Un album de préludes interprétés par l’excellent compatriote Jan Lisiecki ne peut que réjouir. Alors, demanderez-vous, les préludes de qui? C’est là que ça devient franchement intéressant : Chopin, oui bien sûr (les 24 de l’op. 28), quelques Rachmaninov of course (dont le fameux op.3 no 2), mais aussi Gorecki, Messiaen, et Bach. Un album tissé large, donc, mais avec beaucoup de cohérence stylistique.
On connaît peu les préludes très debussystes de Messiaen. Huit au total (seulement trois sont joués ici). Ils sont la deuxième composition publiée par le compositeur et ainsi considérés comme ‘’valables’’ par celui-ci. Avec des titres comme La colombe, ou Chant d’extase dans un paysage triste, on est plongé dans des atmosphères impressionnistes, mais avec des inflexions harmoniques qu’on peut déjà deviner comme étonnantes. Dans nos oreilles de 2025, on reconnaît d’emblée quelques accents prémonitoires de la maturité de Messiaen. Lisiecki les jouent avec beaucoup de délicatesse, voire même de tendresse.
Ses Bach très détachés, sans aucun liant dans la tenue sonore, surprennent de prime abord, particulièrement le no 1 en do majeur BWV 846 du Premier livre du Clavier bien tempéré, le ‘’fameux’’. Mais, en fin de compte, on y revient en y trouvant une aération rafraîchissante. Même clarté, même évacuation d’une lourdeur stéréotypée dans Rachmaninov (limpide, presque classique prélude no 3 en ré mineur extrait des 10 préludes de l’Op. 23) qui nous amène logiquement à la mécanicité chirurgicale des deux préludes de l’op.1 de Gorecki (on pense ici au machinisme de Mosolov).
Contraste bienfaisant que ces 24 préludes de Chopin, trempés dans l’eau de source avec des mouvements fluides qui s’accommodent d’une dose raisonnable d’investissement émotif sans épanchement. Ça coule et ça enveloppe sans étouffer la spiritualité potentielle de ces bijoux si délicats.
De l’excellent piano signé par un interprète canadien d’exception.