Tanya Ekanayaka est une pianiste classique sri lankaise qui, après avoir appris le répertoire européen de base, se consacre désormais à créer un répertoire de ce type plus ancré dans les racines sud-asiatiques, ou même extra-européennes.
18 Piano Sutras and 25 South Asian Pianisms offre donc 43 courtes pièces (entre deux et six minutes) inspirées d’une culture riche mais peu explorée par la musique savante de type euro-centrée. Si les 18 Piano Sutras vont plus loin que le sous-continent indien (on visite tous les continents – je vous en reparle plus loin), les 25 South Asian Pianisms sont spécifiquement focalisés sur les pays formant cette partie du monde, soit l’Afghanistan,
le Bangladesh, le Bhoutan, l’Inde, les Maldives, le Népal, le Pakistan et le Sri Lanka.
La démarche artistique de Mme Ekanayaka est multi facettée en ce sens que les éléments qui inspirent ses compositions sont autant musicales (chansons ou folklores locaux) que littéraires (poèmes) et même linguistiques (la sonorité même des langues et dialectes locaux, plusieurs presque éteints – Mme Ekanayaka est également spécialiste de linguistique avancée).
Dans les 18 Piano Sutras, la pianiste a voulu étudier et rendre hommage à autant de langues menacées, presque mortes ou même carrément éteintes partout dans le monde. Du Sogdien (ancienne langue de Perse) au Trinidad Bhojpuri (dialecte des descendants indiens de Trinidad), en passant par le Garifuna (des descendants d’esclaves africains arrivés dans la région du Bélize), le Puluwat (Micronésie), l’Efé (République démocratique du Congo) et tant d’autres, nous sommes amenés à visiter d’innombrables cultures, comme autant de cartes postales envoyées par un infatigable globe-trotter.
Le principe est sensiblement le même pour les 25 South Asian Pianisms, bien que circonscrit aux limites géographiques et culturelles indiquées plus haut.
La musique de Tanya Ekanayaka suscite, cela dit, deux réactions contraires. D’un côté, la plume très néo-romantique de la compositrice (on entend parfois le Saint-Saëns d’Aquarium, le Borodine ou Rimski des contes russes, le Ravel féérique ou, encore plus spécifiquement, la mystico-zénitude du tandem Gurdjieff-De Hartmann) rend l’écoute hyper agréable, en particulier pour des mélomanes de cultures ou la musique ‘’classique’’ occidentale ne fait partie du cursus collectif. D’un autre côté, la recette Ekanayaka finit par se ressembler de pièces en pièces. Les trilles suggérant l’exotisme et les harmonies essentiellement modales, pentatoniques, si elles invitent nécessairement à l’extra-européanisme, ne réussissent plus, au bout d’un moment, à différencier (je parle ici surtout de 18 Piano Sutras) l’Afrique du Japon, des Antilles ou de la Polynésie.
Si tout cela est vrai, il est également évident que plusieurs parties du monde, particulièrement l’Asie du Sud, longtemps ignorées par l’univers de la musique savante européenne, commencent à peine à y être représentées. S’il faut commencer quelque part, les 18 Piano Sutras and 25 South Asian Pianisms sont un tremplin qui aura l’avantage de séduire un large public essentiellement profane, et inviter de futurs artistes à aller plus loin. Question au label Naxos : pourquoi classer cet album sous l’étiquette Naxos World? Il s’agit non pas de musique folklorique ou traditionnelle, mais bien de composition d’ascendance stylistique européenne.