Vous aimez Chostakovitch? Vous devez absolument écouter la musique de son ami et confrère Weinberg, Mieczyslaw de son prénom! Même énergie vibrante, même langage tonal post-romantique/moderne, avec quelques incursions parfaitement calibrées dans une atonalité qui ne sert qu’à magnifier le drame, même lyrisme débordant de mélancolie, mêmes inflexions mélodiques enracinées dans la musique populaire et folklorique. Tout cela, cependant, avec une personnalité du moins connu qui ne s’efface jamais devant la postérité du plus célèbre.
Cet enregistrement de l’opéra Die Passagierin (La passagère) est un événement. Nous sommes confrontés à une œuvre majeure, que je qualifierais même d’essentielle, dans le panorama du répertoire du 20e siècle.
L’opéra, assez court, se déroule en deux actes et raconte l’histoire de Lisa, voguant vers le Brésil à bord d’un transatlantique avec son mari Walter, en 1959. Lisa croise une passagère qui fait exploser en elle les souvenirs refoulés des années de la Seconde Guerre mondiale. La passagère lui rappelle étrangement Marta, une prisonnière d’Auschwitz, camp dans lequel Lisa était gardienne. Les fantômes du passé réapparaissent dans son esprit, sa culpabilité, non avouée mais oppressante, fait dérailler son esprit, et sa responsabilité partagée dans l’horreur de cette époque est projetée devant l’auditeur en flashbacks dramatiques.
L’orchestration pléthorique (entre autres : trois bassons, six cors, un saxophone, un célesta, une guitare, une batterie jazz, un accordéon, et j’en passe) ne sombre jamais dans l’orgie sonore inutile. Weinberg est un fin dramaturge musical et utilise sa très large palette comme la source d’une expressivité subtile et délicate, bien qu’émotionnellement puissante. Voici un drame bien trempé dans le sarcasme autant que le lyrisme ténébreux d’un maître raconteur. Quelques éclats de lumière, voire de ludisme, pointent également leurs harmonies ici et là.
Version 2010, montée à Bregenz:
Les solistes sont solides et convaincants, l’orchestre est splendide. Vous serez certainement intéressés par une captation vidéo de cet opéra, réalisée en 2010 à Bregenz et dirigée par l’ébouriffant Teodor Currentzis, également indispensable. Mais l’enregistrement purement audio ici traité a l’avantage de plonger le mélomane dans l’opulence orchestrale discrète de Weinberg et le drame personnel qui transparaît dans les voix des solistes. Un opéra qui doit impérativement entrer dans le répertoire naturel de nos temples lyriques.
Essentiel.