Nile est l’un de ces groupes qui a fortement marqué l’histoire du death metal, avec sa musique à haute vélocité et sa thématique centrée sur l’Égypte ancienne. Le groupe aurait pu confortablement enterrer la hache en 2005, tant son influence a été grande dans le milieu. Dans les mois précédant la sortie de son nouvel album, le groupe a su capturer de nouveau l’imaginaire en dévoilant une chanson intitulée « Chapter for Not Being Hung Upside Down on a Stake in the Underworld and Made to Eat Feces by the Four Apes », dont le titre est tiré du Livre des Morts égyptien. Mais outre de telles extravagances, Nile prouve qu’il y a encore beaucoup d’albums de qualité à façonner à partir du langage musical qu’il a créé.
Karl Sanders, 61 ans et unique membre fondateur du groupe, ne laisse paraître aucun signe de fatigue sur The Underworld Awaits Us All. Ce 10e album regorge de passages guitaristiques portant sa signature : des parcours ultra rapides de gammes diminuées, une utilisation fort musicale des dive-bombs et des passages pesants joués en palm muting. Comme toujours, il y a profusion de demi-tons et de tierces mineures, ces intervalles donnant les riffs orientalisants très caractéristiques de Nile. La densité de notes, les tempi effrénés et le contexte death metal empêchent toutefois ce cliché compositionnel d’être perçu comme tel, agissant plutôt en la faveur du groupe en le distinguant de ses pairs. Sanders impressionne également par la vitalité de son rugissement d’outre-tombe, plus puissant que jamais, qui complémente la voix principale plutôt médiane de Brian Kingsland.
Depuis Annihilation of the Wicked (2005), l’album ayant fait découvrir le batteur grec George Kollias au monde entier, les standards du jeu ne sont plus les mêmes. D’album en album, Kollias a prouvé sa maîtrise impeccable des tempi rapides et la créativité avec laquelle il est possible de pousser la percussion extrême. Sur ce nouvel opus, il y a effectivement un travail du détail minutieux derrière l’allure de destruction totale que revêt la batterie. Même après de nombreuses écoutes, la richesse d’écriture de la section rythmique se sent plus qu’elle ne s’entend, tellement la musique va vite. Par contre, lorsque les morceaux ralentissent et font respirer de longs et lourds passages atmosphériques, cette créativité percussive est mise au premier plan.
Parlant d’atmosphère, les arrangements vocaux impliquant notamment les chanteuses Jasmine Sheppard, Tiffany Frederick, Ashley Johnson, Jessica Williams et Michelle Mercado sont une belle touche. Ces passages émergent de nulle part et créent une profondeur de champ dans la densité du paysage musical. L’album se termine sur une tout aussi épique « Lament for the Destruction of Time », une sombre et pesante pièce quasi instrumentale qui rend bien justice à son titre. Et comme il n’y a pas d’album de Nile sans interlude ou introduction acoustique, la pièce de guitare classique « The Pentagrammathion of Nephren-Ka » vient scinder l’assaut auditif en deux.
Chaque album de Nile ajoute sa couleur à la discographie, mais The Underworld Awaits Us All semble avoir eu un effet séismique. Beaucoup se hâtent de le proclamer comme l’un – sinon le meilleur – des dix. Et le superlatif est justifié, car il n’y a aucun moment d’ennui dans cette saga de 53 minutes. Non seulement The Underworld Awaits Us All est une excellente contribution à la tradition du death metal, mais il justifie pleinement l’esthétique controversée du groupe. Car bien que personne ne sache comment la musique a pu sonner en Égypte il y a 5000 ans, Nile nous plonge aisément dans son exploration fantasmée et décomplexée du temps des Pharaons.