a pour objet de créer une communauté de partage d’expériences. Par exemple, chaque scène aura une « salle de discussion » gérée par un modérateur. L’usager pourra aussi choisir lui-même les angles d’observation de la performance à laquelle il assiste. Nous souhaitons donc que ce MUTEK soit plus qu’une expérience de streaming, nous voulons pousser plus loin l’idée qu’on se fait d’un festival en ligne. »

SITE OFFICIEL DE MUTEK

Le festival malgré tout (1ère partie – FME)

par Patrick Baillargeon

Le FME, MUTEK, Pop Montréal et autres festivals québécois vont de l’avant avec leurs programmations respectives malgré la pandémie qui sévit. PAN M 360 est allé à leur rencontre afin qu’ils nous expliquent les enjeux, contraintes et nombreux obstacles auxquels ils ont dû faire face.

Notre dossier en continu débute avec la programmatrice du FME, Marilyne Lacombe. La 18e édition du Festival de musique émergente d’Abitibi-Témiscamingue a débuté le 3 septembre et se poursuit jusqu’au 5. En tout, une vingtaine de projets musicaux seront présentés à travers la ville de Rouyn.  

PAN M 360 : Comment monte-t-on un festival en ces temps de pandémie ? Quelles sont les difficultés auxquelles vous avez dû faire face et comment vous êtes-vous adaptés à la situation ?

Marilyne Lacombe : Je ne pensais pas qu’on irait de l’avant avec le festival, j’avais perdu tout espoir que ça se passerait. Mais c’est quand ils ont changé les paramètres en autorisant des événements à 250 personnes qu’on a décidé d’aller de l’avant. Cette nouvelle est tombée environ deux semaines avant la date prévue initialement pour l’annonce de la programmation du FME. Donc, on a pas mal monté toute la programmation en deux semaines, ce qui est très rapide. D’habitude, on commence à booker en janvier et on annonce en juillet. On a mis les bouchées doubles pour pouvoir clancher ça le plus vite possible. 

Marilyne Lacombe

Y’a plein de paramètres un peu bizarres avec lesquels on a dû jongler, dont, par exemple, le nombre de musiciens dans un groupe. C’est devenu un facteur auquel il fallait penser car on se retrouve dans une situation où on fait plus de shows pop-up, donc on a toutes sortes de set-up de scène et des fois il s’agit de petites scènes sur lesquelles on ne peut pas accueillir beaucoup de musiciens, compte tenu de la distance entre les musiciens. En plus, on doit héberger ces musiciens chacun dans une chambre à part, ce qui complique pas mal la logistique, surtout si on parle de band à 5, 6, 7 ou 8 musiciens. Donc, il a fallu tenir compte de ça et essayer d’inviter des plus petites formations. Mais du côté des bands, ce fut assez facile car la grande majorité des groupes avaient hâte de jouer. En plus y’a beaucoup de projets dans la programmation qui n’ont pas eu la chance de jouer live leur nouvel album et ils étaient vraiment excités de le faire, donc, cela a aidé pour qu’on monte la programmation vraiment rapidement. Y’a par contre quelques groupes qui n’étaient pas franchement à l’aise de jouer devant public, donc, on a eu quelques refus. Ça, on le comprend, et pour la plupart d’entre eux, on a tout simplement étendu l’invitation à l’année prochaine. Du côté de la production, ce fut un réel défi parce qu’on ne peut pas faire autant de shows à l’intérieur que par le passé, donc, il a fallu que l’on trouve de nouveaux endroits. Si tu prends le Petit Théâtre (Rouyn-Noranda), qui peut contenir jusqu’à 450 personnes, il faut désormais maintenir la capacité à 80 personnes. Et on a des salles plus petites, donc, c’est encore plus difficile. Ce qui fait qu’on a essayé d’investir davantage de lieux extérieurs. Ce qui demande pas mal de préparation, étudier le terrain, comprendre comment l’adapter aux nouveaux règlements…

Les Louanges présenteront deux concerts au FME

PAN M 360 : Avez-vous songé à l’option streaming ?

ML : Non, on a choisi de ne pas prendre cette direction. Cette année, le festival est essentiellement destiné à la population locale. Le seul volet streaming qui aura lieu, c’est le volet pros. Donc, la semaine suivant le FME, on a invité toute la délégation de pros étrangers – qui se déplace en général chaque année au festival – à un événement de réseautage en ligne où 4 shows qui auront été filmés au FME seront retransmis lors de cette rencontre. 

PAN M 360 : Donc les artistes comme les pros qui seront au FME cette année sont tous québécois ?

ML : Exact. D’habitude, le FME accueille pas mal de gens et d’artistes de l’étranger, mais là, c’était important de se limiter au Québec. Donc, cette année, on a une programmation 100 % québécoise. On aurait pu avoir des artistes canadiens mais on a choisi de garder ça 100 % québécois. On ne voulait pas avoir des gens qui se déplacent de plein d’endroits différents.

PAN M 360 : Avez-vous songé à carrément annuler ?

ML : On avait l’énergie du guerrier pour cette édition. Il aurait été facile de tout simplement annuler puisque ce ne serait pas un FME comme on le connaît. Si on n’était pas trop sûrs au départ, là on est vraiment contents d’avoir été de l’avant quand on voit la réaction des groupes et des gens. Je pense que pour les gens de Rouyn, ce sera une des rares occasions de voir des shows cette année. Ils sont privilégiés car il n’y en a vraiment pas beaucoup ailleurs au pays. 

C’est à Zoo Baby que reviendra le privilège de clore ce 18e FME pas comme les autres.

PAN M 360 : Quelles mesures de prévention avez-vous prises ?

ML : On sait pas mal quoi faire à ce sujet : respecter le nombre de personnes selon l’espace dont on dispose, tenir compte du deux mètres de distanciation, fournir du gel pour les mains, des masques… Le port du masque est obligatoire dans la salle lorsqu’on se déplace mais tu peux le retirer à l’endroit qui t’es assigné. On aura beaucoup de bénévoles qui vont s’assurer que toutes ces mesures soient respectées. Il y aura des corridors pour les déplacements histoire d’éviter que tout le monde se mélange et passe trop près les uns des autres… Les mesures recommandées par la Santé publique finalement… 

PAN M 360 : La Santé publique laisse entendre que cette situation risque de durer encore un an, voire deux… Comment envisagez-vous le futur au FME ?

ML : On espère vraiment que le festival pourra revenir à sa capacité et son potentiel normal l’année prochaine, mais on n’a absolument aucun contrôle là-dessus. Dans tous les cas, si l’année prochaine, on n’est pas plus avancés qu’on l’est présentement, on aura eu une année pour réfléchir à des façons de présenter des shows différemment et d’offrir une expérience de festival aussi bonne que celle qu’on avait dans le passé, car là, on n’a eu que deux semaines pour tout monter. C’est certain que cette édition 2020 ne sera pas comme avant, que ce sera un peu étrange, mais on espère que tout le monde aura du fun quand même. 

SITE OFFICIEL DU FME

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