Dans Invaincu, Stromae met en scène un narrateur survivant à l’assaut de sombres fantassins à l’assaut de l’existence humaine. Dans Santé, il évoque des citoyens de seconde classe et le traitement de ceux qui en font subir les humiliations. Dans Solassitude, il fait rimer lassitude (vie de couple) et solitude (célibat), évoquant le paradoxe insoluble que posent la vie à deux et la vie à un. Dans C’est que du bonheur, le changement des couches relève de la félicité paternelle. Dans Mon amour, il aborde le paradoxe de la fidélité promise après l’adultère ou à travers les implorations du cocufié… c’était la dernière fois rime alors avec dans de beaux draps pour les raisons qu’on imagine. Dans Déclaration, il nous offre une vision personnelle, forcément masculine, de ce que devient la condition féminine. Dans Mauvaise journée, il évoque le caca d’un narrateur déprimé dans son fauteuil après une bonne journée de merde. D’autres allusions scatologiques émaillent d’autres rimes, notamment dans Bonne journée, mais il n’y a certes pas lieu de conclure à quelque vulgaire brassage de merde. On le voit aussi dans cet échantillon de Multitude, les enjeux de la souffrance intérieure sont les mêmes pour Stromae que pour le commun des mortels, ce réalisme mis en chansons va droit au but tout en conservant ses valeurs poétiques.
Après la sortie de son album précédent suivi d’un formidable cycle de concerts, Stromae s’est replié dans ses terres, il a traversé un long épisode dépressif, il s’est reconstruit, il s’est reproduit, et il a finalement trouvé le moyen de retourner à la création, là où il l’avait laissée. Le texte raconte une quasi décennie d’évolution humaine, riche évolution bon gré mal gré. La musique en raconte moins. Référents de chanson française classique dans son élégance et sa sobriété orchestrale, arrangements de cordes, chant choral, enjolivements électros, référents extra-occidentaux dans les emprunts au reggaeton, à la morna capverdienne, au zouk martiniquais/guadeloupéen, musique classique chinoise,on en passe… Bref, tous ces sons convenus servent le texte, d’abord et avant tout. La voix de Stromae, on l’a dit maintes fois, a le grain de celle de Jacques Brel. Ce dernier affirmait qu’un texte de chanson devait être porté par des musiques que quiconque a d’ores et déjà intégrées. C’est ici le cas du plus important auteur belge de chanson française depuis … Jacques Brel.