États-unien de naissance, Rick Baitz a aussi grandi à Rio et à Durban en Afrique du Sud. Là, il a intégré les langages de la musique vernaculaire, surtout ses rythmes et son sens de la pulsation. River of January, qui veut dire littéralement ‘’rivière de janvier’’, le nom de Rio de janeiro, présente quatre pièces dans lesquelles il fusionne ces racines brésiliennes/sud-africaines avec, entre autres, la structure du Minimalisme répétitif et la liberté harmonique et architexturale du Post-minimalisme. Rien de surprenant à ce que la mayonnaise prenne, étant donné la focalisation des deux univers sur le rythme.
La pièce titre, River of January, lance le programme. Elle est écrite pour flûte, violon, violoncelle, percussions et clavier Yamaha DX7. Chacun des trois mouvements est une exploration d’un rythme propre à l’un des trois ‘’tronc’’ culturels de Baitz : l’états-unien avec le rythme ‘’Bo Diddley’’, largement utilisé dans le rock, le sud-africain avec le mbaqanga issu des townships, et le brésilien avec des échos de samba et de bossa. C’est ludique et agréable, coloré et un brin pittoresque tout en étant raisonnablement savant sans aucun hermétisme. On aime particulièrement les sonorités du synthétiseur, bien calibrées pour pouvoir dialoguer efficacement avec les instruments acoustiques, mais apportant aussi des couleurs uniques.
Music for a Sacred Space est un périple envoûtant pour violon et diverses bandes sonores. Pendant la pandémie, Baitz a eu envie d’écrire quelque chose de viscéralement connecté à ses émotions. Il s’est rappelé, dit-il, une sonate pour violon solo de Bach jouée dans une cathédrale vide. Baitz a tenté de recréer l’esprit de cette expérience, incarnation de la solitude dans un univers vaste et enveloppant. Sous le soliste (intense Cornelius Dufallo), ou par lui, des explorations de jazz modal, des rythmes syncopés de danses d’Afrique du Nord et de l’Ouest, et des cloches de gamelan indonésien s’entremêlent.
Dark Fire, pour violon et violoncelle, est une pièce largement motorique, construite grâce à des rythmes saccadés qui libèrent une énergie insistante. On pense à Aheym de Bryce Dessner. Un épisode central se revêt d’habits indiens, grâce à des mélismes évoquant un raga, qui se métamorphosent finalement en choro brésilien! Dark Fire se termine là-dessus, en ramenant délicatement la pulsation initiale. Si cela paraît improbable, l’écriture de Baitz permet de donner de la crédibilité à cet éclectisme étonnant et agréable.
La flûte et la flûte alto (que j’adore) concluent le programme en étant les centres d’attention de Two Poems for flute and alto flute solo. Le premier, Meditation After A Painting By Hokusai, évoque efficacement une oeuvre picturale de Hokusai, Le garçon sur le Mont Fuji, un chef-d’oeuvre du maître japonais qui montre un jeune garçon juché sur la branche d’un arbre et jouant de la flûte de bambou devant le Mont Fuji. Le deuxième poème, Flight, déploie une toute autre énergie, en mariant des références à la musique de Bach, au bebop, et à la ‘’drive’’ du rock et des musiques populaires brésiliennes (MPB), si aimées du compositeur. Excellentes interprétations des solistes en présence.
River of January est un album surprenant et séduisant.