Une rumeur court : la troisième symphonie de Jean Sibelius serait la moins intéressante des sept qu’il a écrites. Pffff. Médisance absurde. Moi, au contraire, c’est l’une de mes préférées. Je la trouve tout à fait réjouissante, même si elle est moins resplendissante que la précédente, et moins profonde que la suivante. Elle est faite de mélodies tenaces en mémoire et bénéficie d’une orchestration sobre mais étoffée. On est charmé par la touchante mélodie de son Andantino con moto, quasi allegretto (2e mvt), une phrase qui vous accompagnera longtemps, comme un écho mélancolique bienfaisant, une sorte de saudade nordique. Les fans de la musique d’Howard Shore pour Le Seigneur des Anneaux seront ravis par les deux dernières minutes du premier mouvement, et la pastoralité animée du Moderato final récapitule efficacement les matériaux de base de l’ensemble et l’éclaire d’un regard ludique particulièrement satisfaisant. Yannick est un ciseleur attentionné et fait ressortir avec efficacité les jeux d’ombres et de lumières de l’œuvre. Cet enregistrement était déjà disponible en version numérique uniquement, et ce depuis l’automne 2021. La nouveauté se trouve plutôt du côté de la quatrième symphonie, une tout autre affaire. Ses lignes dispersées semblent constamment en manque de prise thématique et sa grisaille harmonique la rend généralement inquiétante et mystérieuse, sauf pour certains passages ou la lumière ose percer le voile brumeux (comme dans le 2e mouvement, plus fertile en la matière). Il s’agit pourtant d’un chef-d’œuvre absolu. Certainement l’une des symphonies les plus audacieuses de son époque, créée deux ans avant le Sacre de Stravinsky. Ici encore, Yannick est dans son élément, avec les accents mis sur la clarté des lignes, mais aussi l’expressivité individuelle des nombreux passages solistes. Sa vision chambriste est heureusement appuyée par une attention soutenue à demander de l’ampleur sonore de ses musiciens. Le puissant Tempo largo (3e mouvement), avec son caractère solennellement funèbre, est particulièrement réussi. Ainsi, point de régime sec, comme on l’a parfois entendu pour cette musique certes complexe et savante, mais non dénuée d’émotions et de velléités esthétiques. Voici une très belle sortie, et un autre jalon dans l’intégrale Sibelius pilotée par Yannick Nézet-Séguin avec ses musiciens montréalais.
Sortie le 3 mars 2023 sur toutes les plateformes