On pourrait surnommer le Québécois Roman Zavada ‘’Le pianiste de l’impossible’’. Il aime jouer de son instrument dans des endroits improbables et difficiles d’accès ou de conditions musicales pratiques. Rappelez-vous son album Résonances boréales paru en 2016 : il était allé s’installer en pleine nature du Grand Nord afin de jouer en s’inspirant des aurores boréales.
Cette fois, c’est dans une forêt tout près de chez lui qu’il est allé planter deux pianos, les laissant s’enraciner en plein air au long de deux années de froid, de neige, de chaleur, de pluie, etc. Bref, quelque chose à ne pas tenter avec votre Steinway de Hambourg. Il a des pianos à perdre, le monsieur. Cela dit, le principe est clair : les laisser s’imprégner de l’air du temps, littéralement, puis revenir les taquiner afin de capter un certain esprit, ou empreinte, qu’y aurait inévitablement gravé la nature.
Ce qu’on y entend est techniquement surprenant : les pianos sonnent justes, bien que voilés, voire molletonnés. Est-ce possible? On leur a assurément apporté quelques soins précieux afin d’éviter qu’ils sonnent comme des dents cariées frottées sur un tableau. Ça alors, y aurait-il eu tricherie? Enfin… Ce qu’on remarque d’emblée, cela dit, ce sont les clic-clics et autres bruits de mécanismes qui sont très présents (on les a amplifiés, je crois deviner). Au départ, je trouvais cela très agaçant. Comme si j’entendais un enregistrement numérique rempli de glitchs, ou un vilain vinyle égratigné. Mais en me replongeant dans la volonté conceptuelle de l’artiste, je me suis mis à mieux imaginer ces instruments dans leur décor verdoyant, au milieu des arbres et des fougères, colorant le panorama de leur bruits de bois qui craque. Je me suis mis à trouver l’ensemble plus agréable.
Surtout que, musicalement, Zavada est pleinement au rendez-vous. C’est-à-dire qu’il fait ce qu’il fait de mieux depuis plusieurs années : du néoclassique pop instru bellement mélodique et immanquablement mélancolique. Qui plus est, il ajoute à cet opus un petit orchestre de chambre fait de cordes, de bois et de percussion, un peu de synthé en agrément. La bonne idée! Il réussit, ce faisant, à camoufler les pires égarements sonores de ses instruments cruellement malmenés, et à détourner notre attention des claquements d’engrenages qui seraient devenus, je pense, insupportables si on leur avait laissé toute la place.
Dans la lignée pleine et entière d’Alexandra Stréliski, mais avec un petit élément conceptuellement spectaculaire qui ne minera certainement pas ses chances de briller auprès d’un large public.