Si ma mémoire est fidèle, c’est en 2006 que Richard Séguin eut la bonne intuition de se rapprocher du chuchotement, du murmure, avec son magnifique recueil de chansons Lettres ouvertes. Comme pour ne pas réveiller l’enfant qui dort dans une autre pièce en chantant, guitare à la main, avec le soleil qui se lève et l’effluve du « pépin de pomme sur un poêle à bois », pour reprendre une image du poète franco-ontarien Patrice Desbiens.
Pour Les liens les lieux, son 13e album solo, Séguin en appelle encore aux murmures et à la poésie avec en grand P, quatre ans après le projet très politique sur le dissident américain Henry David Thoreau (1817-1862) publié en 2018. On se souvient que Séguin faisait aussi partie de la belle aventure des Douze hommes rapaillés, consacrée cette fois à l’œuvre du géant Gaston Miron (1928-1996).
D’entrée de jeu, ce nouveau chapitre s’ouvre sur ces paroles de la poétesse Hélène Dorion, « Il est déjà minuit dans la forêt du monde – Qu’est-ce qu’on a trahi pour que l’orage gronde », qu’on entend dans Un peu de poésie, un des trois textes qu’elle signe. Il y sera question évidemment des changements climatiques et de grands tourments. Mais n’allez pas croire que Séguin, ce chêne dressé bien droit dans notre univers chansonnier, ploie sous le poids des sept décennies bien sonnées qu’il affiche au compteur de sa naissance. Que nenni.
Dès le deuxième titre, Habité, l’éternel baba cool qui frappe aux portes du matin nous expose, sur une superposition de voix entraînantes, un rythme accrocheur et la guitare de Simon Godin qui s’enflamme sur le piano de François Lafontaine, ce qui lui permet de rester connecté, groundé diraient d’aucuns, avec la beauté du monde, de la vie, de l’amitié, et cela malgré les sempiternels combats toujours à mener. Assurément le tube de cet album.
Avec la force tranquille qui le caractérise et cette gratitude qui le rend à la fois si humain et attachant, Séguin sort de sa pudeur pour nous parler de sa défunte mère dans la ballade Tout près des trembles. Il répétera la formule un peu plus loin, pour son paternel cette fois, avec Le garage. Un morceau qui décrit avec éloquence les images de l’enfance figées sur la pellicule du temps, comme sur un « feuillet paroissial rempli de résignations ».
L’artiste nous offre aussi le magnifique Le Tambour, qui évoque notamment les mensonges et promesses trahies à l’endroit des Premières Nations et qu’il destine à son ami Florent Vollant. Tous deux seront d’ailleurs les prochains passeurs du 40e Festival en chanson de Petite-Vallée, qui se déroulera du 28 juillet au 5 août 2023.
« Puisqu’il me reste un peu de temps, puisque nos mots durent plus longtemps, puisque l’espoir est au-devant, même quand l’amour est au grand vent (…) aucune larme est inutile », lui a également écrit son éternel complice poète philosophe, Marc Chabot (Puisque).
Enregistré dans son studio maison de Saint-Venant-de-Paquette, en Estrie, ce très bel album de Richard Séguin, coréalisé avec Hugo Perreault, se savoure comme un rouge velouté un soir de lune ronde et d’étoiles filantes. Il est si vrai que parfois, dans la noirceur, les larmes ressemblent à des perles lumineuses.