Maria McKee a récemment déclaré avoir pris conscience des affres du mitan de la vie, un passage où la morne vallée du trépas s’insinue en périphérie du champ de vision, puis où s’enclenche le deuil de ce que rendaient naguère possible la beauté et la jeunesse. Il s’agit, pour elle, d’une saison qui évoque La mort à Venise. Madame McKee, Los-Angélienne désormais Londonienne, ne croirait pas si bien dire, en cette époque où l’épidémie de choléra du célèbre roman de Thomas Mann est remplacée par vous savez quoi.
Maria McKee émerge donc d’une semi-retraite pour lancer, treize ans après Late December, un opus d’un lyrisme flamboyant intitulé La Vita Nuova, hommage direct à l’œuvre de Dante sur l’amour non partagé. Incidemment, Christine and the Queens a récemment lancé un microalbum qui porte le même titre et se réclame lui aussi de Dante. Comme Maria McKee l’a gazouillé, qui aurait cru que deux albums de « rock lesbien » (l’expression est d’elle), portant le même titre, sortiraient en même temps? Car dans cette « nouvelle vie », Maria revendique sa pansexualité, à l’instar de Christine and the Queens, et s’active en faveur de la cause LGBTQ. La Vita Nuova, en ce sens, constitue un manifeste identitaire en mode opératique.
Le parcours de madame McKee ferait se pâmer tous les rock-geeks qui en prendraient connaissance. Vocation hâtive, Maria n’avait même pas 18 ans lorsqu’elle a jeté les bases du groupe Lone Justice, qui acquit très vite une réputation plus qu’enviable, se produisant en lever de rideau pour Tom Petty et U2, lançant deux albums et recevant accolades et soutien de Jimmy Iovine, Little Steven, Dolly Parton et Linda Ronstadt. Après la dissolution du groupe, McKee créa plusieurs albums et collabora avec, entre autres, Dwight Yoakam, Robbie Robertson, Steve Earle, Gavin Friday, les ex-Talking Heads, U2, Stuart A. Staples et le groupe rock égyptien Massar Egbari.
Ajoutons que son demi-frère, feu Bryan MacLean, faisait partie du très mythique groupe Love, dont on peut d’ailleurs percevoir l’influence sur La Vita Nuova, dans les pièces I Just Want To Know That You’re Alright et Page Of Cups. Cette dernière pièce dégage aussi des effluves de Fairport Convention, dont feu la chanteuse, Sandy Denny, est l’une des influences revendiquées de Maria McKee. Dans Ceann Bró, Maria aborde l’occulte, l’un de ses dadas. Au fil des chansons, on se prend dans le caisson leur charge multiniveau : romantique, mélancolique, gothique, cathartique, baroque et rock.
Nombre de qualités concourent à faire de La Vita Nuova une œuvre remarquable : pureté, force et justesse vocales, adéquation des arrangements – Courage est exemplaire en ce sens –, intégration des influences – dont Joni Mitchell dans Ceann Bró –, hybridation des idiomes – opéra et gospel dans Let Me Forget – et élévation des textes. Sachons donc qu’au mitan de sa vie, Maria McKee est en pleine plénitude créatrice.