Il y a 80 ans que Karl Amadeus Hartmann a fondé la série de concerts de musique contemporaine Musica viva à Munich, et presque autant que la Radiodiffusion bavaroise en est le principal commanditaire. La collection discographique présente la plupart du temps des enregistrements d’œuvres captées lors de leur création par le Bavarian Radio Symphony Orchestra (BRSO). C’est le cas de la première pièce présentée ici, Sutured World, enregistrée en octobre 2024 avec le chef Edward Gardner et Nicolas Altstaedt au violoncelle. C’est lui qui a commandé le concerto à Liza Lim (née en 1966), une compositrice qui aime particulièrement écrire pour cet instrument ; elle était d’ailleurs tellement inspirée qu’elle a retiré un mouvement complet qui est devenu une pièce indépendante, tandis que plusieurs fragments sont restés à l’état d’ébauche. Née en Australie de parents chinois, Lim a un intérêt particulier pour les pratiques transculturelles et elle a un imaginaire fertile, qui l’amène à construire sa musique à partir de programmes passablement élaborés, dans le détail desquels il serait difficile d’entrer ici. Par exemple, le titre Sutured World (Un monde suturé) offre l’image d’une planète éclatée que l’on répare en attachant ensemble les rebords de ses plaies, mais la compositrice y voit plutôt une métaphore évoquant ces anciens vases japonais que l’on recollait, lorsqu’ils étaient cassés, et dont on soulignait les brisures en les recouvrant d’or pour les rendre encore plus apparentes, plutôt que de les cacher. Le violoncelliste y a beaucoup d’espace et il semble par moments littéralement danser avec l’orchestre.
La deuxième pièce, Mary / Transcendance After Trauma, pour orchestre, est la pièce centrale d’un Annunciation Triptych dont la première partie est dédiée à la poétesse Sappho (Bioluminescence) et la troisième à Fatimah, fille de Mahomet (Flowers of Jubilation). La Mary du titre est la mère du Christ, et la pièce en sept parties décrit ses états d’âme, depuis l’annonce de sa conception jusqu’à sa naissance. Tout un programme, dans lequel l’orchestre sonne dans ses tutti comme dans une lumière étincelante. Ce n’est pas la création de la pièce que l’on entend ici, parce qu’elle a dû être reportée pour cause de Covid, Munich se faisant alors damer le pion par Cologne, où la pièce a été créée en avril 2022. L’enregistrement de l’Orchestre symphonique de la Radiodiffusion bavaroise, sous la direction de Franck Ollu, date de mai 2023.
La troisième pièce au programme est The Compass (2006) pour flûte (Carin Levine), didgeridoo (William Barton) et grand orchestre (Christoph Poppen). Elle s’ouvre sur un chant solo du joueur de didgeridoo qui s’exprime dans un dialecte aborigène, le Karlkadoon. Le message que veut transmettre la pièce est que la culture des peuples anciens survit malgré tout et se transforme, le didgeridoo et la flûte moderne étant les deux pôles de cet axe métaphorique. Liza Lim parle d’une « fluidité sonore » pour décrire ce concept de transformation, qui est illustré par l’utilisation d’une grande variété de sons produits par des manières alternatives de manipuler les instruments ou même par des instruments jouets. À la fin de la pièce, l’orchestre sonne comme les bruits ambiants que l’on pourrait entendre en forêt, et peut-être alors la transformation a-t-elle bouclé la boucle, notre avenir ressemblant irrémédiablement à notre passé lointain.