Il y a quelques mois, Alain Brunet publiait une critique très éclairante de Tongues, le plus récent disque de Tanya Tagaq. Le propos engagé de cet album viscéral était porté par des musiques aux formes plus succinctes, plus minimalistes que ce à quoi l’artiste inuite nous avait habitués jusque-là. Ce dénuement en fait une œuvre qui se prête particulièrement bien à l’art du remixage. Des musiciens provenant d’horizons fort divers ont donc été convoqués, afin de rajouter de la viande autour des os de ce squelette de métal glacé.
La première métamorphose au programme est radicale. La compositrice italienne Paola Prestini transpose In Me, qui ouvrait également la version originale de l’album, dans l’univers de la musique contemporaine en ayant recours aux services de son conjoint, le violoncelliste Jeffrey Zeigler et du New Century Chamber Orchestra. Cette relecture audacieuse est une réussite totale, puisque l’âpreté des cordes qu’on y entend s’accorde parfaitement au chant guttural de Tagaq et à la rudesse du morceau. On peut en dire autant de l’industriel glauque de Backxwash, de l’électro de pointe de Daedalus, des mutations déstabilisantes de Joel Jarman et du fameux Kronos Quartet, de la danse tribale à saveur punk de l’Halluci-Nation et des guitares tranchantes de July Talk, formation indé torontoise. Puis, il y a rupture de ton. L’Albertain Chad VanGaalen met la pédale douce et nous propose une version atmosphérique de Earth Monster bercée par des tintements délicats, des chants d’oiseaux et un violon. Deux autres rebrassages de la même pièce concluent le disque : une réappropriation darkwave signée Dave Parley, puis une déconstruction aux effets étrangement bienfaisants imaginée par l’artiste d’origine iranienne Ash Koosha.
Le succès de cette collection de remixages exécutés par des musiciens provenant de sphères aussi diverses tient dans le fait que l’ensemble s’avère, malgré tout, très cohérent. Suivant un mouvement logique, on passe de la noirceur créée par la colonisation à la lumière de l’affirmation de soi et d’une culture qui a survécu aux agressions de la nation dominante. Revêtu de nouveaux habits parfois étonnants, le message que nous livrait Tanya Tagaq avec Tongues n’a rien perdu de son impact.