S’exprimant en anglais, cette hyper douée musicienne et autrice d’Oslo (chansons exploratoires mais aussi romans) se veut à la fois instinctive et cérébrale. On sait que cette posture représente un avantage pour les uns, intellos et esthètes minoritaires et… une bizarrerie voire une agaçante prise de tête pour les autres humains, très majoritaires. Cette fois, cependant, une part des deux mondes peut se réconcilier dans celui de Jenny Hval au terme de son isolement pandémique.
Mieux que quiconque, elle résume le processus de l’album Classic Objects, son dixième depuis son entrée dans la vie publique, soit en 2006 alors qu’elle se présentait sous le pseudo Rockettothesky:
« L’art n’est-il rien d’autre qu’une construction fantaisiste et difficile dont j’ai habillé mon moi nu, une construction qui n’est pas vraiment nécessaire ? Dans l’ère des médias sociaux, la recherche de la vérité et la capitalisation de l’individu réel et privé, d’autres valeurs se perdent. Et pendant la pandémie, ces autres valeurs n’étaient même pas autorisées. L’art n’avait aucune valeur, sauf peut-être celle du confort. Cela m’a fait me sentir très ordinaire. Ce sentiment m’a donné envie d’écrire quelque chose de très simple. Des histoires sur la vie, peut-être même sur ma propre vie. Je voulais enquêter sur « juste moi », déshabiller le concept et l’idée de moi-même jusqu’aux cellules les plus profondes. D’une certaine manière, montrer à l’auditeur qu’au cœur de notre recherche du « juste moi », il y a le vide. »
Effectuée durant le confinement, cette plongée paradoxale dans le vide du moi profond a conduit Jenny Hval à se pencher sur des thèmes variés tels l’union conjugale, les soins de santé, l’auto-guérison, le bien-être plat, des lieux de son passé réel et d’autres lieux fictifs, oniriques, célestes ou carrément hallucinés.
Musicalement, Classic Objects représente l’idée qu’elle se fait d’un album pop. En tout cas, ses fans conviendront qu’il s’agit probablement du répertoire de pièces se rapprochant le plus de la forme chanson. Le souci d’opter pour l’épuration et la clarté à partir de formes plus convenues est donc un facteur-clé de cette nouvelle proposition. Ainsi, on y repère couplets et refrains, mélodies consonantes. Les référents musicaux y sont variés, dream pop , avant-pop, drone, ambient, jazz… Bien sûr, il ne s’agit pas d’un authentique album pop, mais les éléments expérimentaux ne s’y manifestent que dans les détails.
Voilà donc une magnifique porte d’entrée dans l’univers fascinant de cette artiste et intellectuelle d’exception.