Vingt et une chansons sommeillent sur Cruel Country. Jeff Tweedy, qui continue de survivre à sa vie, les a toutes écrites et composées lui-même, comme d’hab. Et comme elles sont pas mal toutes bien foutues, on peut en convenir que Tweedy continue de clopiner vers une béatification puis une canonisation qui, on l’espère, se produiront de son vivant : à lui la compagnie des Woody Guthrie, Lead Belly et quelques autres. Parce qu’il travaille fort notre Jeff. Et qu’il est doué, hypersurdoué même. C’est proprement épatant d’écouter tout ce que cet homme réussit à transcrire à partir de son regard extérieur et intérieur. Dans A Lifetime to Find, par exemple, il nous chante « Ô mort, ô mort, j’étais en train de m’habiller – Je n’ai rien ramassé – J’espérais que tu m’aies oublié – Mais ma poitrine est oppressée – Ma poitrine est oppressée ». Ou dans Hints, il constate qu’il « n’y a plus d’entre-deux lorsque l’autre partie – Préfère le meurtre au compromis ». Absorber un opus dodu comme Cruel Country exige du temps et une certaine patience, car l’album compte peu ou pas de tensions accrocheuses, de cavalcades sauvages, de curiosités expérimentales ou d’autres éléments propres aux albums de Wilco depuis Being There en 1996. Ce parti-pris rétro-folk et un peu country se traduit par une linéarité qui s’avère apaisante. Rien n’est monotone, toutefois, sur Cruel Country. On sait que Wilco est constitué de musiciens qui, dans leur créneau, sont supérieurs à la moyenne. Ça s’entend très bien dans les harmonies, textures et nuances. Écoutez ne serait-ce que Bird Without a Tail / Base of My Skull pour vous en convaincre. Pour récapituler, la parution de Cruel Country (comme celle de n’importe quel album de Wilco) devrait réjouir tout musicophile le moindrement féru d’americana.
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