Ceci n’est pas un album de musique klezmer traditionnel. Ben, pas vraiment. OK, commençons par le début : Kleyn Kabaret est le titre de l’album mais aussi le nom du trio formé par Damian Nisenson (voix et saxo), Antonia Hayward (voix) et Luzio Altobelli (accordéon). Sur l’album éponyme, l’ensemble est augmenté par la participation de Julie Houle (tuba), Marton Maderspach (percussions), Chantal Bergeron et Miranda Nisenson (violons) et Sheila Hannigan (violoncelle).
Damian Nisenson est de naissance argentine, installé à Montréal depuis 2004, mais ce sont ses racines profondes juives qui animent sa démarche musicale avec Kleyn Kabaret. Une démarche qui lui permet de revisiter du répertoire ancien lié à la communauté ashkénaze d’Europe de l’est (c’est pourquoi les chansons sont interprétées en yiddish). Des compositions originales sont également présentes et s’intègrent parfaitement à l’ensemble.
La raison de mon hésitation initiale à qualifier cet album de klezmer traditionnel, c’est que Montréal est un haut lieu d’une certaine musique klezmer festive et dansante. Une pléthore d’albums et d’artistes s’y sont frottés dans les dernières décennies, avec beaucoup de bonheur dans plusieurs cas. Mais, ce n’est pas ce genre de musique à laquelle on a droit ici, bien qu’ici et là des inflexions, des tournures de phrases, des passages éparpillés rappellent cette expression musicale qui a finit par faire partie du paysage québécois.
Kleyn Kabaret est plutôt une exploration attentive et respectueuse d’un répertoire traditionnel juif de langue yiddish parfois encore plus ancien, généralement plus mélancolique et introspectif. Si le klezmer exubérant que l’on connaît bien est celui de la fête, Kleyn Kabaret est celui de l’âme et de la solitude du peuple juif européen. La musique d’un peuple qui a toujours tenté de tisser des liens avec le monde, et qui a souvent brillamment réussi, mais à qui on a, plus souvent qu’autrement, refusé la dignité d’une reconnaissance et d’un respect égalitaire.
Le choix du répertoire est teinté de ce sentiment de solitude. On y ressent l’empreinte d’une résignation, mais aussi la marque d’une grande résilience. Les mélodies sont belles et nostalgiques à pleurer, comme il se doit dans toute musique juive liée aux sujets du ghetto, de l’ostracisme et du rejet. Mais il y a toujours l’espoir, et surtout, la beauté transcendante de l’esprit créatif juif, enraciné dans un sens de l’élégance et de l’expression humaniste exceptionnel.
Compliments aux musiciens pour cette proposition de voyage dans un pan de l’art hébreux (ashkénaze) que l’on a somme toute peu visité. Une écoute et vous aurez l’irrésistible envie d’aller faire un tour dans le Mile-End pour manger des bagels chauds, croustillants à l’extérieur et moelleux à l’intérieur. Et puis, pourquoi pas, relire ou réécouter Leonard Cohen ou Mordechai Richler.
C’est aussi Keb que le Canadien, un Tremblay du Lac, et Damian Nisenson.