La Suite pour flûte et trio de piano jazz de Claude Bolling est un pur produit de son époque, celle des années 1970 où diverses tentatives ont eu lieu dans l’espoir de réunir deux univers musicaux qui semblaient, alors, antinomiques : le classique et le jazz. Rappelez-vous, c’était également les belles années de Jacques Loussier et des Swingle Singers. À cause de cela, les frontières entre les deux sont aujourd’hui de plus en plus floues, et ce pour notre plus grand bonheur de mélomanes. La distance stylistique entre notre modernité genre ECM ou ACT records, et celle des sympathiques pièces de Claude Bolling (grand musicien classique et jazz, mais aussi pop et pour le cinéma) nous semble immense, habitués sommes-nous maintenant à une intégration plus profonde et complexe des genres. N’empêche, il y a quelque chose d’irrésistiblement frais et honnête dans l’approche du compositeur français, qui n’a jamais cherché à faire ce que Gunther Schuller essayait de réaliser aux États-Unis avec son ‘’Troisième courant’’ (Third Stream), une démarche résolument plus intellectuelle, voire cérébrale, et qui est demeurée marginale (bien que fascinante, historiquement parlant).
Pour Bolling, point d’atonalité et de stridences, ni de rythmes déconstruits. Plutôt une sorte de classicisme autant pour la portion écrite (la flûte, qui papillonne constamment autour de formes baroques et classiques) que pour la portion improvisée (piano, contrebasse et batterie), dont le style est collé exclusivement au cool et au swing, jamais au free, qui débutait à l’époque et qui semblait faire plutôt cousinage avec la musique contemporaine d’avant-garde.
Nadia Labrie traverse les sept mouvements de la suite avec une belle aisance, malgré le fait qu’il s’agit pour elle de partitions qu’elle ne connaissait pas avant d’embarquer dans ce projet. Elle s’est bien entourée d’instrumentistes de haut niveau, ferrés ès jazz, évidemment, mais aussi très sensibles aux subtilités pointilleuses du classique, ce qui est important. Saluons donc la présence de Bernard Riche à la batterie, Dominic Girard à la contrebasse et Jonathan Turgeon au piano.
Cet album est le premier d’une série de trois, car la flûtiste souhaite faire une intégrale des partitions de Bolling pour flûte et ensemble de jazz. Les deux autres (la Suite no 2 et Picnic Suite) sortiront en 2025.