Dans 9:42PM Nouvel enregistrement, pièce d’ouverture de Pictura de Ipse : musique directe, Hubert Lenoir chante, sur fond de chœurs gospel cybernétiques, « J’ai rien en commun – Je préfère flairer mon parfum – Que d’attendre l’approbation de quelqu’un – Mais t’as l’air de quelqu’un – Qui peut apprécier le fait – Que j’suis pas quelqu’un d’ordinaire ». Pas ordinaire Hubert, donc, contrairement au narrateur de la célèbre chanson de Charlebois. On entend ensuite des bribes de conversation où il est question de cinéma direct. Comme celui de Michel Brault et Pierre Perrault; leur mode opératoire, Hubert le transfère ici dans la sphère musicale.
La ballade SECRET donne le ton de l’album : Hubert passe aux confidences et aveux, les guitares ont pris le bord, les claviers, synthés et programmes règnent, les ambiances funkisantes dominent. C’est Mac DeMarco, le Jimmy Buffett millénarial, qui a fourni la piste de batterie de cette chanson. Dans uber lenoir, c’est confirmé, l’un des nombreux intermèdes dont est ponctué l’album, on entend la tirade malveillante d’un animateur de radio-vidange en mode Trésor de la langue de René Lussier. Pictura de Ipse : musique directe, qu’Hubert a réalisé lui-même, constitue à bien des égards un hommage à Prince, comme l’illustre spectaculairement QUATRE-QUARTS.
Légère bifurcation soul et hip-hop dans DIMANCHE SOIR, créée conjointement avec le beatmaker High Klassified. Hubert y rappe – avec une voix filtrée à l’hélium à la Lil Wayne – la comptine « Feu, feu joli feu » en l’adaptant (« Ton ardeur me donne envie – Des fois de m’crisser en feu »). OCTEMBRE s’avère la chanson la plus pop de l’album. Il s’agit aussi d’une autre collaboration avec High Klassified et d’un duo avec la chanteuse française Bonnie Banane. Notons également les intermèdes transit auxquels prend part le duo math-punk-rock Crabe, reprenant en mode doom-écureuil des classiques de Charlebois, en guise de clin d’œil aux comparaisons initiales des commentateurs et d’hommage au Garou original.
HULA HOOP inquiète légèrement l’auditeur, puisque le saxo lui rappelle la bande-son de Heriditary par Colin Stetson. MTL STYLE LIBRE est à la fois un défouloir et une mise en garde en mode déclamatoire. L’hommage à Prince se poursuit sur VILLE-MARIE a et BOI, avant de culminer avec SEL + SUCRE. Hubert touche au jazz-pop sur VILLE-MARIE b, tandis que GOLDEN DAYS part en vrille jazz expérimental après une intro industrielle. La ballade électro-soul PHASE précède f.p.b., dernière pièce d’un album riche et touffu qui se termine en douceur sur des accords de violons synthétiques et répétitifs à la Steve Reich.
Pour résumer, Hubert Lenoir a largué le néo-glam, est allé voir du côté de Flying Lotus, Mac Miller, Thundercat, Frank Ocean et l’immense Prince, puis nous a pondu l’album québécois le plus audacieux et le plus réussi des trois premiers trimestres de 2021.