La musique populaire ancienne d’Italie, celle des passages étroits des cités surpeuplées des 17e et 18e siècles, celle aussi qui est restée dans l’ombre de sa grande sœur érudite et savante (Monteverdi, Scarlatti, Corelli, Vivaldi, etc.), cette musique possède des trésors d’inventions et d’émotions que l’on commence à peine à redécouvrir. Christina Pluhar et son ensemble L’Arpeggiata ont fait de la résurrection de ce répertoire une spécialité et surtout une passion.
Alla napoletana nous plonge dans la Naples de l’époque baroque, là où les compositeurs formés pour plaire à l’église et au palais des nobles s’adonnaient aussi volontiers à l’insolence stylistique et langagière des ruelles bouillonnantes de proximité parfois indécente, mais surtout d’un esprit de raillerie faisant contrepoids à la rigidité des normes aristocratique.
C’est tout ce genre de gouaille irrésistible que l’on retrouve dans la musique de cet album que l’on écoutera en boucle (pas moyen de faire autrement!) sans pouvoir s’arrêter.
Rappelons que Naples est aussi le berceau de la commedia dell’arte. Pas surprenant donc que chacune des ces pièces, issues d’opéras populaires ou de chansons plébéiennes, est une scène, souvent extravagante, où la vie dans toute sa truculence ou sa tragédie se joue devant nous. Partout ici le théâtre est important, voire vital, à l’expression de ces bijoux mordants et communicatifs.
Les chansons populaires, surtout, font passablement usage d’onomatopees savoureuses, lancées comme des dards sonores qui frappent à tout coup la cible en nous faisant rire ou en nous déroutant. Des personnages colorés, Guarracino, Sardella, Vavosa (la vieille entremetteuse), Patella (l’espionne), Alletterato et autres prennent ainsi merveilleusement vie, comme un théâtre de rue délicieusement excessif.
On a également droit à une pseudo cantate qui n’a rien de sacré. Il pazzo (le fou) est en vérité un mini opéra rustique de 17 minutes où un halluciné emprisonné tue un oiseau parce qu’il chante mieux que lui et soliloque sous les traits de sa dulcinée et finit par se rejeter lui-même.
Les interprètes sont habités et nous finissons par l’être nous aussi. Christina Pluhar et son Arpeggiata sont le nec plus ultra de la musique ancienne d’essence populaire. La précision, la technique, la musicalité, tout cela est assurément ancré dans le savoir-faire académique rigoureux et indispensables, Mais la proximité spirituelle et psychologique, qui s’entend dans chaque phrase, chaque mélodie, chaque expression, ne peut qu’être le résultat d’une passion vive et sincère pour ce monde musical encore dans l’ombre, mais heureusement bien moins qu’avant.
C’est jouissif. Ne boudez jamais ce genre de plaisir!