Pourquoi le décès du chanteur Mark Lanegan touche tant de gens ? Depuis l’annonce de son départ, les hommages et mots d’amour inondent les réseaux sociaux et les médias. Pourtant, ce sombre géant ayant grandi avec le grunge n’a jamais connu le succès populaire d’un Nirvana ou d’un Soundgarden alors qu’il évoluait avec les Screaming Trees. Sans le single Nearly Lost You, qu’on retrouvait sur la bande-son du populaire film Singles, les Screaming Trees seraient presque totalement passés sous le radar. En fait, c’est la carrière solo de Lanegan, et son brillant passage au sein des QOTSA, qui a surtout marqué l’imaginaire collectif, particulièrement celui de ceux et celles sensibles aux anges déchus.
Mark Lanegan incarnait le loser magnifique que le rock, le blues, le folk, le jazz et ses dérivés affectionnent tant. Sa dégaine de toxico magnétique, sa voix rauque d’écorché vif, ses textes souvent poignants ou déchirants, ses musiques aux différentes teintes de gris et de bleus; ballades assassines, blues de fin du monde ou rock et post-punk d’outre-tombe… tout chez Lanegan respirait la mélancolie, et la splendeur du spleen. Touché par la grâce, Lanegan c’était le romantisme rock à son paroxysme, un Cohen en plus sinistre, un Nick Cave qui n’aurait jamais trouvé la rédemption, un Tom Waits au penchant plus prononcé pour la seringue que la bouteille.
Lanegan était un survivant, lui qui aurait dû mourir 100 fois avant son heure. Et durant toute cette période de sursis, entre ses débuts au sein des Screaming Trees en 1986 jusqu’à son dernier album Straight Songs of Sorrow de 2020, en passant par ses nombreux projets parallèles, sans compter ses écrits, il nous a gratifié d’une œuvre incandescente, authentique et cathartique, comme si il sentait que la grande faucheuse n’était jamais bien loin derrière et que ce disque, ce poème, ce livre ou cette collaboration était peut-être son chant du cygne.
Mark Lanegan n’a pas succombé à ses nombreux excès ou de s’être récemment acoquiné avec le COVID. Non, il est simplement mort d’avoir trop vécu. Grâce à son œuvre foisonnante, il est désormais immortel.
(photo: David Levene)