L’énergie qui se dégage de la musique du Noonan Trio est comme une rencontre entre du delirium tremens psychologique, du bagout punk et de l’expérimentalisme atonal contemporain. C’est fou, mais c’est totalement fascinant. L’entrée en matière de Inherit a Memory donne le ton assez frontalement : une musique chahutante et ‘’rentre-dedans’’ accompagne une voix scabreuse qui scande I’m the Drunkard Landlady and I’m here to collect! Y’a de quoi vouloir déménager, haha. Cela dit, on est tout de suite frappé par cette dynamique étroite entre la voix et la musique, garrochée sans ménagement, entre punk et free jazz, mais avec une précision chirurgicale dans nos oreilles ébahies. Sean Noonan est le grand penseur, aussi le batteur ainsi que le vocaliste/narrateur, mais il est soutenu nanométriquement par Matthew Bourne au piano et Michael Bardon à la contrebasse. Ce qui est stupéfiant c’est la capacité de ces trois artistes à se revirer sur un ‘’dix cennes’’ pour changer d’atmosphère et de texture sonore radicalement. On dirait le discours d’un schizophrène halluciné, mais en plein contrôle des effets qu’il souhaite provoquer. Parfois, je pensais à Mr Bungle de Mike Patton.
La deuxième pièce, le titre de l’album, Inherit A Memory, nous lance dans un post-sprechgesang schoenbergien atonalement coloré par le trio sous la voix de Noonan, avant de se transformer en un blues déjanté sur lequel s’épivarde librement le piano de Bourne. Ça se poursuit comme ça, pendant une cinquantaine de minutes réparties sur une petite dizaine de plages, dans lesquelles Noonan s’engage dans quelques dénonciations socio-politiques camouflées dans une poésie urbaine et contemporaine qui profite de la très grande polyvalence stylistique de ce trio surprenant. J’ai parlé d’atonalisme et de punk, mais le groove at large est la pierre encore plus angulaire de la trame générale de Inherit A Memory.
Noonan est un batteur de haut niveau. Il place son instrument au service d’une musique férocement créative et pleinement communicative. Rien d’obtus ou d’hermétique non plus, malgré les références on ne peut plus expérimentales.
Un album qui ne peut laisser personne indifférent.