D’entrée de jeu, ce scénario Karkwa s’annonce cliché: un groupe s’impose, devient une référence, puis le frontman s’envole vers des cieux plus rentables pendant que la plupart des membres doivent se replier là où ils le peuvent. Et après ?
Après, Louis-Jean Cormier a mené une carrière solo et vu croître sa popularité perso. François Lafontaine s’est investi dans plusieurs projets – Fred Fortin, Marie-Pierre Arthur, Galaxie, Klaus, Babylones, Mara Tremblay, etc. Julien Sagot a enregistré quatre albums et fait de la peinture. Stéphane Bergeron a pensé changer de métier et a finalement accompagné divers artistes, à commencer par Antoine Corriveau et Catherine Durand. Martin Lamontagne, lui, a quitté les Chemins de verre pour les chantiers de construction.
Pourquoi donc se réunir ? Osons répondre à la place des principaux intéressés: parce que c’est probablement ce que les gars de Karkwa ont fait de plus marquant dans leur vie, du moins jusqu’à maintenant.
Dans les années 2000, le quintette incarnait ce que les fans kebs francos de chansons rock et de propositions musicales au-dessus de la moyenne pop pouvaient souhaiter de mieux: un groupe rock dans l’air du temps, sans décalage avec la production internationale de pointe, et s’exprimant dans un français québécois de bon aloi. Depuis la pause prolongée du groupe, au fait… quel groupe francophone occupe cette chaise ? Poser la question… c’était peut-être espérer la réunion de Karkwa, qui se concrétise avec la sortie de Dans la seconde.
Vraiment ? Ce n’est pas une bonne nouvelle en soi car un tel retour peut aussi être un piège artistique, un aller simple vers la nostalgie et la caisse de retraite. À vrai dire, j’étais plutôt sceptique car, plus souvent qu’autrement, de telles retrouvailles se résument à la gestion financière d’un passé glorieux et non d’authentiques projets créatifs.
Et puis vient la première écoute et je me dis qu’heureusement, Karkwa n’essaie pas trop de faire du Karkwa. Plusieurs arrangements inédits dans les intros, ponts et conclusions mènent à ce constat, entre autres dans Ouverture, Gravité, Miroir de John Wayne, Nouvelle Vague, Dans la seconde... Ben coudon, c’est frais du début à la fin !
Deuxième écoute, je me dis que l’identité du groupe reste intacte malgré plusieurs réformes compositionnelles. Quelle est cette identité ? La voix du soliste, les mélodies proverbiales, les guitares acoustiques et électriques, un fond de prog rock, les synthés analogiques, un souci de grandeur orchestrale et une ouverture aux musiques contemporaines occidentales – au-delà du minimalisme américain devenu presque un cliché de la décennie 2000.
Troisième écoute, je me dis que LJC écrit mieux qu’à l’époque, avec une plus grande concision et des ambitions poétiques qui l’emportent sur la tentation pamphlétaire.
Quatrième écoute, je me dis que cet album est une réussite, contre toutes mes attentes, et qu’il ne faut jamais présumer de rien dans la vie.