Kristina Warren de Providence, Rhode Island, est une ‘’artiste sonore’’ plutôt plantée du côté recherche et avant-garde, mais dont le respect d’un public large amène à bien appuyer ses explorations dans une pulsation accrocheuse et ‘’trance-inducive’’. Three Rivulets est une œuvre audiovisuelle. Elle est construite à l’aide d’une variété d’oscillateurs lents audios et visuels. Chacun des trois mouvements est conceptualisé selon une appartenance métaphorique (tentativement référencée dans la musique avec plus ou moins d’incarnation compréhensible) à autant de formes géométriques, le rectangle, le triangle et le cercle. Ici, bien entendu, se trouve la potion audio du projet.
La compositrice est mieux placée que moi pour expliquer la nature des subdivisions géométriques de l’ensemble :
Three Rivulets commence par « Rectangles », dont la résonance primordiale de la basse et le feedback strident se transforment rapidement en rythmes entraînants qui ne sont pas tout à fait mesurés. « Rectangles » se termine au coucher du soleil, soutenu par une résonance réfléchie et machinale. La pièce suivante, « Triangles », est insistante et rituelle, ses polyrythmies denses évoquent un paysage mental intérieur absorbant. Il se dissout dans une sorte d’exhalaison volontaire soulignée par les battements rapides du système nerveux. Enfin, « Cercles » commence et se termine par la fusion de l’obscurité et de la lumière : laquelle est l’arrière-plan et laquelle est le premier plan ? Cette luminescence est le point d’orgue d’une étrange visite d’une usine d’ADN futuriste, observée par de nombreux yeux qui, plus tard, semblent porter de vilains pulls de Noël. Bien que uniformément à 80 bpm et presque entièrement dans une palette de couleurs néon-couchant du soleil, Three Rivulets est une œuvre d’art qui ne se contente pas d’être une œuvre d’art. Three Rivulets est une œuvre visuellement et musicalement très étendue. Elle fusionne harmonieusement l’humain et la machine, le beau et le laid, le rétro et le futuriste : un bain audiovisuel curieusement invitant.
La vraie question est de savoir si c’est bon, et si on a envie d’écouter cela. Je dis oui, pour la raison que Warren, en tant que compositrice électro, possède une qualité : elle sait créer des textures superposées disparates qui offre à ses trames une qualité chambriste, une finesse des traces timbrales qui stimulent l’écoute. Presque à la façon d’un contrepoint détaillé. La pulsation sous-jacente, jamais explicite en tant que ‘’beat’’, mais continuellement soutenue et perceptible, crée, comme indiqué au début de l’article, une atmosphère de transe hypnotisante et kaléidoscopique. Cela dit, des trois mouvements, celui des Triangles est le plus statique question verticalité musicale. ‘’Harmonie’’, ‘’mélodie’’, etc., sont particulièrement absentes, effacées par une focalisation presque exclusive sur l’horizontalité d’une pulsation qui s’étire linéairement. Une pénurie de colorisation et de personnalité ‘’mélodique’’ qui lasse un peu. Au contraire, Circles revient partiellement à un environnement foisonnant, après une lente introduction de grisaille atmosphérique.
Pour ma part, après une première écoute, j’ai eu envie de réécouter le tout plusieurs fois, pas seulement pour les besoins de cette critique, mais bien parce que la plongée dans ce bain sonore est sommes toutes agréable. Si vous aimez la musique électronique à la fois séduisante et savante, cet album est pour vous.