Considéré comme un trésor du patrimoine coréen, le panori est la tradition séculaire des récits épiques où la prononciation est exagérée, les gestes ritualisés et l’accompagnement des tambours clairsemé. Des cinq œuvres canoniques encore jouées aujourd’hui, la fable allégorique de la bête Sugungga est la plus légère et la plus irrévérencieuse. Ce conte mettant en scène un roi dragon mourant, une tortue soumise et un lapin hypocrite reflète bien les racines plébéiennes de cet art.
Bien qu’elle porte le nom d’un maître de l’ère Joseon, la formation LeeNalchi de Séoul n’est pas une bande de traditionalistes accrochés au passé. Ces dernières années, de nombreux artistes coréens modernes ont cherché à relancer le panori en le fusionnant avec le rap, le jazz et, bien sûr, la K-pop ; LeeNalchi juxtapose ses feux d’artifice vocaux à une toile de fond instrumentale mêlant post-punk, new wave, krautrock et space-disco à des synthés kosmische et deux guitares basses (deux, c’est encore mieux). C’est un concept qui pourrait autant être le résultat d’une recherche culturelle rigoureuse que d’un flash après un fond d’une bouteille de soju. Quoi qu’il en soit, comme en témoigne l’art-funk excentrique de la première pièce, Tiger is Coming, il s’agit d’une réussite étonnante.
Parfois envoûtants (You Know Who I Am ?), souvent hilarants (Tiger’s Third Leg), toujours très expressifs, les arrangements radicaux de LeeNalchi pour la voix et le débit rythmiquement inspiré des cinq sorriggun (chanteurs traditionnels) du groupe, utilisent à leur avantage les caractéristiques plutôt surprenantes du panori. Les résultats présentés ici constituent l’un des exemples les plus saisissants de musique vocale collective que l’auteur de ces lignes ait entendu ces dernières années. Mais surtout, c’est formidablement divertissant et assez accrocheur pour piéger même le lapin le plus malin.