Windigo : tel est le titre de la pièce initiale de cet album trad instrumental aux arrangements luxuriants. Il serait fastidieux d’énumérer tout ce qu’évoque ce nom – et sa variante Wendigo – en littérature et au cinéma. Les légendes entourant ce monstre anthropophage de la mythologie algonquienne inspirent toujours les auteurs et cinéastes, de fait. En musique, ça se bouscule moins au portillon : un groupe métal de l’Arizona et un autre de la Norvège portent ce nom, tout comme un groupe indie rock de Calgary, puis une chanson récente d’Anachnid et une autre de Loco Locass. Rayon toponymie, un affluent de la rivière Saint-Maurice s’appelle Windigo, en Haute-Mauricie. C’est un peu plus au sud, toujours en Mauricie, que se trouve le camp de base des Tireux d’Roches. Leur Windigo est plutôt gentil, si ce n’est quelques sons de chants de gorge qui produisent un effet légèrement inquiétant.
Lorsqu’ils bouillent leur eau d’érable dans le grand évaporateur du trad québécois, nos Tireux en tirent un sirop se situant entre l’ambré – goût riche et le foncé – goût robuste. À l’œuvre depuis 1998, Denis Massé (accordéon et chant), Dominic Lemieux (guitare, banjo, bouzouki et chant), Pascal Veillette (harmonica, podorythmie, guitare et chant), Luc Murphy (flûtes, saxophone baryton, clarinette basse et chant) et David Robert (percussions, guitare et chant) ont fait retentir leurs airs un peu partout dans le monde. C’est Davy Gallant, preneur de son, réalisateur et mixeur, qui était à la console pour Tapiskwan Sipi, album studio qui en suit une demi-douzaine d’autres pour les Tireux d’Roches. Gallant – qui est également photographe et distillateur d’eaux-de-vie – y joue aussi de la guitare, du banjo, du dobro, de la basse, de la guimbarde, de la mandoline et de la batterie. Tapiskwan Sipi est le nom de la rivière Saint-Maurice en attikamek. Karine Awashish, originaire d’Obedjiwan, cofondatrice de la Coop Nitaskinan, ainsi que doctorante en sociologie de la coopération à l’Université Laval, narre de manière très touchante la chanson-titre. Sur McCormick, pièce facétieuse aux accents jazz, les Tireux d’Roches nous prouvent que tout métissage judicieux ne peut qu’enrichir la musique.
Tapiskwan Sipi est donc un hommage fort réussi aux Attikameks, à la Mauricie et au trad évolutif.